Je restai figé un instant, mon cœur battant plus fort. Je n'avais pas l'intention d'intervenir, mais c'était difficile de ne pas sentir l'urgence de la situation. Patty semblait plus vulnérable que jamais. Cette librairie, c'était son monde. C'était son sanctuaire, et elle n'avait rien à voir avec ce genre de scénario.
Le jeune homme bougea légèrement, et l'arme se rapprocha de la tête de Patty. Je sentis une montée d'adrénaline, mais je savais que si je voulais faire quelque chose, il fallait que je sois intelligent, que je ne fasse pas un geste imprudent.
Je ne voulais pas être celui qui frappe d'abord. Pas comme lui, pas comme les autres. Mais chaque instant où je restais là, à regarder sans agir, me rapprochait de ce que j'avais toujours voulu fuir.
Je pris une grande inspiration, puis cherchai du regard un moyen d'entrer discrètement. L'arrière-boutique était pleine de piles de livres, des étagères entières de romans qu'elle n'avait même pas eu le temps de ranger. Un plan me traversa l'esprit, aussi risqué qu'il pût être.
Je me glissai dans la pièce voisine, là où Patty stockait parfois des fournitures. C'était un petit espace, mais de là, je pouvais voir l'entrée et avoir une meilleure visibilité sur la scène. Je devais agir vite, mais je n'avais aucune idée de comment cette situation allait se terminer.
Le jeune homme parlait à Patty, sa voix basse et menaçante. « Tu crois vraiment que tu vas m'arrêter ? » Il avait l'air d'être au bord de l'explosion.
Patty répondit calmement, sa voix tremblante, mais fermement. « Je ne sais pas ce que tu veux, mais tu fais une grosse erreur. »
Je pouvais sentir la tension dans l'air, lourde et palpable. Ce genre de situation, ça ne finissait pas bien. Pas dans la réalité. Pas dans la vraie vie.
Je fis un pas en avant, mais le bruit de mes chaussures qui grinçaient contre le vieux plancher me fit sursauter. Le jeune homme tourna brusquement la tête vers la porte, le regard perçant. L'arme en main se tourna lentement vers moi, et mon cœur rata un battement.
Tout s'arrêta. Le silence était lourd, presque insupportable. Patty, qui était à moitié cachée derrière une étagère, leva les yeux, semblant reconnaître mon visage, mais elle ne bougea pas, comme si elle savait que tout ce qui se passait maintenant dépendait de ce moment précis.
— Je... je n'ai rien fait, murmurai-je, la voix plus calme que je ne l'aurais cru.
Le jeune homme haussait encore la tête, scrutant mes mouvements. Il ne me voyait probablement que comme une menace de plus, quelqu'un à écarter de son chemin.
— Recule, dit-il, sa voix tremblante mais pleine de colère. Je n'ai pas peur de toi.
Je n'avais pas peur de lui non plus, mais l'arme qu'il tenait entre ses mains était bien réelle, et ça changeait tout.
Je déglutis, cherchant à garder mon calme. Patty, elle, restait immobile, presque spectatrice de cette scène.
— Je veux juste que tout se passe bien, lui répondis-je doucement. Laisse-la partir, et on peut discuter de tout ça. Il y a sûrement un moyen de résoudre ça sans violence.
Le jeune homme me fixa un instant, et dans ce regard, je vis une lueur d'hésitation. Peut-être avait-il l'impression que c'était sa dernière chance, ou peut-être qu'il était juste fatigué de tout ça.
Mais avant que je ne puisse réagir, un bruit de moteur se fit entendre, un bruit qui venait de l'extérieur. Une voiture qui arrivait ? Des renforts ? Je n'en savais rien, mais ça suffisait pour distraire le jeune homme.
Il tourna la tête, ne pouvant s'empêcher de jeter un regard vers la fenêtre. C'était tout ce qu'il me fallait.
D'un geste brusque, je me jetai en avant, bousculant l'étagère qui se trouvait entre nous. La pièce se remplit du bruit métallique des livres tombant, et dans la confusion, je saisis le bras du jeune homme, le forçant à reculer. Le revolver tomba sur le sol avec un bruit sourd.
Patty, qui s'était déjà mise à couvert, se releva soudainement, prête à s'échapper.
— Vas-y, sors d'ici ! lui criai-je.
Elle n'hésita pas, courant vers la sortie arrière.
Quant à moi, je me retrouvai face à un jeune homme à la respiration saccadée, les yeux pleins de rage, mais aussi de peur. C'était un gamin, un simple gamin qui se retrouvait piégé dans une situation qui l'avait dépassé depuis longtemps. Il aurait peut-être voulu être quelqu'un d'autre, ailleurs, dans une vie où il n'avait pas besoin de prendre une arme pour se sentir fort.
— Tu sais, tu n'as rien à gagner avec tout ça, dis-je, plus calme, maintenant que la menace immédiate semblait s'éloigner. Il me regarda, la colère dans ses yeux, avant de baisser lentement l'arme, tremblante.
Je sentais que tout pouvait encore basculer en une fraction de seconde, mais il s'arrêta.
Finalement, il recula, la respiration sifflante, avant de sortir précipitamment. Je restai là, essoufflé, les yeux fixés sur la porte par laquelle il venait de s'échapper.
Je pris une grande inspiration. Tout était fini. Mais pas pour longtemps.
♧
C'était sous le regard moqueur de Patty que j'avais nettoyé cette merde et terminé mon taf de la journée. Elle m'avait laissé me débrouiller, une once de fierté dans ses yeux, tout en continuant à jouer avec ses cheveux – des anneaux en plastique qu'elle faisait rouler avec une précision presque hypnotique.
Je la fixais, exaspéré, tout en frottant la saleté du comptoir.
— Pourquoi tu te fais belle, la vieille ? lançai-je, essayant de détourner mon attention.
Elle ne daigna même pas lever les yeux. Un sourire en coin et une réplique qu'elle avait dû répéter des centaines de fois :
— Ça ne te regarde pas, Petter. Et arrête de me traiter de vieille. Je te signale que j'ai vingt-deux ans de plus que toi, et qu'à quarante ans, je ne suis pas encore en train de m'effondrer. Je peux te mettre une raclée si tu veux.
Je rigolai malgré moi, mais je savais que son ton n'était pas aussi léger qu'il en avait l'air. Patty était comme ça : elle cachait ses fêlures derrière un masque de sarcasme. Et même si elle aimait donner l'impression de tout contrôler, je savais qu'elle n'était pas aussi insensible qu'elle le prétendait.
— Ouais, cause toujours... répondis-je en haussant les épaules, tout en sentant que le fond de ma gorge se serrait.
Je savais que la conversation n'allait pas durer longtemps. Elle me balança les billets pour mon travail, me demandant si j'avais d'autres obligations.
— Attends, avant que tu ne foutes le camp, je voudrais des nouvelles de ta mère. Comment elle va ?
Ces mots avaient frappé comme une cloche dans ma tête. Parler de ma mère, c'était comme parler de tout ce que j'avais perdu. Je sentais le poids de la tristesse m'envahir, mais je n'avais pas le choix.
— Elle tient le coup, répondis-je, la voix un peu plus basse. Je n'avais pas envie de parler d'elle, mais je ne pouvais pas non plus mentir.
C'était une simple réponse. C'était tout ce que j'avais à dire. Mais c'était faux. Ma mère, elle n'allait pas bien. Elle n'avait pas besoin de simples mots. Et pourtant, c'était tout ce que j'avais à offrir.
Patty me scruta quelques secondes, les yeux pleins de cette empathie gênante. Je n'avais pas envie de la voir comme ça.
— On prie tous pour qu'elle s'en sorte, dit-elle, un ton sincère qui m'irrita presque.
Je la remerciai d'un signe de tête, puis fis demi-tour, mais je n'avais plus envie de traîner.
♧
J'étais à la bourre, ça m'énervait, mais en même temps, j'en avais rien à foutre. Mon pas était traînant, nonchalant, comme si chaque mouvement me coûtait une énergie que je n'avais plus.
Une énergie que ma mère elle-même n'avait plus. Sans le vouloir, je me mis à penser à elle. Et si elle mourait ? Là. Maintenant. Que ferais-je ? À cette question je ne suis pas encore sûr d'avoir une réponse.
Quand je retrouvai la salle de boxe, je fus accueilli par la voix de Marc. C'était typique de lui de me faire remarquer mon retard, avec son sourire narquois et son air décontracté.
— Comment ça va, Pet ? T'es vraiment en retard, là. T'as d'la chance que le coach soit pas
Je le saluai d'un signe de tête, mais je n'avais pas envie de répondre. On se connaissait depuis trop longtemps pour que les politesses soient nécessaires. Marc, c'était mon pote, mon seul ami véritable. Depuis que ce mec avait débarqué à Darma, on ne s'était plus quitté.
— Salut à toi aussi, Marc, répondis-je, avec un sourire qui se voulait taquin mais qui sonnait faux.
Il se moqua de mon humeur avec une moue et sauta du ring.
— Fais pas l'idiot, vas te changer avant que le coach débarque.