Marc passait son temps à draguer des filles. Il les appelait, les embrassait, prenait leurs numéros. Le bistrot était devenu son terrain de chasse, un endroit où il ne faisait jamais dans la subtilité.
Il était toujours là, avec son sourire charmeur, ses blagues bien rodées. Je l'observais avec lassitude, sa confiance naturelle me renvoyait à une partie de moi-même que je n'aimais plus.
— Je croyais que tu avais une meuf...
Je le lançai en le voyant s'amuser avec une fille, ses yeux brillants et ses mots lisses comme du miel.
— Bah, ça m'empêche pas de m'amuser un peu, répondit-il, comme si de rien n'était.
Marc, c'était ça. Toujours une blague, toujours un jeu. Je pouvais presque prévoir ses prochains mots avant même qu'ils ne sortent de sa bouche.
Mais moi, ce n'était pas pareil.
J'avais en tête les révélations sur Charlotte. J'espérais qu'elles seraient faciles à digérer pour lui : une garce qui n'en avait que pour le fric, et je comptais bien lui prouver cette vérité.
— Dégagez, les mecs ! grogna un type en tapant son poing sur notre table.
Son regard était mauvais, presque animal, et son odeur agressait l'air autour de lui.
Mon estomac se tordit. Une partie de moi avait envie de reculer, de laisser Marc gérer, de rester en retrait. Je savais que tout pouvait dégénérer, et plus je m'approchais de cette réalité, plus je sentais la peur me ronger : la peur de me battre, la peur de céder à mes instincts, la peur de m'exposer.
— Mais pourquoi être aussi sauvage, mon pote l'ours ? Marc s'amusa de la situation, son sourire intact.
— Vous deux, foutez le camp d'ici ! Vous nous piquez toutes les nanas !
Marc haussa les épaules avec un défi qui me mettait toujours mal à l'aise.
Je sentis le frisson de la confrontation. Mon corps était tendu, prêt à réagir, mais mon esprit était en conflit. Je voulais éviter cette violence, me protéger, mais il y avait toujours ce réflexe, ce poids dans la poitrine.
Je me demandais si c'était ça, cette part de moi que je ne contrôlais pas. Un mélange d'instinct, d'adrénaline et de peur.
— Mais c'est normal, regarde ta tronche, lâcha-t-il.
Il avait ce don de ne jamais reculer dans les confrontations, même quand elles dégénéraient.
Le type se rapprocha, son regard de plus en plus dangereux.
— Le blondinet, tu te fous de ma gueule ?
Marc avait l'air sûr de lui, amusé, comme s'il pouvait sortir de n'importe quelle situation avec un sourire. Moi, je n'avais pas cette assurance. Chaque seconde était une bataille intérieure, une bataille pour ne pas rompre mes propres promesses.
Marc continuait ses blagues, mais cette fois, quelque chose dans son rire avait un goût de bravade, presque une manière de masquer sa propre nervosité.
— Oh ton haleine ! On dirait un chacal ! Tu sais, les brosses à dents, ça existe ! Et les dentifrices aussi !
Marc avait l'art de jouer avec le feu. Il simula un étouffement, se pinça le nez comme s'il ne supportait pas l'odeur. Ça fit éclater la salle de rire.
Mais moi, ce rire m'était insupportable. Il me donnait l'impression de repousser l'air autour de nous, comme s'il nous éloignait de ce que je ressentais : la peur, le malaise, l'envie de tout arrêter avant que ça ne dégénère davantage.
Mais le type, hors de lui, ne se laissa pas faire.
— Je vais t'en coller une ! menaça-t-il.
Puis, sans prévenir, il lança un poing en direction de Marc. Mon cœur bondit. Instinctivement, mon bras s'éleva, prêt à arrêter le mouvement, à protéger mon ami, mais aussi, inconsciemment, à me protéger moi-même.
Je ne voulais pas me battre. Je n'aimais plus ça. Mais dans ce moment, tout avait basculé. Mon corps avait agi seul.
Le coup s'arrêta net, détourné par mon bras, mais tout s'accéléra ensuite. Marc avait déjà attrapé une bouteille d'eau sur la table, un éclair de brutalité dans ses yeux. Un seul mouvement, un seul coup, et l'homme s'effondra au sol.
Mon cœur battait comme un tambour. J'avais réagi sans réfléchir, comme si la peur et l'instinct s'étaient mêlés pour prendre la meilleure décision, une décision qui m'était aussi insupportable. Je détestais me battre. Je détestais la violence.
Mais qu'aurais-je dû faire ? Laisser Marc se faire frapper ? Laisser ce type nous mettre en danger ?
Marc avait toujours ce sourire, ce regard joueur qui lui donnait l'air de tout maîtriser.
— Ça va ? demanda-t-il en me regardant, son sourire intact malgré l'atmosphère qui avait changé dans la pièce.
Je ne répondis pas tout de suite. J'avais peur que ma voix ne trahisse ce que je ressentais : une honte, une peur, un sentiment d'impuissance.
J'étais partagé. D'un côté, ce besoin d'éviter la violence, de protéger mon frère, d'être responsable. De l'autre, ce réflexe qui m'avait pris, comme si je n'étais plus maître de mes choix.
Mon corps avait choisi. Mon cerveau hésitait.
Et maintenant, cette tension flottait dans l'air autour de nous. Les autres nous regardaient, le silence était revenu, mais il avait un goût amer.
Les portes s'ouvrirent, un groupe de motards — des gars qui ressemblaient comme deux gouttes d'eau à celui qu'on venait de mettre à terre — nous attendait.
Marc et moi nous regardâmes, les respirations encore haletantes.
— Ça tombe bien, on a besoin de digérer ! lança Marc avec un sourire en coin, comme si rien ne venait de se passer.
Marc avait l'air si sûr de lui. Mais moi, je me sentais dévoré par la honte.
La honte de perdre le contrôle, de perdre ce que je considérais comme essentiel : ne plus me battre.
♧
L'air était frais, la nuit s'étirait dans un silence presque trompeur. Je marchais sans but précis. Le calme après la tempête avait un goût étrange. Les rues étaient vides, les lumières des lampadaires projetaient leurs ombres dansantes sur le sol.
Je me trouvais à quelques mètres de la salle de sport quand un klaxon me fit sursauter. Je me tournai. Une voiture de luxe, son moteur vibrant dans le silence nocturne, s'approcha doucement.
La vitre s'abaissa, et un homme en costume impeccable me fixa.
— Bonsoir, beau jeune homme. J'ai besoin de vos services.
Son ton était fluide, mesuré. Je l'ignorais, mais un frisson s'insinua en moi.
— Désolé, le vioc, mais moi je mange un autre type de pain, répliquai-je sans ralentir.
Il secoua la tête, comme si ma réponse n'était qu'un détail.
— Veuillez m'excuser pour cette confusion, mais vous m'intéressez pour une toute autre raison.
Je m'arrêtai, agacé, avec ce sentiment de malchance, comme si quelque chose venait de glisser dans l'air.
— Aboule, j'ai pas toute la nuit, dis-je d'un ton sec.
Il sortit de la voiture. Le bruit de la portière, du moteur, des phares. Tout cela me fit hésiter.
— Écoutez, que diriez-vous de travailler pour moi ?
Il avançait avec cette démarche sûre, celle d'un homme qui sait qu'il peut acheter tout ce qu'il veut.
— Le taf consiste en quoi ?
— Faire ce que vous aimez le plus : vous battre. J'ai apprécié votre petite démonstration dans le bistrot tout à l'heure, et je pense que vous avez un potentiel incroyable.
Je sentis une chaleur sourde dans mon estomac, un malaise qui s'intensifia. Sa proposition avait creusé un sillon dans mon esprit, réveillant des souvenirs et des promesses silencieuses mais puissantes : la mort d'un ami tombé sous les coups dans un combat de rue, la peur que je ressente à l'idée de finir comme lui, la peur de perdre mon frère.
Je savais que je pouvais refuser. Mon cœur battait comme un tambour dans ma poitrine, et pourtant, une part de moi était tentée. De l'argent. De l'argent dont j'avais besoin. Mais cet argent aurait un prix. Celui de renoncer à mes promesses. Était-ce nécessaire ?
Je pris la carte qu'il me tendait sans réfléchir. Une part de moi savait que je ne rappellerais pas, mais quelque chose dans la scène m'avait figé.
Mon regard glissa de nouveau vers la carte dans ma main. Elle brûlait presque, comme si elle me disait quelque chose que je refusais d'entendre. Je me voyais déjà dans l'arène, les poings levés, l'argent qui suivait, et cette ombre de peur, cette part de moi qui soufflait : tu vaux mieux que ça.
Il remonta dans sa voiture. Je restai là un moment, à regarder la lumière des phares s'éloigner.
Je fis un pas dans l'obscurité, sentant l'air frais m'envelopper. Le silence était dense, seulement coupé par le bruit lointain d'une voiture et les échos d'une vie nocturne qui semblait toujours sur le point de commencer.
Je prenais le chemin de retour, l'esprit toujours embrouillé par cette rencontre. Une proposition de travail, l'étrange promesse de gains rapides, de combats, de potentiels. Je l'avais acceptée sans vraiment savoir pourquoi. Pas comme une vérité, mais comme un poids, une hésitation ancrée dans une part de moi que je ne comprenais pas.
Les ruelles étaient presque désertes. Le sol sous mes chaussures grinçait, une sensation de solitude qui aurait dû me rassurer. Mais quelque chose persistait dans l'air : une tension sourde et difficile à identifier.
Soudain, un bruit.
Pas celui d'une voiture, ni celui d'un passant, mais quelque chose de plus précis, de plus immédiat. Mon cœur s'accéléra. Je me figeai, les muscles tendus.
Devant moi, une silhouette bougeait, rapide, précipitée. Une fille. Elle semblait fuir. Je la vis juste à temps : ses cheveux dansaient sous la lumière d'un réverbère. Elle avait l'air désorientée, effrayée. Ses chaussures tapaient sur le pavé avec une frénésie désespérée.
Derrière elle, une autre silhouette. Un homme, grand, ses traits indistincts mais menaçants dans l'ombre. Il avançait avec une assurance terrifiante.
Mon corps réagit avant même que ma tête n'ait le temps de réfléchir.
L'instinct me soufflait qu'il y avait quelque chose de pas net.
Je fonçai.