Le printemps apporta une nouvelle dynamique au village. Les enfants jouaient dans les champs fleuris, les marchands itinérants faisaient escale, et les villageois se réunissaient pour les festivités de la moisson. Pour Lysandre, qui venait de fêter ses dix ans, cette période était une opportunité pour observer les interactions humaines dans toute leur complexité.
Un après-midi, alors qu'il aidait son père à réparer une clôture, un étranger arriva au village. L'homme portait une cape de voyage poussiéreuse et une épée à la ceinture. Ses yeux scrutaient les environs avec une prudence mêlée de calcul.
« Qui est-ce ? » demanda Lysandre en plissant les yeux.
Elias regarda brièvement l'étranger avant de reprendre son travail.
« Probablement un mercenaire ou un messager. Ces types passent souvent par ici. Pas besoin de t'inquiéter. »
Mais pour Lysandre, chaque visage nouveau était un mystère à résoudre.
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Cette même soirée, le village se réunit autour d'un grand feu pour célébrer la fin des récoltes. L'atmosphère était festive : des chants, des rires, des discussions animées.
Lysandre, assis un peu à l'écart, observait la scène. L'étranger était là aussi, discutant avec Maître Gérald. Ses gestes semblaient délibérés, ses mots choisis avec soin.
Élia, comme à son habitude, rejoignit Lysandre, une assiette de fruits dans les mains.
« Pourquoi tu ne viens pas jouer avec les autres ? » demanda-t-elle avec un sourire.
Lysandre haussa les épaules. « Je préfère regarder. »
Elle roula des yeux. « Tu es toujours aussi sérieux. Mais un jour, tu devras apprendre à te mêler aux autres. »
« Pourquoi ? » répondit-il calmement.
Elle le fixa un instant avant de répondre. « Parce que comprendre les gens, c'est aussi les vivre, pas seulement les observer. »
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Plus tard dans la soirée, Lysandre trouva un prétexte pour s'approcher de l'étranger, qui discutait toujours avec Gérald.
« Ce garçon est curieux, n'est-ce pas ? » dit l'homme en remarquant Lysandre.
« Lysandre ? Oui, il a une tête bien faite, mais un peu trop de mystère pour son âge, » répondit Gérald en riant doucement.
Lysandre regarda l'étranger droit dans les yeux. « Vous êtes un mercenaire ? »
L'homme sembla surpris par la question directe mais sourit légèrement.
« Pas exactement. Je suis un éclaireur. Je voyage pour le compte de marchands et parfois pour des nobles. Mais toi, garçon, pourquoi cette question ? »
Lysandre répondit avec un calme déconcertant pour un enfant. « Vous avez une posture qui indique une formation au combat. Mais vous avez aussi des marques d'encre sur vos doigts, comme quelqu'un qui écrit souvent. Vous cachez quelque chose. »
L'étranger éclata de rire, attirant l'attention de quelques villageois.
« Tu es un observateur, toi. Un jour, ça pourrait te servir, ou te causer des ennuis. »
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Cette interaction marqua Lysandre, mais pas pour les raisons que l'étranger aurait pu imaginer. Ce dernier avait raison : son habitude d'analyser chaque détail des gens pourrait un jour lui être utile. Mais Lysandre comprit également que pour manipuler les autres ou se protéger, il devait perfectionner son propre "masque".
À partir de ce jour, il commença à s'impliquer davantage dans les activités du village, non pas par intérêt, mais pour apprendre à se fondre parmi eux. Il aidait Maître Gérald plus fréquemment, jouait parfois avec les autres enfants, et participait même à des tâches collectives comme la réparation des routes.
Cependant, derrière cette façade, son esprit travaillait sans relâche. Chaque conversation, chaque geste, chaque expression était noté et analysé. Il comprenait les peurs, les désirs et les forces des autres, et il s'entraînait à ajuster ses propres actions en conséquence.
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Un soir, alors qu'il aidait sa mère à ranger la cuisine, Elena lui posa une question inattendue.
« Tu as changé ces derniers temps, Lysandre. Tu sembles plus… ouvert. »
« Ça ne te plaît pas ? » répondit-il avec une pointe d'ironie.
Elle sourit doucement. « Si, bien sûr. Mais parfois, j'ai l'impression que tu joues un rôle. »
Lysandre garda le silence, mais son regard trahit une lueur d'intérêt.
« Un rôle peut être utile, » dit-il enfin.
Elena fronça légèrement les sourcils, mais ne poussa pas plus loin. Elle savait que son fils était différent des autres enfants, et elle respectait cette singularité, même si elle la trouvait parfois déconcertante.
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À dix ans, Lysandre avait commencé à poser les fondations d'un personnage. Ce n'était pas une façade destinée à tromper, mais un outil pour naviguer dans un monde qu'il savait complexe et imprévisible.
Il ne pouvait pas encore voir l'étendue de ce qu'il deviendrait, mais il savait que chaque interaction, chaque lien, était une pièce de l'échiquier qu'il commençait à assembler.