Le trio marche le long d'un cours d'eau. En quête de nourriture, Rajik essaye d'attraper des poissons. Yoru, calepin en mains, note et dessine tout ce qu'il voit, satisfait d'avoir répertorié tout la flore locale. Intrigué, Rai se rapproche de lui, jetant un œil sur son travail.
« Tu te demandes dans doute pourquoi tout ça ? Mon mentor m'a enseigné le soin par les plantes. Connaître les propriétés de la merveilleuse flore que recèle le monde de Faironne peut s'avérer très utile malgré les apparences. Par exemple, certaines plantes peuvent désinfecter des blessures, détendre l'esprit, et tant d'autres fonctions... C'est lui qui m'a transmis l'art de cultiver son jardin. Connaître un maximum de choses sur ce qui nous entoure est d'une richesse insoupçonnée. Cela forge notre intelligence et notre perception sur le monde. »
« Voir quelqu'un comme toi employer de tels mots prouve qu'on t'a bien aidé. Ton mentor devait être quelqu'un de bien. »
Bien qu'il approuve sa remarque, il tourne un peu la tête, pris par une émotion qu'il préfère cacher. Tout de suite, Rai sent qu'il a touché un point sensible. Loin chez lui l'envie de le voir en larmes, il préfère ne pas insister dessus. Pendant un petit instant, il cherche un moyen quelconque de détourner l'attention. C'est en posant les yeux sur son katana que lui vient une idée.
« J'ai une question. Pourquoi, Enijiakku comme toi ou Shirenai comme moi, on n'a qu'une arme ? »
« En posséder plusieurs et attaquer ou se défendre avec, ce serait bien en effet. Mais ça demanderait trop d'énergie en même temps. »
Soudain, Rajik s'arrête, son pif en alerte rouge.
« Tu as flairé quelque chose ? »
« Moi sentir quelqu'un par-là ! »
« Comment fait-il pour savoir ça ? »
« Je l'ignore encore. Le développement aigu de ses sens reste encore une énigme pour moi. Malgré tout le temps passé auprès de lui. Mais je compte bien percer son secret ! Je l'observe. Il est mon cobaye. »
« Mais alors, il n'est pas ton ami ? »
« Il l'est. Mais tu vois... En tant qu'Enijiakku... J'ai un devoir... Et je ne veux pas faire des expériences sur moi. Je tiens à rester en vie le plus longtemps possible pour accumuler le plus de savoirs possibles. »
Ils partent, Rajik en avant. Après deux minutes de marche à peine, ils découvrent un feu de bois encore en activité. Des personnes sont tout autour. Un se démarque des autres par un accoutrement tribal et un collier incrusté de pierres banales. D'autres personnes tendent leurs mains vers le feu, d'autres portent des instruments. Les trois amis découvrent la scène.
« Que font ces gens ? » demande Rai.
« Je l'ignore. Ils doivent certainement se réchauffer. »
« Ou faire cuire viande ! »
Malgré l'évidente pertinence de son propos, l'absence d'odeur de viande à proximité vient tout détruire. Il soupire de déception. Soudain, quelques-uns commencent à faire de la musique.
« Eux sonner temps de manger ? »
« Rajik, est-ce que tu peux, s'il te plaît, arrêter de penser qu'à ça ? »
Les danseurs commencent leur chorégraphie.
« Eux faire quoi ? »
« En parcourant la face septentrionale de Faironne, Rajik et moi avons croisé d'autres groupes de personnes faisant appel à des coutumes à base de danse et de musique. J'en ai répertorié quelques unes. »
Les personnes continuent de s'agiter. Le rythme musical est accéléré. Certains poussent des petits cris. Les pierres présentes sur le collier du chef se teintent alors de rouge. L'étrange lueur qui en émane intrigue Rai et Rajik.
« On dirait un assemblage d'arcanes. A l'intérieur se trouve un sceau de maîtrise énergétique emprisonnant un élément. »
« Tu veux dire comme cette chose qu'on voyait sur les invocations ? »
« Exact. Il existe une multitude de sceaux. Chacun possède sa propre utilité. Pour réaliser ça, il faut une grande connaissance des propriétés de chaque élément et une grande maîtrise de son propre élément. Les arcanes, selon la complexité du sceau, possèdent une plus ou moins grande quantité d'énergie. »
« Mais... Je croyais que les Shirenais et les Enijiakkus étaient les seuls capables de faire appel aux éléments. »
La vérité implacable évoquée par Rai engendre le doute dans les réflexions de l'aquamancien. Et si tout ce qui a été cultivé et répété au fil du temps reposait sur un mensonge ou une ignorance ? Le seul moyen d'élucider tout ça est de constater l'exception à la règle.
« Alors nous devoir faire baston puisque eux avoir pouvoirs ! »
« Surtout pas. Nous ignorons la puissance de cette arcane. Nous devons observer avant d'agir. »
L'homme à l'allure plus tribale que les autres se relève, bras tendus vers le sujet de leurs activités. Les danseurs s'arrêtent, s'écartent et tendent leurs mains vers lui. »
« Le moment tant attendu est arrivé ! Nous allons savoir si ce que nous a donné cet homme fonctionne. Répétons la formule qu'il nous a dite. »
« Oui chef ! » lui répond ses hommes.
« Efaï, amé té impelazam. Efaï, amé té ivazam selolaz. Efaï, apazasté amé nodaz téama éner ? » crie la tribu. *1
« Moi rien comprendre à ce que eux dire. »
« Cette langue m'est tellement familière... » remarque Rai.
« Tu as dû forcement l'apprendre dans ta jeunesse. C'est normal qu'elle le soit pour toi. Et quelque part, ça confirme que ta mémoire n'est qu'enfouie. C'est encourageant. Pour en revenir à ce qu'ils disent, en gros, ils implorent l'élément du feu de donner une partie de son pouvoir. »
« C'est réellement possible une chose pareille ? »
« Je n'en sais strictement rien. Mon mentor ne m'a jamais sous-entendu de telles affirmations. Observons. Si cela se confirme, je ferai quelques expérimentations. »
« Efaï ! Efaï ! Amé ivazam omaz koru ! »poursuit la tribu.
Les appels, vociférés avec vigueur, semblent avoir leur petit effet. Le feu est excité de plus en plus. Le résultat les pousse à reprendre leur danse et leur musique, tout en augmentant la cadence. L'élément tant désiré se dirige vers les pierres composant le collier. Soudain, une escouade composée de trois Shirenais débarque. Tous les trois portent une longue cape noire à capuche. Celui se trouvant en avant possède un fourreau rouge et courbé en avant. Seule une boucle de ceinture dorée le distingue de ses camarades. L'un des deux autres porte un fourreau bleu, et le dernier un fourreau vert foncé.
« Veuillez cesser vos activités sur le champ ! Ou tout le monde sera exécuté sur le champ ! » ordonne le chef de l'escouade.
Sous le coup de la menace, les danseurs et les musiciens s'arrêtent brutalement. Le Shirenai au fourreau bleu aperçoit le collier arboré par le chef tribal.
« Chef, cet homme a sur lui de forts débits d'énergie du feu. »
« Ce sont des arcanes ! Réquisitionnez-les ! »
Alors qu'il tentait de l'attaquer par surprise, les deux guerriers sans boucle dorée l'interceptent et placent leurs lames sous sa gorge. La rapidité de l'action surprend le trio d'observateurs.
« Qui vous a donné ceci ?! » éructe le meneur de l'escouade.
Personne ne répond. La terreur paralyse leurs bouches.
« Pratique illégale de maîtrise élémentaire et complicité avec un Enijiakku. Seuls ces merdeux peuvent en fournir. Maudits soient-ils ! Qu'ils crèvent ! » hurle-t-il.
« Pourquoi autant de haine envers vous ? Pourquoi vous ne pouvez pas exercer la maîtrise des éléments comme eux ? C'est injuste ! Il faut faire quelque chose ! » s'insurge le Shirenai de foudre.
« Moi d'accord ! »
« Baissez d'un ton, s'il vous plaît. Et que comptez-vous faire face à une patrouille tout en sachant qu'on a galéré face à une invocatrice ? Je ne parcoure pas Faironne pour me chercher des problèmes. Je ne veux pas aggraver la situation déjà bien grave des miens en m'affichant ainsi. »
Ce qu'il raconte fait directement écho à ce qu'il a pu entendre de la bouche du mercenaire Shipé ou de la rage d'Endalia. Aussitôt, malgré le profond sentiment d'injustice qui l'anime au plus profond de lui, par respect pour son ami aquamancien, il laisse la condamnation odieuse qui se profile sous ses yeux se dérouler normalement. Même chose chez Rajik.
« Videz vos poches ! Tout de suite » exige-t-il.
Il les menace en dégainant son arme. Terrorisés devant le symbole de leur domination, ils obéissent sans réfléchir. Rai observe l'arme dégainée.
« Yoru ? Tu as vu son arme ? Elle est différente de la mienne. Pourquoi ? »
« Oh oui... Ce détail... Je ne suis pas un réel spécialiste en armement Shirenai mais ce que j'ai pu constater c'est que, en fonction de l'élément, le Shirenai porte une arme distincte. Attends, je vais consulter mes notes. »
Les deux subordonnés saisissent le chef de la tribu. L'envie de les délivrer démange Rajik de partout.
« Voilà, c'est là. Quatre armes pour quatre éléments. Tout d'abord, la terre. Ses utilisateurs portent une épée droite et la plus imposante des quatre. Le feu. L'arme est courbée vers l'avant. Cette forme assure une meilleure précision pour l'envoi de flammes. L'eau. L'arme est courbée vers l'arrière et pour la même raison que le feu. Ces deux armes s'opposent tout comme l'opposition élémentaire feu/eau. Et nous connaissons l'arme pour la foudre. »
« Moi m'en ficher totalement de comment eux être armés ! Moi vouloir les tabasser ! »
Celui en charge de l'escouade observe attentivement la manière avec laquelle les pierres constituant le collier sont assemblées. Ceci ne peut pas être l'œuvre d'un clampin lambda, non. La chaleur est répartie de manière équitable entre chaque composant. Seul un Enijiakku a pu crée une atrocité pareille. Ces pauvres types sans pouvoir l'ont certainement déjà payé. Connaissant leur curiosité légendaire, il enflamme subitement sa lame, ce qui surprend les observateurs et fait peur à la tribu.
« Que votre complice sorte de sa cachette ! Ou je carbonise les lieux ! » menace-t-il.
« Comment il a su que tu étais là ? » interroge Rai en s'adressant à son ami spécialiste de la glace.
Assez de cette passivité, Rajik concentre du ki dans ses jambes. Le Shirenai au fourreau vert ressent tout à coup des vibrations au sol.
« Charge Bestiale !! » hurle-t-il.
Il fonce à vive allure vers les Shirenais qui portent le chef de la tribu. Yoru, tellement habitué à ce genre de situations lorsque Rajik est aux commandes, n'a même plus la force d'avoir de la pitié ou de la lassitude. Alors qu'il croyait à un échec imminent, il se trouve que l'effet de surprise fonctionne. La vélocité de Rajik est telle que même le Shirenai apte à capter toute énergie grâce à des secousses n'a pas le temps de réagir. Un violent direct du droit percute son visage, le propulsant alors sur plusieurs mètres. Les deux autres représentants de Kigen, ainsi que toute la tribu, stupéfaits devant un tel spectacle, se demandent quel drôle d'individus est venu s'opposer à l'autorité.
« Qu'est-ce qu'on fait ? On ne va quand même pas le laisser tout seul ? » demande Rai à l'Enijiakku.
« Je te jure, parfois, il m'énerve vraiment. J'aimerais juste que quelqu'un lui fasse la leçon une bonne fois pour toutes. »
« On intervient ? »
Yoru, doutant s'il doit élaborer une stratégie dans l'urgence ou non, ne sait pas quoi répondre.
« Tu vas regretter amèrement de t'en être pris à notre autorité ! » menace le second subalterne.
« Amépan ! » invoque le Shirenai précédemment percuté, lame plantée au sol.
Soudain, sous l'effet d'une pesanteur très localisée, Rajik a les pieds plantés au sol.
« Izinaraé Olaï ! » poursuit son collègue de grade.
Des bulles d'eau apparaissent dans l'air et s'étirent afin de créer des aiguilles en surpression.
« Ne bouge pas ! Ou mes petites merveilles s'occuperont de toi ! »
« Moi avoir horreur aiguilles ! »
Leur chef ne remarque aucun Obujepawa apparent sur l'agresseur. Serait-ce l'œuvre du même fournisseur de cette pitoyable tribu ? C'est au tour de Rai se ressentir l'envie pressante d'aider. Yoru s'empresse d'analyser les tenants et les aboutissants. Ainsi, il déduit les éléments de chaque membre de l'escouade. Voilà le point de départ de sa réflexion.
« Même si on n'a pas réussi à savoir qui a pu leur fournir ces arcanes, on a de quoi se réjouir avec celui-là ! » avance le créateur d'aiguilles.
« Défier l'autorité Shirenai est un crime très grave. Il sera jugé en conséquence ! » menace celui ayant reçu le coup.
« Nous continuerons notre enquête plus tard. Emmenons déjà ce contrevenant. Toute agression doit être punie. Il tombe bien celui-là. Il montrera l'exemple à tous ceux qui espèrent avoir du pouvoir alors que leur nature le leur interdit dès la naissance. » souligne leur supérieur.
Du sable, sous le contrôle du Shirenai manipulant la gravité, désirant matérialiser une sorte de menottes, vient se regrouper dans la paume de sa main gauche, grâce à un mouvement de son épée.
« J'ai une idée. » propose Yoru.
« Laquelle ? Nous devons faire vite. »
« Je vais d'abord geler la technique de mon homologue d'élément. La gravité imposée sur Rajik par celui affilié à la terre va éclater les aiguilles. Un travail d'équipe irréprochable permettra à ce résultat de se produire. »
« Je vais faire de mon mieux. »
« Tu ne dois pas faire de ton mieux. Tu dois réussir. Ou Rajik finira mal à Kigen, surtout s'ils l'assimilent à l'un de mes semblables. »
Encore le discours de Shipé bien gravé en mémoire, il accorde sa pleine confiance dans l'intellect dans son ami, dont l'efficacité n'est plus à prouver. Sa main droite gèle discrètement afin de ne pas veiller trop brusquement les sens des geôliers du combattant adepte de l'énergie neutre.
« Sois prêt. Vise celui de terre avec un éclair. Il ne subira aucun dégât majeur à cause de l'avantage énergétique qu'il aura sur toi. C'est juste pour l'éloigner et rompre la contrainte agissant sur Rajik. Compris ? »
Guidé par ses paroles, il dégaine son katana, tout en concentrant intelligemment sa foudre, se calquant sur le bruit d'une douce rivière, prenant de plus en plus d'ampleur, qu'il peut percevoir via la force en cours de libération chez l'aquamancien.
« Quand tu veux. Je suis prêt. » assure Rai.
« Ilwayon. » invoque son compagnon.
Avec une précision chirurgicale, à l'image du génie de leur lanceur, de minuscules rayons de glace atteignent toutes les aiguilles de manière simultanée. A l'impact, elles gèlent instantanément. La gravité encore active les plaque et les brise au sol. Les Shirenais ne s'attendaient pas à un tel enchaînement d'événements.
« Maintenant ! » indique l'Enijiakku.
Rai balance un éclair grâce à la pointe de son arme. Il atteint sa cible, uniquement repoussé comme expliqué précédemment par Yoru. Sous le choc, la gravité est annulée.
« Rajik ! Va-t-en ! Maintenant ! » poursuit le stratège.
Sans se poser plus de questions que ça, il part rejoindre ses amis immédiatement.
« Gibar Efaï ! »
C'est alors que le chef des patrouilleurs balance une onde de feu dans l'unique but d'empêcher sa proie de s'échapper. Ayant compris ce que le pyromancien a en tête, Rai, en quelques pas seulement, avec l'appui de sa foudre, encore une fois guidé par le bruit, intercepte l'attaque.
« Un des nôtres ? Qu'est-ce qu'il fait là ? Il l'aide ! » s'étonne l'homologue d'élément de Yoru.
Son chef pense dans un premier temps à un Enijiakku qui a volé une de leurs armes pour se faire passer pour un des leurs. Mais l'accoutrement si distinctif de Rai, et surtout son katana, arme interdite de circulation dans le Continent central, vient détruire sa thèse. Ce qui est sur, c'est qu'il ne l'a jamais aperçu dans les rangs de Kigen. Qui est-il ? Grâce à la courageuse manœuvre de l'adepte de l'électricité, Rajik réussit à rejoindre auprès de son ami. Une fois cet objectif atteint, Rai dévie la vague de feu et, contre l'attente de ses camarades d'armes, ne vient pas les attaquer et préfère retrouver ses compagnons de voyage.
« Moi pas avoir eu le temps de tous les taper. » se plaint l'ancien prisonnier.
« Idewer ! » invoque le géomancien de l'escouade, aura active.
Trois gros rochers, extraits du sol à distance d'un simple mouvement d'épée, foncent sur le trio de fuyards. Rai arrive auprès d'eux.
« Et maintenant ? » demande ce dernier.
Le grimoire de Yoru gèle complètement, dans l'unique but de capter toute fraction d'humidité se trouvant à proximité pour alimenter le sort mûrement pensé par son propriétaire.
« Si seulement j'avais un peu plus de temps, on serait déjà loin ! » leur avoue-t-il sous la panique.
« Moi pouvoir les casser ! »
« Non Rajik ! Tu as déjà crée assez de problèmes pour aujourd'hui ! »
La source du problème identifiée, Rai essaye intérieurement d'invoquer la fameuse voix qui intervient à chaque fois qu'une ou qu'un danger imminent se présente à lui. Les rochers sont très proches d'eux. N'obtenant aucun résultat au premier essai, il en vient aux supplications. Voulant se racheter, le spécialiste du corps-à-corps, malgré les réprimandes du cerveau de la bande, enfreint une nouvelle fois les règles, énergie rassemblée de manière équitable entre ses bras et ses jambes. L'élan qu'il prend étonne ceux qui les pourchassent et la tribu. Quels arcanes utilise-t-il ? D'un "Poing Bestial" bien placé, il pulvérise chacun des massifs projectiles tirés. Son action permet à Yoru d'obtenir la quantité d'élément nécessaire. Avec le reste de forces encore présentes dans ses membres inférieurs, Rajik rattrape le duo.
« Cramponnez-vous ! » indique l'Enijiakku en posant une main au sol.
Afin de créer une attaque combinée, les trois Shirenais amplifient leurs auras à leur maximum.
« Ser Ilwaï ! »
Un gros pilier de glace, orienté en avant, surgit subitement sous les fuyards, leur permettant de quitter les lieux très rapidement. Ne pouvant que constater leur échec cuisant, la patrouille interrompt tout de suite le processus en cours.
« Merde ! » hurle le meneur
« Sans vouloir vous heurter, pouvons-nous retourner à Kigen ? »
Pris d'une profonde frustration intérieure, aucune réponse. Le dégoût qui en découle les dissuade d'arrêter la tête de la tribu.
« Chef ? »
Le détachement armé de Kigen quitte à son tour les lieux, laissant les nomades dans un mélange de stupéfaction et d'admiration. Plus tard, ailleurs, le trio d'aventuriers atterrit grâce à des colonnes de glace, moins volumineuses que la première, invoquées par Yoru pour amortir leur chute.
« On a réussi... Nous sommes en sécurité. » déclare-t-il.
« Toi avoir bien joué. » se réjouit Rajik.
« Abstiens-toi Rajik ! Tu as failli te faire attraper cette fois ! Tu as de la chance que Rai est avec nous. Si nous étions seulement que deux à ce moment-là, je n'aurais rien pu faire ! Tu l'as bien vu face à cette invocatrice, non ? Alors face à une patrouille, c'est encore pire ! Ne compte pas tout le temps sur nous pour te corriger ! »
« Tu as parfaitement raison Yoru. » ajoute Rai.
« Toi être pareil que lui maintenant ? »
« Ce n'est pas ça que je dis... Pardon... Yoru, ils vont arrêter ces pauvres gens. Tout ce qu'ils voulaient c'était d'apprendre comment faire comme nous. Il n'y a rien de mal à ça. Est-ce la paranoïa qui amène l'élite de Faironne à agir ainsi ? »
« Moi d'accord avec Rai. Eux être fous. »
« Tel est le monde dans lequel nous vivons Rai. » abat sèchement l'aquamancien.
Face à cette vérité grinçante, le sentiment d'injustice persiste dans l'esprit de l'amnésique, à deux doigts d'abandonner définitivement ses attributs de Shirenai. Quel peuple honteux... La vraie élite vient de l'autre camp. Ils ont toutes les raisons valables d'être à la tête de Kigen.
« Les Shirenais ont le monopole élémentaire. Étant un pestiféré d'Enijiakku à leurs yeux, je veux rester inaperçu quoiqu'il arrive. Je me suis promis des choses depuis que j'ai acquis le précieux héritage de mon mentor. Toutes les connaissances propres à notre monde doivent être répertoriées. Une fois que j'aurais compris sa structure, je la décortiquerai, en espérant y dénicher ce pourquoi nous existons et si ça en vaut la peine. »
Cette justification, aussi existentialiste soit-elle, ponctuée d'une sincérité évidente, soulève plusieurs questions dans l'esprit de Rai et vient appuyer sa thèse sur qui devrait dominer.
« Alors, continuons notre chemin et restons discrets jusqu'à ce que nous résolvons ton énigme. Ça vaut également pour toi, Rajik. »
« Moi pas besoin de savoir pourquoi moi être vivant. Moi être bien comme ça. »
« C'est injuste... Ces gens ne représentent pas une menace envers Kigen. »
« Cette loi existe depuis le conflit élémentaire. Il en a toujours été ainsi. Elle garantit la paix dans notre monde. »
« A quel prix aussi ? »
« Crois-moi. Moins on en sait, mieux c'est. »
« Bizarre que tu me répondes ça, après ce que tu viens de nous avouer, non ? »
La surprenante lucidité derrière cette question surprend celui qui a l'habitude au sein du trio de lever le voile sur toute incohérence dans sa ligne de mire. Serait-ce un indice que sa véritable identité ?
« Tu n'es pas curieux à ce sujet ? Comme à ton habitude ? » poursuit Rai.
« Bien sûr que oui. Maître Kigzir lui-même était révolté par cette loi. Toujours obligé de se justifier auprès des autorités Shirenais à longueur de temps. Aucune liberté dans ses expériences sur les éléments. Mais, il l'acceptait. »
« Tu l'aimais beaucoup ? »
Face à cette interrogation ne pouvant se permettre aucun détour, il ne lui répond pas, un peu gêné. D'ailleurs, c'est bien la première fois pour Rajik que son meilleur ami dénote une instabilité émotionnelle avant un désarmement rationnel.
« Tu ne veux pas te battre pour lui ? »
« Arrêtons d'en parler, je t'en prie. Partons. » répond-il sèchement, le dos tourné, en entamant une marche non réfléchie.
Inquiet de ce changement inhabituel, l'homme baraqué le rejoint sans persister dans la fêlure entamée par le manieur de foudre. Pourquoi a-t-il rejeté sa démarche ? Qu'est-ce qui le pousse à avoir de tels réflexes face à ça ? Yoru, toi aussi, tu es une énigme.