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Chapter 10 - La dernière frontière

Point de vue de Naël

Papa m'entraîna vers le salon, ses gestes aussi naturels que déterminés. Je me sentais tirée par la main, comme une poupée de porcelaine que l'on manipule sans égard. Mon regard dériva rapidement vers la baie vitrée, où le monde extérieur semblait à la fois libre et inatteignable. Petter n'était plus là.

— Ma chérie, tu es magnifique… me dit-il, avec cette douceur insistante qui avait toujours tendance à glisser sur moi comme de l'eau sur les pierres.

Mais cette fois, il y avait autre chose. Une inquiétude, peut-être.

Je n'y prêtai pas attention. Tout ce que je pouvais penser, c'était ce qui venait de se passer, cette rencontre qui m'avait laissée bouleversée. Je lui lançai un regard distrait, presque absent.

— Pourquoi es-tu là si tôt ? soufflai-je, la voix à peine audible.

Il détourna les yeux, l'air hésitant. Sa main se posa machinalement sur son épaule, comme s'il cherchait une excuse dans ses gestes.

— Je n'arrivais pas à travailler après notre discussion tout à l'heure, alors… j'ai décidé de rentrer.

Il continua de parler, mais je n'écoutais plus. Mes yeux restaient fixés sur la baie vitrée, mon esprit ailleurs. Tout ce que je voulais, c'était revoir Petter.

— Je suis tellement heureuse de te voir comme ça, en pleine forme… Pourquoi t'es-tu mise aussi belle ?

Je haussai les épaules, sans grande conviction.

— Juste comme ça.

Il me regarda, un éclat de doute dans le regard.

— Ce n'était pas pour sortir, non ? N'est-ce pas Naël ?

Surprise par la question, je fronçai les sourcils. Mon ton resta aussi froid que ma voix me le permettait.

— De quoi tu parles ? Tu m'as enfermée ici. Comment pourrais-je sortir ?

Ma voix tremblait d'une colère que je n'arrivais pas à maîtriser. Comment pouvait-il croire cela de moi ? Mes yeux étaient toujours fixés sur l'extérieur. Les ombres dansaient sur la vitre comme un miroir de mes pensées : floues, instables, incertaines. Le froid qui s'en échappait semblait renforcer cette barrière invisible, ce mur entre lui et moi, qui me maintenait dans cet isolement.

— Et tu faisais quoi à la porte, alors ? Avoue-le, tu voulais sortir si je n'étais pas rentré. Tu sais bien que je n'aime pas que tu sois près de la porte. On en a déjà parlé. Si tu ne tiens pas parole, il faudra que je prenne des mesures… que tu n'aimeras pas.

Sa voix était calme, trop calme. Ses mots pesés, lourds. Je sentais sa fermeté sous chaque syllabe, mais quelque chose en moi se brisa. Je le détestais à ce moment précis. Ses promesses d'amour ressemblaient plus à des chaînes qu'à une protection.

— Je ne suis pas une poupée de porcelaine !

Les mots m'échappèrent, durs comme du fer. Mon corps était tendu, mes sourcils froncés. Quand je tournai la tête, ce fut vers la baie vitrée, mon seul refuge. Je ne pouvais pas le regarder. Pas maintenant.

— La vue te suffit, tu as la baie vitrée… Pour toi, c'est largement suffisant.

Je sentis une colère mêlée à une profonde tristesse. Était-il sérieux ?

— Tu ne comprends pas, papa… Je vais mourir, bientôt. Tu ne vois pas ?

Les mots s'échappèrent comme un cri étouffé, une vérité trop lourde, trop réelle. Ma maladie avait volé ma santé. Et lui, il me retenait dans cet enfermement.

Il s'arrêta, ses yeux se posant sur moi avec une combinaison de surprise et de peur.

— Non, Naël. Ne dis pas ça…

Sa voix tremblait, presque brisée.

— Si. Je suis fatiguée, enfermée, et cette maison me tue.

— Tu ne sortiras pas d'ici, que ça te plaise ou non…

Il s'interrompit, cherchant peut-être à me toucher avec des mots plus doux. Mais je le coupai.

— Alors je partirai. Et tu ne me reverras plus. Je préfère disparaître que de rester là, dans cette prison. Chaque jour ici est un fardeau.

Je ne voulais plus être la fille obéissante, la marionnette. L'angoisse de la souffrance physique, celle de la maladie, m'était familière. Mais la souffrance de l'âme, celle qui venait de l'enfermement, de la dépendance, je ne pouvais plus la supporter.

Papa prit une grande inspiration, son regard perdu un instant, comme s'il cherchait les mots justes. Il s'approcha doucement, comme pour me toucher là où il n'était jamais allé, au fond de mon esprit.

— Comprends que je le fais pour ton bien… Je… je le fais pour te protéger… je…

Il y avait de l'émotion dans sa voix, de la fragilité. Une partie de lui qu'il ne me montrait jamais. Cela me toucha, bien plus que je ne l'aurais cru. Mais ce n'était pas encore suffisant.

Je ne répondis pas. Je ne pouvais pas. Mon esprit tournait en rond, enchevêtré dans d'innombrables doutes et désirs. Je me levai sans un mot et montai les escaliers aussi vite que mes jambes me le permirent. Je ne voulais pas qu'il voit la guerre qui se menait en moi.

La porte de ma chambre claqua derrière moi. Je la fermai à clé, comme si elle était une barrière entre nous. Je me laissai tomber sur mon lit, le cœur serré, les yeux pleins de larmes. La couverture sur mon visage ne pouvait pas étouffer mes sanglots. Pourquoi fallait-il que tout soit si difficile ? Qu'avais-je fait pour mériter cela ?

Qu'avais-je fait pour que tout m'échappe, même la liberté de vivre ?

Je me levai enfin, les mains tremblantes. Je cherchais quelque chose pour faire taire ce hurlement dans ma tête, cette douleur lancinante qui me frappait sans relâche. Mes yeux se posèrent sur le cutter posé sur la table de nuit. Il semblait attendre. Une décision à prendre.

Je le pris. La lame froide effleura ma peau. Je la laissai glisser, une sensation fugace, presque libératrice. L'adrénaline me faisait vibrer. La douleur était là, mais elle n'était plus aussi forte que celle du manque de liberté. C'était une douleur de l'âme. Mais, à cet instant, elle semblait être la seule chose capable de me permettre de respirer à nouveau.

Puis, la porte frappa.

Un sursaut. Le cutter glissa de mes mains. Papa appelait, sa voix étranglée, pleine de peur. Il ne savait pas. Il ne pouvait pas savoir.

Je me précipitai vers la porte, l'ouvris d'un coup. Et là, dans ses bras, je me laissai aller. Le poids de mes larmes, de mon chagrin, se déversa sur lui. Je n'avais jamais voulu cela. Jamais.

Il me regarda, les yeux pleins d'incompréhension et de peur, en remarquant l'objet sur le sol. Il ne parla pas tout de suite. Il me prit simplement dans ses bras, comme pour me rassurer qu'il était là. Que ça allait aller.

— Écoute, mon cœur, commença-t-il, sa voix tremblante, je sais que je t'ai laissée te sentir seule ici. Mais je suis là. Je suis désolé. J'ai voulu te protéger à ma manière, mais je vois maintenant que j'ai tout fait de travers. À partir de maintenant, je ferai mieux. Je te promets. Ensemble, on va reconstruire… ton bonheur.

Je ne pouvais plus parler. Tout ce que je pouvais faire, c'était me blottir contre lui. Mon cœur battait plus lentement. C'était étrange. Ce père que je croyais connaître si bien semblait si différent maintenant.

Je le serrai un peu plus fort. Et, pour la première fois depuis longtemps, je sentis une lueur d'espoir.