En cette période, Oda Nobunaga était en train d'assiéger le Mino et de lutter contre Saitō Tatsuoki.
Pendant ce temps, dans le village de Shizuko, qui n'était nullement affecté par la guerre, tous les villageois étaient en train de récolter le riz.
Le riz avait poussé si abondamment qu'il menaçait de sortir des champs.
Cependant, parmi toutes les tâches liées à la culture du riz, la récolte était l'une des plus ardues.
Traditionnellement, le riz était récolté en coupant les plants avec une faucille et en les nouant en boisseaux.
Comme cette méthode nécessitait de se pencher, elle mettait inévitablement une énorme pression sur le dos,
Pour contrer cela, Shizuko avait fait fabriquer des moissonneuses manuelles.
Elles ne pouvaient que couper les plants de riz sans les nouer, mais il n'était plus nécessaire de courber le dos pour travailler.
Grâce à ces machines et à la répartition en groupes de moisson et de nouage, la charge de travail fut réduite avec succès.
Mais la quantité incomparable de riz faisait que même avec l'introduction des moissonneuses, il y avait tellement de travail que les paysans avaient la tête qui tourne.
Mais malgré cela, aucun d'entre eux ne montrait de signe de douleur.
"Hum, belle récolte. C'est un peu moins que prévu, mais ça va."
Shizuko hocha la tête avec satisfaction en voyant les villageois récolter le riz.
Elle pensait qu'il y avait moins de riz que prévu, mais ce rendement était exceptionnel pour l'époque.
Elle aurait aimé se détendre une fois la récolte terminée, mais il y avait encore beaucoup à faire.
Tout d'abord, le riz devait être séché.
Le processus de séchage consistant à aérer les boisseaux de riz en les accrochant à des poteaux influençait grandement le goût du riz.
En fonction du temps, cela prenait généralement une à deux semaines.
Une fois le riz séché, il devait être battu ; et après que la balle de riz soit retirée, il devait être poli.
Cependant, le riz ne pouvait pas être conservé longtemps si la balle a été enlevée.
Par conséquent, le riz était emballé dans des ballots sans que la balle soit retirée.
En cette époque Sengoku où les réfrigérateurs n'existaient pas, cela allait sans dire que la préservation à long terme était la priorité numéro un.
Concernant le décorticage et le polissage de riz, le polissage prenait du temps, mais pouvait être effectué avec une roue à aubes.
La vitesse de travail était d'environ 6 heures pour 1 koku (environ 15 kg), mais la majorité du travail était automatisée, et contrairement à la version mécanisée, les grains de riz n'étaient pas chauffés durant le processus, faisant que la saveur originale du riz était préservée.
Mais le décorticage était différent. Pour être plus précis, le problème se trouvait dans le tri du riz brun et du riz paddy après battage.
Shizuko avait préparé une méthode de tri via des plaques oscillantes avec des trous biseautés ; en les faisant vibrer horizontalement, le riz brun et le riz paddy étaient séparés en raison des différences de masse et de coefficients de friction, mais le résultat devait néanmoins être confirmé manuellement.
Contrairement à la méthode traditionnelle de tamisage du riz, cette méthode ne demandait pas beaucoup d'habileté et rendait le travail relativement facile, mais la quantité de riz était si immense que cela importait peu.
N'importe qui se lasserait face à une telle montagne de riz.
Je m'en doutais… une automatisation totale n'est pas vraiment possible.
Récolte, séchage, décorticage, polissage, une automatisation complète via les machines modernes ne pouvait être qu'une chimère.
Et bien qu'elle ait introduit des machines pour augmenter l'efficacité du travail, elles étaient toutes du côté manuel.
Comme prévu, il y avait une limite aux choses qu'une personne était capable de faire.
J'imagine que j'ai atteint ma limite. Viser trop haut ne sert à rien.
Souhaiter encore plus d'efficacité à ce stade était vain.
Shizuko accepta ce fait et se dirigea vers les rizières pour participer à la récolte.
Cinq minutes plus tard, son travail fut interrompu par la visite d'une certaine personne.
***
"Tout d'abord, permettez-moi de vous féliciter. Récolter autant de riz mérite des louanges."
"Merci beaucoup."
Shizuko baissa profondément la tête face à Mori Yoshinari qui arborait un grand sourire.
Les visiteurs étaient Yoshinari et ses hommes.
Elle fut surprise par cette visite soudaine mais émit l'hypothèse que Nobunaga avait probablement de nouveau pensé à quelque chose d'irraisonnable.
"Maintenant, passons à la raison de ma visite. J'ai une faveur à vous demander, Shizuko-dono."
"Oui, en quoi puis-je vous être utile ?"
Et ses spéculations se confirmèrent.
"Nous sommes actuellement en train d'attaquer le Mino. Mais prolonger cette guerre plus longtemps sera difficile pour notre armée."
"(À cette époque, rien que perdre un dixième de son armée était vu comme une défaite)… o-oui. Euh, en quoi cela me concerne-t-il… ?"
Shizuko posa cette question avec timidité.
Pour être honnête, Shizuko n'avait pratiquement aucun lien avec la situation de la guerre.
Les choses que Nobunaga lui avait ordonné de faire étaient strictement liées à l'agriculture.
Il ne lui avait pas dit de faire quoi que ce soit d'autre et elle n'avait aucune intention de s'y opposer.
Elle savait ce qui l'attendait si elle allait au-delà de ses limites.
"Le problème n'est rien de moins que les conséquences de la capture de Mino."
"Ce qui se passera après la conquête de Mino… ?"
En entendant ces mots, Shizuko repensa à l'Histoire.
Oda Nobunaga avait attaqué la demeure de Saitō Tatsuoki : le château d'Inabayama.
On raconte que Nobunaga avait essentiellement pris le contrôle de Mino au moment où le château était tombé.
Le jour de la chute du château était généralement déclaré comme étant le 15ème jour du 8ème mois de l'an 10 de l'ère Eiroku (1567).
Ce jour-là, Saitō Tatsuoki s'était échappé par la rivière Nagara et s'était réfugié à Nagashima dans la province d'Ise.
Après cela, le jeune homme de 20 ans n'était plus jamais retourné à Mino en tant que daimyo.
Et après avoir conquis le Mino, Nobunaga avait mené plusieurs petites batailles avant de prendre la capitale et y installer le nouveau shōgun.
Cela avait eu lieu durant le 9ème mois de l'an 11 de l'ère Eiroku (1568), soit dans deux ans.
"Mino est une région de l'ouest. Notre seigneur a la ferme intention de la mettre sous son contrôle. Une fois que cela sera réalisé, il prévoit de fortifier les fondations de notre pays."
Ouais, Mino et Owari ensemble, ça fait 1 million de Koku. Évidemment qu'il veut s'en emparer.
"C'est pourquoi il souhaite que vous participiez aux affaires domestiques."
"(C'est probablement pour améliorer le taux d'auto-suffisance) ... Pardon ?"
Shizuko n'en croyait pas ses oreilles. Durant l'époque Sengoku, les femmes n'avaient presque aucun droit humain.
Naturellement, elles ne s'impliquaient pas dans la politique, et toutes les positions importantes étaient occupées par les hommes.
Cela était un bon sens inéluctable pour cette époque.
"Euh… mais, je suis une fille ? C'est la première fois que j'entends parler d'une femme qui s'implique dans la politique !?"
"Certes, moi même, j'ai douté de mes oreilles lorsque j'ai entendu ces mots, la première fois. Mais le seigneur semble avoir déjà pris sa décision."
"Non, je veux dire… pourquoi ?"
Même pour un esprit révolutionnaire comme Nobunaga, cela dépassait beaucoup trop le bon sens.
Pour commencer, à cette époque, même les épouses officielles de daimyos célèbres n'étaient pas enregistrées dans les livres d'histoire.
Une femme devenant chef de village en raison de certaines circonstances était dans le possible, mais une position leur permettant de décider de la politique d'un pays était tout simplement inouï.
"Le seigneur apprécie beaucoup ce que vous faites."
"Vraiment ? Mais je ne me souviens pas avoir fait quelque chose qui mérite autant d'éloges… ?"
"Fufufu, ne soyez pas si humble. Vous avez magnifiquement ramené la vie à ce village et sécurisé une excellente récolte. Ce n'est pas quelque chose qui est facile à réaliser."
"Mais tout cela, c'est parce que les villageois ont travaillé dur…"
"Sans doute, mais cela n'aurait jamais été possible sans vous."
De telles louanges rendirent Shizuko complètement agitée.
"Hum… ce n'est que ma conjecture, mais je pense que le seigneur fait cela pour éviter qu'un autre pays ne s'empare de vous."
"E-Euh… c'est un honneur au-delà de quelqu'un comme moi."
Peu importe les exploits de Shizuko, au final, elle était dans un simple village.
La possibilité qu'elle reçoive une meilleure offre et quitte Nobunaga n'était pas nulle.
Conscient de cela, et pour l'empêcher de s'échapper, Nobunaga avait décidé de lui collier autour du cou.
Du moins, c'était ce qu'elle pensait.
"Cela me fait penser, il y a quelque chose que j'aimerais vous demander. Cela avait déjà piqué ma curiosité, mais que sont ces choses semblables à du bambou dans le coin du champ ?"
"Du bambou… ? Ah, vous voulez parler des cannes à sucre."
"Des cannes à sucre ?"
Yoshinari pencha la tête avec curiosité après avoir entendu ces mots inconnus.
"Ah, euh… hmm. Vous permettez ? Il faut que ça reste entre nous…"
Pour le moment, Shizuko ne voulait pas que les autres sachent pour les cannes à sucre, alors elle se rapprocha de Yoshinari et baissa la voix.
Yoshinari fut légèrement sur ses gardes, mais il se détendit après avoir réalisé que Shizuko ne voulait pas lui faire du mal.
"(Gardez cela pour vous et le seigneur… ces plantes sont la matière première pour fabriquer du sucre)."
"(Du sucre ?!)"
Yoshinari faillit le hurler à voix haute, mais il parvint à retenir sa voix.
Mais ses yeux étaient grands ouverts sous la surprise.
"(Mais bon, une démonstration vaut plus que mille discours. J'ai coupé des morceaux ce matin pour vérifier la maturité. Allez-y, croquez.)"
Après avoir dit cela, Shizuko donna l'un des deux morceaux de canne à sucre à Yoshinari.
Et elle mordit dans son morceau la première comme pour jouer les goûteurs.
Toujours incapable de dissimuler sa surprise, Yoshinari reçut la canne à sucre sans dire un mot et en mordit le bout.
"(… ! C'est sucré… est-ce que ces choses seraient la forme brute du sucre… ?!)"
"(Oui. Au premier regard, on a l'impression que c'est une version géante du roseau de Chine, alors personne ne penserait que c'est quelque chose qui est cultivé)."
"(Hum… en effet. J'ai cru que c'était du bambou jusqu'à ce que vous le me dites)."
"(Hum, et encore une chose, vu que nous sommes tout près. C'est à propos de ce que je fais des matériaux que j'avais demandés l'année dernière)."
"Hum… ? Ah oui, ça."
Depuis l'année dernière, Shizuko avait demandé à Yoshinari de lui fournir régulièrement certains matériaux.
Bien qu'il avait accepté de l'approvisionner, Yoshinari n'avait aucune idée d'à quoi servirait ces matériaux.
Il avait le pourquoi à plusieurs reprises, mais Shizuko avait répondu à chaque fois « Pas tout de suite, j'ai peur que des agents secrets nous entendent ».
"(Juste pour que vous sachiez. Je ne sais pas encore si je vais réussir.)"
Sur le point de connaître enfin la réponse, Yoshinari trépigna d'excitation malgré son âge.
Mais cette excitation se transforma très vite en une autre émotion.
"(Si j'y arrive… ça deviendra de la poudre à canon)."
***
"Ça s'est bien passé ?"
La première chose que fit Yoshinari après avoir quitté le village de Shizuko fut de faire son rapport à Nobunaga.
Nobunaga lui accorda la priorité, comme s'il avait reçu une prémonition.
Et la première chose qu'il demanda à Yoshinari fut de savoir si ses ordres avaient été exécutés avec succès.
"Oui ! Elle a été assez surprise, mais elle a accepté."
"Je vois. Cela n'a rien d'étonnant, une femme impliquée dans les affaires domestiques, c'est du jamais vu."
"En effet… mais après avoir appris à la connaître, je comprends maintenant pourquoi vous la favorisez."
"Hoo ?"
Nobunaga, souriant, l'incita à continuer d'un geste du menton.
Voyant cela, Yoshinari fit signe à un serviteur près de lui d'apporter un objet devant leur seigneur.
"Qu'est-ce que c'est… ?"
C'était une assiette avec plusieurs tranches de légumes posées dessus.
Le daikon et le navet étaient magnifiquement coupés en demi-cercles.
"C'est un plat créé par Shizuko-dono qu'elle appelle [Nukazuke]. Elle avait dit que c'était un plat riche en sel qu'il fallait éviter de consommer excessivement, alors j'ai pris la liberté de ne présenter qu'une petite portion."
"Comme d'habitude, cette femme conçoit des choses étranges."
Après ce commentaire, Nobunaga prit ses baguettes et mit un morceau de daikon dans sa bouche.
"Délicieux. C'est assez agréable à mâcher."
"Je le pense aussi, la nourriture qu'elle conçoit et exotique en plus d'être délicieuse."
"J'ai été bien surpris lorsque j'ai mangé ses plats, la première fois."
"Et maintenant, je comprends pourquoi vous lui accordez tant d'attention. Le savoir que possède Shizuko-dono est effrayant. Si un autre pays volait ces connaissances, cela serait une grave menace."
"Hum. Et combien de riz cette femme a-t-elle réussi à récolter ?"
"Ce n'est qu'une rude estimation, mais je pense qu'il y en a pour environ 200 ballots."
"Bien plus que les 25 ballots que j'avais demandés. C'est une quantité impressionnante pour un village de seulement une centaine d'habitants. Si je lui donnais de l'autorité et la faisait augmenter davantage la production, cela faciliterait grandement mes guerres."
Il allait sans dire que durant l'époque Sengoku, la quantité de riz produite avait un rôle capital.
L'unité de mesure était le kokudaka, soit la quantité de riz mangée par une personne en un an.
Selon le système de valeurs utilisé au milieu de l'époque d'Edo, 1 koku valait 150 kg.
Durant l'époque Sengoku, les chiffres variaient selon la région et le seigneur, alors les valeurs exactes étaient inconnues.
Mais que ce soit l'époque d'Edo ou l'époque Sengoku, le kokudaka avait un rôle très important.
"Cependant, devons-nous vraiment la faire participer aux affaires internes ? Je trouve que nous pouvons laisser les choses comme elles sont."
"Cette fille est du genre à avoir la tête dans les nuages. Si un agent secret la mystifiait et la faisait me quitter, je ne pourrais jamais le supporter. De plus, elle est de nature douce, plus il y aura de vies qui dépendront d'elles, moins elle sera capable de fuir."
"Que voulez-vous dire par là… ?"
Nobunaga posa ses baguettes et prit une grande inspiration avant de répondre à la question de Yoshinari.
"Shizuko possède de nombreux talents dont j'ai besoin. Elle devrait donc être capable de désobéir à mes ordres, de fuir et de servir un autre seigneur. Mais elle ne l'a pas fait. C'est simplement parce qu'elle n'ose pas abandonner les villageois."
"Certes, cela semble être le cas."
"Elle n'ose pas se dissocier des gens qui dépendent d'elle. Et c'est précisément à cause de cette naïveté enfantine que je lui accorderai de l'autorité. Ainsi, j'obtiendrai son savoir tout en empêchant sa trahison. Mais je ne dois pas faire sortir ces connaissances trop violemment. Il y a la possibilité qu'elle suspecte quelque chose et prenne la fuite."
"Elle pourrait soupçonner d'être éliminée une fois qu'elle aura prodigué tout son savoir."
"Exactement. Et j'ai encore besoin d'elle en vie pour qu'elle travaille pour moi."
La conversation avec Yoshinari se termina ainsi.
Nobunaga le fit partir et poussa un léger soupir.
"Pays riche, armée puissante, hein…"
Nobunaga murmura les mots que Shizuko avait dits.
Cette fille se distingue encore plus que je ne l'avais imaginé. Pour l'instant, ce ne sont que les affaires domestiques, mais je peux voir qu'à l'avenir, son savoir originaire du Nanban sera également nécessaire dans le domaine de la guerre.
L'intégration des techniques du Nanban dans son armée.
Nobunaga attendait ce jour avec impatience.