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Chapter 5 - Près de la poubelle

Encore une fois, j'étais stupéfaite. Peut-être que la gélule du docteur Marius permettait des miracles. Depuis ce matin, je n'avais pas ressenti cette fatigue accablante, et la douleur, ce poison constant, ne m'avait pas encore dévorée. C'était étrange de vivre une réalité différente, quand celle à laquelle on était habituée semblait si lointaine. Je devais profiter de ce sursis, avant que tout ne redevienne comme avant, que la torpeur et la souffrance ne reviennent. Le temps semblait s'étirer, comme une promesse qu'il fallait savourer.

Je ressentais la liberté du moment, mais elle était teintée d'une crainte sourde, comme si chaque instant de répit me rapprochait un peu plus de la chute. La douleur, je le savais, reviendrait un jour, mais j'avais la sensation étrange qu'elle m'effleurait déjà, prête à m'engloutir quand je n'y serais plus préparée. Était-ce la promesse d'un mirage, ou un dernier sursaut de vie avant l'inévitable ?

J'avais terminé le livre. Mes mains tremblaient légèrement, non pas de faiblesse, mais d'une excitation nouvelle, celle que ce texte avait fait naître en moi. Trente-quatre nuances à servir. Une lecture qui m'avait bouleversée, me consumant d'un feu étrange que je ne pouvais plus ignorer. Jamais je n'aurais cru pouvoir ressentir cela en lisant. Ma rose, elle aussi, semblait s'être éveillée. Comment avions-nous pu oublier cela, nous les femmes ? Pourquoi devrions-nous réprimer nos passions, quand les hommes pouvaient les assouvir sans jugement ?

Je m'étais souvent dit que la littérature érotique était indécente. Aujourd'hui, je me délectais de chaque page. C'était ironique. Lauriane m'avait poussée à lire ces livres, me forçant à explorer ce territoire que je méprisais. À présent, je n'avais plus honte. Peut-être même que c'était elle, Lauriane, qui m'avait conduite à cette libération inattendue. Peut-être que c'était à cela que servait vraiment notre amitié : assouvir, par la lecture, mes désirs enfouis.

Je me souvenais encore de ses mots, ceux qu'elle m'avait glissés un soir : "Tu verras, ça peut te libérer. Tu n'as rien à perdre, si ce n'est tes chaînes." Et en un sens, elle avait raison. Chaque page tournée, chaque ligne de ce livre me faisait sentir un peu plus détachée des attentes de la société, de ce qu'on attendait d'une femme comme moi. Mais en même temps, une partie de moi s'inquiétait. Et si tout ça n'était qu'une illusion ? Un miroir déformé de mes désirs ? Mais la libération, même fragile, était un sentiment tellement rare, tellement précieux.

Je laissai le livre sur le bord du lit et me levai. Mes pieds me portèrent instinctivement vers la coiffeuse. Mon reflet me fixait dans le miroir. Mes cheveux tombaient en mèches rebelles sur mon front, et je me surpris à penser à une frange. Une frange comme celle de l'héroïne du livre, cette femme audacieuse et libre.

Je me dirigeai vers le dressing, sans savoir vraiment pourquoi. Le chaos s'était emparé de la pièce ; les cintres balançaient sous mes mains comme des objets sans vie. J'éclatai la penderie, éparpillant des vêtements partout, jusqu'à ce que mon regard se pose sur un pull brun. Il m'arrivait juste au-dessus des genoux et tombait sur mon épaule droite, la découvrant délicatement. "Old Lady", un nom brodé sur le tissu. Un symbole, peut-être.

Je m'assis à la coiffeuse, décidée à me préparer. D'un geste rapide, je traçai une ligne de eye-liner autour de mes yeux, je fis le contour de mes lèvres, puis un peu de rouge à lèvres beige. Je finis avec un fard à paupières marron, simple mais efficace. Je cherchai le mascara, mais en le récupérant, la boîte à bijoux tomba, envoyant une avalanche de métal sur le sol. Je haussai les épaules. Je ramasserai plus tard. La paresse m'envahissait, une sensation douce, presque enivrante.

Je mis de la musique. C'était mon rituel : un bain, la préparation, puis la musique. Mais aujourd'hui, il y avait quelque chose de plus. Ce n'était pas juste une routine. La chanson se fit entendre, une mélodie pop douce et envoûtante, celle d'Ari. Sa voix m'envoya au-delà des nuages. Needi. Cette chanson me transportait. Je ne pus m'empêcher de me lever et de danser. D'habitude, je n'aurais jamais pris le risque de me fatiguer ainsi, mais aujourd'hui, c'était différent. Aujourd'hui, je me sentais… vivante.

La musique m'enveloppait, chaque note vibrante me traversait comme une caresse audacieuse, chaque battement de la chanson faisait naître un souffle dans mes veines. Je me sentais légère, comme si l'air lui-même me portait. Mes pieds effleuraient à peine le sol, la chaleur de la pièce se mêlant à celle de ma peau, mes mouvements devenaient presque instinctifs, une danse libre, sauvage, qui m'échappait. J'étais légère, sans douleur. J'étais libre. Je tourbillonnais dans la pièce, riant, souriant, sans me soucier de rien. Je dansais pour la première fois de ma vie, sans peur ni retenue.

Le bruit brutal d'un choc me fit sursauter. Baam ! Je m'étais cognée contre la bibliothèque en bois de Bubinga. Une douleur lancinante dans mon bras me ramena à la réalité. Je jurai et me baissai pour inspecter le sol. Le cutter. Là, juste à côté des livres, posé sur le sol. J'avais glissé dessus.

Je me levai en maugréant, récupérai les livres éparpillés, mais ma colère ne se dissipait pas. Je marchai d'un pas vif vers le meuble, décidée à ranger. Chaque mouvement semblait plus bruyant, plus lourd. En replaçant un livre, un craquement étrange se fit entendre, comme une fissure dans l'air. Je m'arrêtai net. Rien. Juste comme l'écho de ma propre respiration.

Je laissai le cutter sur la table d'étude et quittai la pièce. Mon cœur battait trop fort. Il fallait que je parte. M'éloigner de cette pièce, de cette agitation. Je descendis les escaliers d'un pas rapide, mes pensées en vrac.

Le salon était à l'image de la maison : brut, imposant. Des murs de briques et de pierres, une architecture ancienne, marquée par les années et par l'héritage de mon grand-père. Il m'avait légué cette maison, et je comptais bien y finir mes jours. C'était dans ces murs que je voulais m'éteindre, comme lui.

Avant d'atteindre la dernière marche, je connectai mon téléphone à l'enceinte Bluetooth. La chanson Silhouette se mit à résonner dans la pièce, douce et poignante. Un duo masculin, leur voix m'envahit.

Je me laissai tomber sur le canapé, mes yeux tombant sur un livre abandonné sur la table basse. Et là, mon cœur fit un bond.

Petter.

Il était là, devant la maison des W, dos contre le mur, près de la poubelle. Il portait son éternel survêtement à capuche. Ce même homme. Celui qui devait m'approcher. Celui qui, selon le plan de Lauriane, devait tout prendre, me voler ma fortune, me séduire pour me détruire.

Mes yeux restaient fixés sur lui, incapables de détourner le regard. Mon pouls s'accéléra, une chaleur inconnue m'envahit. Mes pas m'entraînèrent vers la baie vitrée. J'étais comme hypnotisée.

Je tirai le rideau. Nos regards se croisèrent. Une fraction de seconde. Je le fixai à travers la baie vitrée, chaque mouvement qu'il faisait semblait mesuré, presque calculé. Son regard, lorsqu'il croisa le mien, était étrange. Pas de défi, ni de soumission, juste… quelque chose qui m'échappait. Il ajusta sa capuche comme pour me signifier qu'il savait qu'il était vu, qu'il était là, qu'il attendait quelque chose. Un frisson me parcourut. Mais quoi ? La tension me foudroya. Il me regarda une dernière fois, puis baissa la tête et ajusta à nouveau sa capuche avant de s'éloigner.

Je restai là, figée, le cœur battant à tout rompre. Puis, sans réfléchir, je tirai à nouveau le rideau. Il n'était plus là. Disparu. J'étais vide. Une sensation de froid m'envahit. Où était-il allé ?

La sonnette. Un coup. Puis un autre. Mon cœur battait la chamade, presque douloureusement. La sonnette avait résonné comme un coup de tonnerre, et tout en moi s'était tendu. Je me précipitai vers la porte, mes mains moites glissant sur la poignée. Chaque seconde me paraissait une éternité. Et si c'était lui, Petter ? Il m'avait observée, il m'avait vue. Cette rencontre allait tout changer. Je fermai les yeux, prenant une dernière inspiration avant d'ouvrir la porte. Mais lorsque je la soulevai, ce n'était pas lui. C'était… mon père

Je n'avais pas entendu le bruit du moteur, ni vu son arrivée. Je n'avais pensé à rien. Juste à lui.