Point de vue de Naël
Le 29 octobre 2019 était mort.
La nuit s'était défaite lentement, un voile déchiré par la lumière timide de l'aube. Mais pour moi, la fin de la nuit n'apportait pas de renouveau. Au contraire, elle apportait une douleur familière, froide et perçante. Une douleur que je savais mienne, désormais. Une lame brûlante, enfoncée dans mes os, m'accompagnait sans répit. Elle faisait partie de moi. Et c'était bien ce qui me terrifiait le plus : être devenue cette douleur.
Je laissai mon lit sans hésitation, comme si la souffrance était la seule chose qui me maintenait encore en vie. La chambre était glacée, et le froid m'engloutit immédiatement, me rappelant à cette réalité insupportable. Mes pieds nus frôlèrent le sol gelé, et chaque pas m'arracha un frisson, comme si la douleur n'était pas qu'intérieure. Elle était partout. J'étais partout. La pénombre m'enveloppait, mais je connaissais cette chambre par cœur. Chaque objet, chaque recoin, une silhouette familière dans un tableau sombre. Je n'avais même pas besoin d'allumer la lumière. Le noir était devenu mon complice.
J'atteignis la salle de bain, mon esprit aussi désordonné que l'air autour de moi. Je laissai l'eau chaude m'envelopper. Elle me calma un instant, mais à peine avais-je sorti mes bras de la douche qu'une brise glacée m'envahit, me rappelant que ce réconfort n'était qu'éphémère. Il était sept heures, mais la lumière du matin ne m'effleurait même pas. Elle réchauffait tout ce qui était dehors, mais pas moi. Je n'étais plus qu'un corps souffrant, figé dans une époque qui n'était pas la mienne.
Je m'approchai de la baie vitrée. Mon refuge, mon exutoire. De là, je pouvais observer le monde, ce monde qui continuait de tourner alors que je restais là, figée. Le manguier, devant moi, se balançait lentement sous le vent, ses branches s'étiraient comme pour chercher une sortie. Je m'en voulais de les envier, mais je le faisais quand même. La liberté de l'oiseau qui virevoltait entre les branches me renvoyait à ma propre incapacité à m'échapper. Une envie de m'envoler. D'échapper à tout cela.
Un vibrement me fit sursauter. Un message. Je savais ce que c'était avant même de regarder. Whityou. Je l'avais téléchargé par désespoir, un dernier fil d'espoir tendu vers une rencontre, un peu de chaleur humaine. Mais comme toujours, il n'y avait rien derrière.
"On se capte où ?"
Je soupirai, cette fois sans colère. Juste de la résignation. L'application s'était vendue comme un espace pour des rencontres sérieuses, mais c'était un mensonge. La pureté des promesses s'était dissipée en quelques semaines. Les messages étaient devenus des vagues sales que je ne pouvais éviter. Des vagues qui me submergeaient. Je n'étais plus en colère contre ça. Ce qui me blessait, c'était de m'y être laissée prendre encore une fois. J'avais rêvé de trouver quelqu'un qui m'aimerait pour ce que j'étais, mais ce rêve se brisait à chaque message. À chaque échec, je m'enfermais un peu plus.
Je laissai tomber le téléphone sur le canapé, près de la baie vitrée, incapable de répondre à ce vide. Mais à peine avais-je posé les yeux sur l'écran qu'un bruit me fit sursauter. Un toc, lent et lourd. Puis un second. Insistant.
Je savais qui c'était. Sa façon de frapper ne laissait aucun doute.
Je me redressai lentement, pris une grande inspiration, et attendis. La porte s'ouvrit sans ménagement.
— "Comment vas-tu ?" Sa voix était sèche, dépourvue de chaleur. Un bruit d'indifférence, une sensation de gêne palpable dans sa manière de tourner la tête, de scruter ses ongles. Comme si je n'étais qu'une interruption dans son monde.
Je n'ai pas répondu tout de suite. Je voulais l'ignorer, m'enfermer dans mon silence. Mais ça n'aurait rien changé.
— "De cela, tu n'en éprouves aucun intérêt."
Je l'ai dit d'un ton ferme, froid. Il n'y avait plus rien à dire. Elle savait tout aussi bien que moi que nous étions deux étrangers sous le même toit, partageant un même nom mais pas une même vie.
Elle roula des yeux, ce geste devenu automatique, comme si ma simple existence était une gêne. Elle baissa les yeux vers son téléphone, ses doigts glissant sans hâte. Puis soudain, d'un ton impérieux, elle brisa le silence.
— "Je crois que c'est bon. J'ai assez enduré pour aujourd'hui !" Elle se retourna d'un coup sec, ses talons frappant le sol comme des coups de marteau, soulignant sa hâte de fuir. L'air se fit encore plus étouffant. Chaque fois qu'elle était là, cette pièce se resserrait autour de moi, me comprimait.
Elle se dirigea vers la porte, prête à s'échapper, mais un poison de rancœur monta en moi, brûlant mes entrailles. Je ne pouvais plus le retenir.
— "J'aurais aimé que ce soit toi qui sois frappée par cette maladie et que tu meures !" Les mots étaient sortis brusquement, sans filtre. Tranchants, comme la douleur qui me déchirait.
Elle s'arrêta, mais ne se retourna pas. Un silence lourd, une éternité d'incompréhension, puis, avec cette voix glacée, elle répondit :
— "Et moi je suis soulagée que ce soit toi qu'elle ait choisie. Ainsi, la nature rétablit l'équilibre brisé par le passé."
Ses mots frappèrent plus fort que je ne l'avais imaginé. Ils se logèrent dans mon cœur, un poison insidieux, une rage incontrôlable. Mais je n'avais plus la force de lutter contre elle, contre cette indifférence glacée qu'elle appelait maternité.
Elle traversa la porte sans un regard en arrière. Je suis restée là, figée dans le silence, dans la même douleur. Les voix de mes parents résonnaient vaguement, lointaines, étouffées. Je savais ce qu'ils se disaient. Mon père, inquiet, demandait à ma mère si j'allais bien. Mais tout ça n'avait plus de sens. C'était des mots vides, des sons dans un monde qui ne m'appartenait plus. Il n'y avait plus rien à sauver ici.
Je me laissai tomber sur le canapé, épuisée. Une larme roula sur ma joue. Je la chassai rapidement, mais ce n'était pas par honte. Cette larme n'était plus une faiblesse. Elle faisait partie de ma lutte. De ma résistance contre un monde qui me fuyait.
J'étais seule. Mais cela ne me semblait plus étrange. C'était la seule vérité qui me restait.