'Enfin rentrée...'
Aina soupira lourdement en retirant son épaisse écharpe, pour la poser délicatement sur le porte manteau, par-dessus sa veste d'hiver. Elle était essoufflée et avait le front luisant de sueur. Elle avait couru dans la montagne et dans la forêt, pour rattraper le retard qu'elle avait pris au village.
Par chance, elle était pile à l'heure et c'était un soulagement pour elle. Maître Lust, qu'elle avait aperçu par la fenêtre du premier étage ne pourrait donc pas utiliser cette occasion pour lui faire payer la colère dans laquelle elle l'avait mise quelques heures plus tôt et elle en fut presque heureuse.
« Aina. » l'interpella une voix, qui la fit presque sursauter.
« Elvan. » répondit-elle presque aussitôt, avant même de le réaliser.
Le majordome se tenait dans l'entrée, juste à côté du grand escalier menant à la salle à manger et aux chambres. Il portait son uniforme, dont les manches étaient légèrement teintées d'une poudre blanche, qu'elle supposa être de la farine.
'Il a dû aider à préparer le diner.'
Il supervisait toujours la réalisation du buffet qui serait servi aux membres de la famille, parce que ce genre d'évènement devait être parfait. Rien ne devait être laissé au hasard.
« Comment vas ta migraine ? »
Aina releva les yeux vers lui, croisant ses iris aussi claires que l'océan, dans lesquelles elle eut l'impression de se perdre. Son regard n'exprimait rien de spécial, mais sa voix trahissait la considération qu'il éprouvait à son égard et qu'elle trouva d'ailleurs légèrement réconfortante.
Il était visiblement l'un des seuls à s'inquiéter pour elle ici, comme un ami. Elle ne pouvait qualifier avec certitude la relation qu'elle entretenait avec cet homme, mais elle lui faisait confiance et appréciait ses petites attentions.
« Ça va mieux, merci. » le rassura-t-elle sobrement.
L'homme hocha délicatement la tête, les yeux baissés et demeura quelques instants silencieux, en se frottant le menton. Aina, qui venait de déposer son panier sur la commode, glissa les mains sur son uniforme, légèrement inquiète.
Elvan avait l'air de vouloir dire quelque chose, sans y parvenir et cela ne la rassura pas. Elle ne voulait pas le brusquer et risquer qu'il se ravise. Aussi, attendit-elle bien sagement qu'il ouvre la bouche, en fixant ses lèvres rouge et charnues avec insistance, comme si elle pensait pouvoir les faire bouger par la force de sa pensée.
« Est-ce que... » finit-il par hasarder, la voix pleine d'incertitudes « Est-ce qu'il y a eu des changements... ? »
Aina retint un souffle, entrouvrant la bouche de surprise. Puis elle hocha la tête en se dandinant sur place, inconfortable.
« Non, rien ne m'est revenu. »
'C'est toujours le vide.'
Sa vie et son passé étaient toujours absents de son esprit. Elvan dû percevoir la pointe de déception qui perça dans sa voix, car il passa la main sur son épaule, comme pour la réconforter.
« Ils vont bien finir par revenir. » assura-t-il, se voulant plein d'optimisme.
Elle n'en était pas certaine. Ses plus anciens souvenirs dataient d'il y a trois ans, lorsqu'elle avait ouvert les yeux dans sa chambre de bonne, en plein milieu du manoir. Ce jour-là avait été particulièrement déconcertant pour elle. Elle s'était retrouvée dans un endroit inconnu, en ne se rappelant absolument rien. Elvan avait été le premier à tomber sur elle et l'avait aidé à comprendre qui elle était, en lui parlant de sa vie dans la demeure et de ce qu'il savait d'elle.
Elle avait dès lors espéré voir revenir les bribes de sa vie qui lui échappaient totalement, en vain. Elle n'avait recouvré aucune des parties de son existence depuis ce jour. Elle avait toujours l'impression d'avoir l'esprit vide et l'âme incomplète, comme si quelqu'un l'avait scindée en morceaux. Rien n'avait changé depuis le jour de son « éveil », si ce n'était sa résignation vis-à-vis de la situation.
Elle était presque convaincue de ne pas pouvoir recouvrer la mémoire. Au début, elle avait eu bon espoir d'aller mieux, surtout après l'apparition de fréquentes migraines, durant lesquelles il lui arrivait d'entendre des voix, qu'elle ne parvenait jamais à discerner complétement, ou à identifier. Chaque fois que la douleur venait, elle tentait de se concentrer sur les sons, sur la scène qu'elle essayait d'imaginer, en espérant que cela provoque une sorte de déclic en elle, mais rien. Le tableau de sa vie demeurait parfaitement vierge, malgré ses efforts.
A force d'échecs, elle s'était résignée à ce que les images de son existence ne lui reviennent peut-être jamais.
'Cela semble sans espoir.'
Mais Elvan semblait déterminé à croire que la mémoire lui reviendrait, puisqu'il l'interrogeait chaque fois qu'une crise survenait.
Aina n'aimait pas particulièrement aborder ce sujet avec lui, ni avec qui que ce soit d'autre. Elle n'aimait pas être face à son échec et à son impuissance. Elle se sentait faible de ne pas parvenir à reconstituer les bribes de sa personne.
« J'ai ramené le courrier. » laissa-t-elle échapper, la voix pressante.
Elle voulait désespérément changer de sujet et si son interlocuteur le remarqua, il ne fit aucun commentaire sur le sujet. Elle l'entendit soupirer et fermer les paupières en se massant les tempes, comme s'il était ennuyé.
« D'accord...Va le déposer dans le bureau de maitre Wrath. »
La jeune femme fut surprise par sa demande, car il était habituellement le préposé au courrier de la demeure. Le jeune homme dut sentir son trouble, car il s'empressa de s'expliquer.
« Je dois réceptionner la commande de nourriture en cuisine. » se justifia-t-il en scrutant sa montre en argent. « Je ne peux donc pas le faire. »
Aina retint une grimace à l'idée de se rendre dans la chambre du patriarche, mais finit par hocher la tête, l'air résignée. Cet homme était terrifiant et elle ne voulait pas le croiser plus que nécessaire. Pourtant, il apparaissait qu'elle n'avait pas le choix.
« D'accord. » répondit-elle difficilement. « J'y vais de ce pas... »
Les épaules affaissées et le ventre tordu d'inquiétude, elle fit un léger signe de la main à Elvan, avant de s'engouffrer dans l'escalier, le pas lourd et traînant.
'Je n'ai pas du tout envie d'y aller...'
Elle ne se rendait que très rarement dans la chambre de son maître, mais cela ne la dérangeait pas. Wrath avait la réputation d'être froid et intransigeant, aussi craignait-elle de faire la moindre erreur qui pourrait le mettre en colère. Il lui faudrait être particulièrement prudente dans cet endroit.
Il en allait de sa vie.
Perdue dans ses pensées, elle ne remarqua qu'au bout de quelques minutes qu'elle avait ralenti le pas, comme si son corps tentait de la dissuader de s'y rendre. Inquiète, elle plissa les lèvres et serra les poings en arrivant devant la grande porte en ébène noire, qui se trouvait seule à l'écart de toutes les autres.
Elle avait les mains tremblantes et la vague impression de pouvoir étouffer sous la pression de son aura, même de l'extérieur de la pièce. Elle aurait voulu être n'importe où ailleurs plutôt qu'ici, mais se força néanmoins à frapper à la porte, le cœur battant et les mains serrées sur les enveloppes qu'elle pressait contre son torse, comme un bouclier.
« Entrez. » tonna une voix rauque et profonde, comme le grognement d'un ours.
La jeune femme sursauta presque en l'entendant et prit de petites inspirations, avant de pousser la porte. Elle accompagna son geste d'une courbette et se hâta de baisser les yeux, pour ne pas croiser ses orbes de glace qui lui provoqueraient presque des cauchemars.
« Le courrier, maître. »
Elle lui tendit la main, les lettres sur la paume et attendit. Pourtant, elle n'entendit rien à part le son de sa respiration et les battements de son cœur. Maître Wrath était désespérément silencieux, à tel point que cela en devint particulièrement inconfortable. Elle n'osa pas relever la tête vers lui, de peur qu'il se mette en colère et se contenta de ne pas bouger, en attendant le moindre signe de son maître.
Le temps lui parût passer au ralenti, avant qu'elle perçoive enfin un soufflement de nez presque ennuyé.
« Pose-les sur le bureau. » finit par ordonner Wrath, de sa voix terrifiante.
Elle ne perdit pas une seconde et se releva, sans pour autant croiser le regard posé sur elle de l'homme, qui était élégamment installé dans son canapé en cuir aussi noir que sa chevelure. Il portait une chemise blanche entrouverte sur son torse musclé et une grande veste noire qui reposait sur son pantalon en tissu sombre, qui dessinait les muscles saillants de ses cuisses. Maître Wrath était un homme imposant, qui – elle en était sûre – aurait pu lui briser le crâne en la giflant.
'Il fait toujours aussi peur...'
Tout était sinistre chez lui, que ce fusse son aura meurtrière et étouffante, ou ses yeux plissés et vides qui semblaient la transpercer à travers son masque, orné d'un visage contorsionné de colère. Cela aurait aussi pu être la chambre dans laquelle il résidait qui ressemblait à un musée des horreurs.
Aina ignora le regard qu'elle sentait dans son dos et s'avança jusqu'au bureau installé contre le mur. Elle découvrit pour la seconde fois l'étrange hobby de son employeur et s'empêcha de faire la moindre grimace, de peur que cet homme le remarque. Wrath avait l'habitude plus que curieuse d'accrocher tout un tas d'objets inquiétants sur les murs de sa pièce de vie.
Une chaîne en métal, des couteaux, une fourche ou encore un fouet en cuir, tout y passait. Cela allait des objets de tortures comme des pièges à loup, des cordes ou des gants couverts de piques à des objets du quotidien, mais qui ne la rassuraient pas pour autant. Des allumettes, une casserole, une canne en bois, une paire de gants, une bouteille brisée et un tisonnier... Tout était bon pour être placé sur son mur, sans que personne n'en comprenne jamais le sens.
Toutes ces choses donnaient à la pièce une atmosphère étrange... Presque étouffante, qu'Aina supportait très mal. Elle avait toujours été inconfortable dans la chambre à coucher de maître Lust, mais ce lieu lui faisait littéralement froid dans le dos, à tel point qu'elle refreinait l'envie de partir en courant d'ici sans se retourner.
Elle n'avait aucune idée de la raison pour laquelle elle ressentait tout cela, considérant que Wrath n'avait jamais été violent avec elle avant, mais quelque chose – comme une petite voix – lui chuchotait à l'oreille de fuir aussi loin qu'elle le pouvait.
« J'ai entendu que mon épouse t'avais fait demander. » remarqua-t-il après un moment, sortant la jeune femme de sa rêverie.
La capacité qu'avait cet homme à toujours tout savoir épatait la jeune femme. Même en étant régulièrement absent, le patriarche arrivait toujours à être au courant de tout, même des choses qui se disaient en secret, à la lumière de la bougie.
Comme s'il avait des oreilles partout.
Il fallait être prudent dans les choses que l'on disait entre ses murs, car on ne pouvait jamais être sûr de qui pourrait écouter. Il fallait ici se boucher les oreilles et surtout fermer les yeux, tout comme l'imposante statue en marbre blanc que la jeune femme aperçu dans le coin de la pièce.
Une grande femme quasi nue, aux mains liées et aux yeux larmoyants bandés, légèrement voutée en avant sur une grande pierre. Sur celle-ci était gravé à l'encre pourpre, imprécise et dégoulinante la phrase : « Et dans la violence seront noyés leurs pêchés ».
'Particulièrement réjouissant...'
Cela semblait coller parfaitement à la personnalité sinistre et cruelle de l'homme qui occupait ces lieux.
« Vous avez raison, monsieur. » admit-elle en déposant le courrier sur le rebord de son bureau, juste à côté de la boîte à cigares qui y trônait et de la bouteille rouge et luisante qui était posée juste derrière et sur laquelle était inscrite en lettre d'argent un mot.
'Nectar.'
Aina se demanda s'il vit le tressaillement de ses épaules, chaque fois qu'elle entendait sa voix, mais se rassura lorsqu'elle l'aperçut les yeux plongés dans un grand livre noir au milieu duquel il avait apposé un marque page doré.
« Que voulait-elle ? »
La jeune femme hésita, sans pour autant le montrer. Elle savait qu'elle aurait du dire la vérité à Wrath et lui parler de l'attitude de l'épouse face à leur fils Lust, mais quelque chose l'empêchait de le faire. Pour une raison qu'elle ne parvenait pas à expliquer, elle avait l'envie pressante de taire les secrets de madame, malgré le danger.
« Madame voulait que j'aille porter son courrier. » répondit-elle, le regard fuyant.
Aina vit Wrath grimacer, comme s'il était insatisfait par sa réponse et elle retint un souffle.
« Elle voulait également savoir si je vous avais vu. » s'empressa-t-elle d'ajouter, camouflant le tremblement de ses mains dans son dos.
Après ces mots, Aina attendit. Elle avait peur. Peur que le patriarche se rende compte de son mensonge et qu'elle soit contrainte de lui avouer que Madame lui avait expressément ordonnée de tenir le jeune maître Lust loin de mademoiselle. Maîtresse Sorrow n'avait rien dit à ce sujet, mais elle était certaine que les directives que cette femme lui donnait devaient demeurer secrètes.
« Mhm... » finit par souffler l'homme après un moment.
Il se frotta le menton, pensif et Aina écarquilla presque les yeux en voyant le coin de ses lèvres s'arquer délicatement en ce qui ressembla à un sourire, mais pas un doux et heureux comme cela aurait pu être le cas pour un époux envers sa femme. Non, cela était comme l'excitation d'une bête sauvage avant de fondre sur sa proie.
« J'ai dû lui manquer. » murmura-t-il, comme à lui-même.
Maître Wrath était un obsessionnel notoire et tout le monde savait que la chose qui l'occupait le plus était sa femme, qu'il n'autorisait presque jamais à quitter les lieux. Tous disaient qu'il voulait la garder enfermée ici, là où il pourrait toujours la voir.
'L'empêcher de s'enfuir.'
« As-t-elle bien reçu les fleurs que je lui avais fait porter ? » continua-t-il, visiblement de meilleure humeur.
Voyant que son maître n'avait pas remarqué son manège et qu'il était dans de meilleures dispositions, elle s'empressa de répondre.
« Bien sûr. » affirma-t-elle en hochant la tête. « Madame les a mises dans un vase. »
Wrath ricana et la jeune femme s'autorisa enfin à le regarder dans les yeux, pendant qu'il était distrait. Ce qu'elle aperçu en lui, lui fit froid dans le dos. Dans ses yeux presque translucides, elle aperçut la folie qui y sommeillait. Celle-ci était étrangement similaire à celle de l'homme représenté dans le tableau qui pendait juste au-dessus de lui.
'Bacchus entouré d'alcool et de femmes.'
Elle continua à l'observer avec curiosité et l'espace d'un instant, elle crut apercevoir quelque chose se dessiner autour de lui, comme... une image
La tapisserie bleu nuit qui complimentait son apparence lugubre s'estompa, pour laisser place à ce qui ressembla aux contours d'une autre pièce, baignée de lumière et semblant venir d'une autre époque. A son poignet apparu un bracelet en argent, orné d'un cadran avec des chiffres, comme celui d'une montre à gousset. Dans son dos se dessina le tour d'un cadre, puis en son centre deux personnes, bien étrangement vêtues.
Un homme et une femme l'un a côté de l'autre. Petit à petit leur silhouette lui apparurent en commençant par le bas et, malgré la situation et la présence de son maître dans la pièce, Aina ne détourna pas les yeux de la scène.
Elle ne savait pas ce qui était en train de se produire, mais elle avait le sentiment qu'elle était en train d'assister à quelque chose d'important, qu'elle ne devait absolument pas rater. Plus le corps des portraits apparaissaient et plus son cœur battait à tout rompre, sans qu'elle en comprenne la raison.
'Ne t'arrêtes pas de regarder', lui intima sa voix intérieure, comme si elle était possédée.
Elle distingua une femme à la chevelure aussi clair que les rayons du soleil et couverte d'une robe immaculée, ainsi qu'un homme vêtu d'un élégant costume.
Il fallait qu'elle voit leur visage, elle le sentait.
« Aina. » l'appela brusquement Wrath et soudain, elle cligna des yeux et tout disparu.
La bouche entrouverte et les yeux écarquillés, elle réalisa que ce qu'elle venait de voir s'était volatilisé.
'Que... Qu'est-ce que c'était ?' s'interrogea-t-elle silencieusement, envahie par l'inquiétude.
Pendant un cours instant, elle avait eu l'impression d'être ailleurs comme... dans un autre monde. Elle avait vu quelque chose... Une apparition ou une hallucination, elle n'en savait trop rien. Ce genre de choses ne lui étaient jamais arrivées auparavant, si bien qu'elle en fut totalement déconcertée.
Devenait-elle folle ?
Rien ne lui semblait familier et pourtant, elle avait l'étrange impression que quelque chose lui échappait... Comme si elle était proche de découvrir une chose cruciale.
« Aina ! » tempêta cette fois-ci Wrath, dont elle se rappela soudainement la présence.
Surprise, elle couina, comme un petit animal apeuré et s'agenouilla sur le sol, les mains sur la moquette. Cette réaction plus qu'émotive ne lui ressemblait pas, mais son corps avait réagi avant même qu'elle le réalise.
« Je suis désolée, maître, j'ai... » commença-t-elle, la voix tremblante, avant d'apercevoir les chaussures en cuir parfaitement cirées de l'homme, juste sous son nez.
« Il suffit. »
Elle vit son ombre se pencher et sentit son souffle juste au-dessus de son crâne, qui provoqua une terreur si intense en elle, qu'elle manqua de s'évanouir.
« Qui est ton maître ? » l'interrogea-t-il d'une voix menaçante.
Elle avait le souffle court et les mains moites, comme lorsqu'elle s'apprêtait à faire une crise de panique.
« Vous, monsieur... »
« Plus fort ! » grogna-t-il « Je n'ai pas entendu. »
« Vous ! » gémit-elle, fermant brusquement les paupières, comme pour éviter de se retrouver face à sa colère.
« Bien. » Il soupira lourdement, avant qu'elle l'entende se laisser tomber à nouveau dans son fauteuil. « Tâche de ne pas l'oublier, Aina. Je veux une obéissance immédiate à l'avenir, tu comprends ? »
Sa voix la fit trembler de l'intérieur.
[Tu sais ce qui arrivera si tu ne m'écoutes pas ?] entendit-elle une autre voix résonner dans son esprit, qu'elle ne reconnut pas.
« Et regarde-moi ! » s'agaça-t-il à nouveau, en frappant du poing sur la table basse qui faisait barrage entre son corps tremblant et lui.
Bien trop terrifiée par la situation, elle hocha la tête, sans s'arrêter pour relever le fait qu'elle venait à nouveau d'entendre des voix.
« Je n'aimerais pas avoir à te punir. » ajouta le patriarche d'un air sinistre, en caressant des yeux la cravache noire qui trônait au milieu du mur, juste en face de lui.
Elle n'avait jamais eu à connaître la colère de son maître avant, mais tout son corps trembla et se contracta en entendant ses mots, comme s'il se préparait à ce qui pourrait suivre. Comme s'il s'attendait déjà à la suite. Il ne semblait pas être sur le point de la frapper, mais elle avait l'intime conviction qu'il en serait tout à fait capable.
« Allons, ne sois pas si effrayée. » se moqua-t-il soudainement en riant. « Je vais faire une exception pour aujourd'hui, parce que tu es ma meilleure servante, mais que cela ne se reproduise pas. »
'Menteur.'
Elle était sûre que sa prétendue miséricorde venait simplement du fait qu'il n'avait pas envie de devoir rechercher une autre servante, ou de se salir les mains pour se débarrasser d'elle. Pourtant, elle hocha la tête et ne demanda pas son reste, de peur qu'il change d'avis.
« Va dans le grand salon et prépare la pièce pour le banquet maintenant. »
Elle s'exécuta aussitôt et trottina presque jusqu'à la porte, avant de se glisser dehors et de refermer derrière elle, sans même voir le rictus carnassier qui illuminait les traits de son maître. Elle poussa un profond soupire en se retrouvant seule dans le couloir et s'appuya contre le mur pour ne pas tomber sous le poids de son corps tremblant.
Elle avait cru courir à la catastrophe et espérait ne plus jamais avoir à retourner dans cet endroit. Elle avait finalement raison... Il valait mieux ne pas croiser la route de Wrath Signavit, si elle voulait rester en vie.