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Chapter 12 - Chapitre 11 - Réminiscence

« Vous allez bien mademoiselle ? » s'enquit Aina, qui marchait silencieusement à côté de la jeune enfant, depuis déjà quelques minutes.

Elle n'entendait plus les voix des autres membres de la famille, depuis qu'elles s'étaient éloignées du rez-de-chaussée pour se rendre à l'étage. Despair semblait avoir retrouvé son calme, depuis qu'elle avait quitté le grand salon, comme si le simple fait de sortir de cette pièce avait expulsé la chose qui la possédait. Maintenant qu'Aina observait sa jeune maîtresse, elle avait l'air d'une enfant tout à fait normale, quoique légèrement distraite.

Despair ne répondit rien, se contentant de hocher la tête, si bien qu'Aina se demanda si elle ouvrirait la bouche à nouveau. Elle devait bien avouer avoir été surprise, voire même inquiétée d'assister à l'accès de folie de la jeune femme, qui lui semblait tout droit sortie d'un mauvais roman.

[L'Eveil arrive...]

Sa voix froide et menaçante résonnait encore dans son esprit, comme une mise en garde.

'Elle a pourtant l'air totalement inoffensive...'

Aina ne savait pas si tout ceci était pour attirer l'attention de la famille, ou si Despair tentait réellement d'annoncer une chose qui finirait par se produire. La magie et la divination n'existaient à priori pas dans ce monde, mais personne n'était à l'abri de se tromper en la matière, puisque l'homme n'était pas omniscient. Peut-être la plus jeune de la famille n'était-elle pas ce qu'elle prétendait être.

Tout comme le disait le mot laissé devant la chambre de Fear.

Maintenant qu'elle y pensait, le message lui sembla d'autant plus curieux. Qui l'avait laissé ? Et pour quelle raison ? Cela était la première fois qu'une telle chose se produisait depuis qu'elle était ici. Elle ne savait pas si cela était une mauvaise blague, ou une tentative d'avertissement raté, mais elle ne pouvait de toutes façons pas en apprendre plus là-dessus. Le message avait été laissé dans le couloir, à l'heure où la plupart des servants n'étaient pas là et le manoir était si souvent désert, que la probabilité de trouver un témoin dans les environs était particulièrement faible voire inexistante.

Elle n'avait pas non plus très envie de jouer les détectives, pour percer un mystère qui l'intéressait peu. Elle avait bien d'autres choses à se préoccuper, que les éventuels secrets de la famille. Les seules choses qui méritaient son attention étaient son travail et le recouvrement de ses souvenirs perdus.

'Je n'ai pas le temps pour les commérages.'

Ses pensées curieuses s'estompèrent en arrivant devant la porte de la chambre de Despair, juste en face de celle de Fear. L'enfant se stoppa à côté d'elle et la jeune domestique prit cela comme un ordre d'ouvrir la porte, ce qu'elle fit sans broncher. La poignée tourna et la chambre s'ouvrit après un clic.

Aina fit signe à sa maîtresse d'entrer, ce qu'elle fit aussitôt, sans rien ajouter de plus. La servante lui emboita ensuite le pas, pénétrant à sa suite dans la grande chambre rouge bordeaux. La pièce était grande, presque autant que la superficie de celles des servantes réunies et remplie de peluches de petits animaux en tout genre, auxquels ils manquaient tous la tête.

Aina vit Despair traverser la pièce, jusqu'à s'asseoir sur le rebord de son lit, à côté duquel trônait un gros meuble en chaîne sombre, sur lequel était exposé une boîte transparente, fermée par un énorme cadenas en or, orné d'une fleur de jonc.

Elle s'étonna de constater que le coffret élégant renfermait une poupée de porcelaine, de facture délicate dont l'apparence était en tout point similaire à celle de sa propriétaire. Le jouet semblant enfermé dans une cage de verre, était placé là comme une œuvre d'art, destiné à n'être qu'une enveloppe sans âme tout juste bonne à ravir les yeux des visiteurs. Elle trouva la ressemblance avec Despair d'un certain mauvais goût et se demanda qu'elle pouvait bien être la nécessité d'une telle mise en scène dans la chambre d'un enfant.

Après quelques minutes de réflexion, elle se rappela des objets de torture de la chambre de Wrath et des peintures étranges de celle de Lust.

Mademoiselle Despair n'est pas la pire dans le domaine.

'Tout était étrange ici après tout.'

« Tu l'aimes ? » l'interrogea Despair, dont elle avait totalement occulté la présence pendant quelques minutes.

« Qui donc, mademoiselle ? » répondit-elle, incertaine de savoir de quoi pouvait bien parler l'enfant.

Cette dernière inclina la tête, comme si elle ne comprenait pas.

« Ma poupée. »

'Oh... La poupée.'

Aina se sentit particulièrement stupide, de ne pas avoir pensé à cette éventualité plus que logique avant, mais elle avait été surprise de découvrir qu'elle s'était autant approchée de la possession de sa maîtresse, sans s'en rendre compte. Elle hésita, sur la marche à suivre, mais se rappela que Despair n'était après tout qu'une jeune enfant, qui avait probablement des questions étranges, mais innocentes.

« Elle est très jolie, mais pourquoi est-elle enfermée ? » ne put-elle retenir sa curiosité.

Despair baissa les yeux, pour les glisser sur sa peluche, dont elle caressait le cou de manière affectueuse, donnant à la scène une atmosphère sinistre.

« Pour qu'elle ne s'échappe pas. »

Pour une raison qu'elle ne put expliquer, un frisson lui secoua l'échine. Elle se sentit soudainement très mal à l'aise, en présence de l'enfant et eut une vague envie de sortir de la pièce, sans vraiment comprendre pourquoi. Elle ouvrit la bouche, pour répondre à la jeune enfant, avant que son regard s'accroche à une petite table en bois, dans un coin de la pièce. Elle semblait ancienne et avait l'air d'avoir été utilisée de nombreuses fois, vu son usure.

Oubliant complétement la réponse qu'elle voulait donner à Despair, elle s'avança dans sa direction, presque machinalement. Une grande maison de poupée, ressemblant étrangement au manoir était posée là, juste à côté de sa copie conforme, mais d'un blanc aussi clair que la neige. En s'approchant, elle remarqua que la demeure sombre était l'exacte réplique de l'endroit où ils se trouvaient et que plusieurs de ses pièces avaient été affublées d'une petite poupée, à l'effigie de ce qui lui sembla-t-être les occupants de la propriété.

Elle reconnu Lust dans sa chambre, Wrath dans le bureau, Sorrow dans la bibliothèque et Fear dans la penderie. A l'étage elle vit une poupée, dont les cheveux étaient de la même couleur que ceux de Despair et les siens et qui ressemblait étrangement à la jeune demoiselle, en légèrement plus âgée.

'Void...'

L'héritière mystérieuse surplombait le manoir de sa seule présence, le yeux tournés vers la fenêtre. Elle remarqua également Elvan qui avait été étonnamment posté dehors, juste à l'intersection entre le manoir Memoria et son jumeau immaculé.

'Pourquoi l'a-t-elle représenté ainsi ?'

Elle trouva la reproduction étonnamment réaliste et se demanda qui pouvait bien avoir réalisé pareille chose et avec une telle précision. Tout était représenté dans l'objet, que ce soit ses occupants, où la plupart des meubles et bibelots qui s'y trouvaient. C'était à croire que le manoir avait été copié et rétrécis pour donner pareil résultat.

Ses yeux, qui admiraient le jouet avec une étrange fascination, s'attardèrent sur ce qu'elle cru être une porte.

« Qu'est-ce que c'est que ça ? » demanda-t-elle sans s'en rendre compte, en pointant l'objet du bout du doigt d'un air curieux.

Elle croyait n'avoir jamais vu cette porte là auparavant, non... Elle en était certaine. Le médaillon en cuivre ovale qui était apposé dessus l'intrigua, au point qu'elle ne parvint plus à le lâcher des yeux. Au centre de celui-ci était représenté la moitié d'un visage de femme, aux yeux tournés vers l'horizon et dont la chevelure ondulée comme les vagues retombaient en cascade jusqu'à la base de son cou. Ce dernier semblait avoir été sculpté dans un ivoire d'un blanc éclatant, qui contrastait avec le reste du manoir. Aussi ne parvint-elle pas à s'empêcher de le remarquer.

La figure qui y était représentée, lui sembla étrangement familière, sans pour autant qu'elle parvienne à savoir où elle l'avait aperçu.

Elle réalisa alors qu'elle était prise d'une inhabituelle curiosité, qui ne lui ressemblait pas du tout.

« Quoi donc ? » répondit Despair, en s'approchant d'elle.

« Cette porte... » continua-t-elle d'un air absent. « Je ne crois pas l'avoir jamais vu avant. »

Il était étrange que cette copie si parfaite eusse été compromise par l'ajout d'un élément qui ne se trouvait pas dans la maison, alors... Pourquoi ? Pourquoi ce passage menant, elle ne savait trop où, était-il là, ainsi représenté et à la vue de tous ? C'était à croire qu'il était là pour narguer le spectateur, comme pour attirer son attention sur cette chose en apparence anodine, mais que personne ne pouvait ignorer.

« Ah... ça... »

Aina releva la tête et posa les yeux sur sa jeune maîtresse, dont le regard s'était délicatement arqué, comme si elle souriait sous son masque. Ce n'était pourtant pas un sourire doux, comme celui qu'une enfant de son âge aurait pu faire.

Non.

Cela était un sourire moqueur, qui semblait se jouer d'elle.

« C'est la porte vers l'autre côté, dans le bureau de père. » répondit-elle d'un air nonchalant, avant qu'un petit gloussement s'échappe de ses lèvres.

'L'autre côté...'

« Vers l'Eveil. »

Encore cette histoire... Elle ne savait pas de quoi parlait Despair, mais l'air sérieux qu'elle arbora lui fit dire qu'elle ne délirait pas... Qu'elle était on ne peut plus sérieuse.

« Mais de quoi parlez-vous...? » souffla la jeune domestique, dont la curiosité semblait être à son paroxysme.

Elle savait qu'il ne fallait pas qu'elle pose de questions, que tout ceci était mal, mais elle n'arrivait pas à se résonner. En cet instant, l'envie intense, tapis en elle qui hurlait depuis déjà bien longtemps dans son esprit se déchaînait sans qu'elle puisse la contenir.

« Est-ce que tu veux savoir... ? »

Despair s'adressa à elle d'une voix étrangement énigmatique, qui figea Aina sur place. Savoir... ? Le voulait-elle ? Sa conscience lui hurlait d'ignorer les paroles de Despair et de ne pas chercher à en savoir plus, mais son instinct, sa petite voix intérieure lui hurlait de succomber à sa curiosité... De franchir la porte interdite. Il était dangereux d'être curieux, elle le savait pourtant, mais quelque chose...

Quelque chose la poussait à vouloir en savoir davantage. Elle en avait le sentiment, quelque chose lui échappait et Despair pouvait apporter des réponses à ses questions.

Elle hocha de manière hésitante la tête, avant même de s'en rendre compte, provoquant un rire profond chez la jeune enfant, qui lui fit froid dans le dos.

« Très bien... Alors regarde. » souffla-t-elle avec espièglerie, avant de se rendre jusqu'à un mur, sur lequel était accroché un tableau, couvert d'un drap blanc.

Aina remarqua que son cœur battait de plus en plus fort dans sa poitrine, à mesure que l'enfant s'approchait de l'objet. Elle avait les mains moites, la respiration saccadée et l'esprit qui tournait à toute vitesse. Elle avait l'impression que le temps était lent... Comme s'il était prêt à s'arrêter et qu'elle allait étouffer si Despair ne mettait pas fin à son attente interminable. Cette dernière glissa la main sur le tissu, elle l'agrippa et puis, le retira d'un seul coup.

Devant ses yeux à présent ébahis se dessina un objet, qu'elle reconnu être un vase. Celui-ci semblait à première vue quelconque et peu notable, mais quelque chose la remua de l'intérieur. Un vase noir particulièrement simple, qui semblait ne pas valoir beaucoup d'argent, mais qui lui coupa la respiration.

Lorsqu'elle le vit, son sang ne fit qu'un tour et elle eut à peine le temps de voir l'image entière, qu'elle s'écrasa sur le sol. Une douleur cinglante irradia son crâne. Elle était bien plus forte que tout celles qu'elle avait ressentie avant, au point qu'elle était à deux doigts de s'évanouir.

Sa tête tremblait et ses oreilles bourdonnaient, si bien qu'elle ne remarqua qu'au bout de quelques secondes qu'elle hurlait à la mort, sous les yeux apparemment médusés de Despair, qui la toisait comme si elle était folle.

[Arrête !] hurla une voix dans son esprit.

'Ça recommence.' Pensa-t-elle et pourtant...

Cette crise ne ressemblait pas à toutes les autres. Elle ne savait pas pourquoi, mais elle avait le sentiment que quelque chose se produisait en elle.

« Argh ! » grognait-elle, sans même parvenir à reprendre sa respiration, alors qu'elle tenait son crâne entre ses mains tremblantes.

[Ce n'est pas moi ! S'il te plaît, arrête... !]

« Arrêtez ! » s'époumonnait-elle, les yeux clos et le visage grimaçant.

Tout son corps tremblait de douleur, comme si elle convulsait et des flashs s'imposaient à elle. Des images d'une pièce brune, au sol couvert de parquet, d'un objet brisé sur le sol et d'une silhouette qui se penchait sur elle et dont elle n'arrivait pas à apercevoir les traits.

Le supplice était insupportable et ne semblait pas s'arrêter. Elle avait mal, terriblement mal, à tel point qu'elle eut envie de mourir pour en finir et puis soudain, la porte s'ouvrit à la volée. Aina, au travers de ses cheveux en bataille et de ses yeux baignés de larmes, aperçu la silhouette de maître Lust, qui respirait lourdement, comme s'il avait couru.

Dans sa souffrance, elle le vit à peine regarder autour de lui et jusqu'à poser les yeux sur elle, avant que son visage perde des couleurs.

Elle hurlait toujours comme si on l'écartelait et à mesure que son supplice continuait, elle sentait sa conscience s'échapper et sa vision devenir floue.

« Mais qu'est-ce qu'il se passe ici ?! » gronda-t-il, en gesticulant, les yeux posés sur Despair, qui ne bougeait plus.

Aina ne pu dire si elle lui répondit. Tout ce qu'elle vit, fut la silhouette de son maître qui s'agenouillait devant elle. Elle ne voyait pas son expression au travers de ses cheveux, mais elle sentit ses mains sur son visage, qui lui semblèrent étrangement peu familières. Elle ne comprenait pas ce qu'il se passait, ni ce qui était en train de se produire en elle.

« Qu'est-ce que tu lui as dit !? »

Lust continuait à crier par-dessus sa voix, sans qu'Aina puisse comprendre de quoi il parlait. En d'autres circonstances, elle se serait étonnée de l'attitude de Lust, qui la soulevait avec douceur, mais elle était bien trop faible et tremblante de douleur, pour même se poser des questions. Il la pressait contre son torse, comme une petite chose fragile.

[Je te jure que je ne le referais plus, s'il te plait !]

La douleur ne s'arrêtait pas et la voix continuait à hurler en elle. Elle priait pour que sa souffrance la fasse perdre connaissance, pour que tout ceci s'arrête. Un autre bruit résonna, tandis que ses paupières battaient. Ses hurlements ne s'arrêtaient pas, mais sa voix se brisait à mesure que ses cris continuaient. Elle s'époumonnait sans qu'aucun autre son ne sorte.

« Elvan ! » quelqu'un l'appela.

'Elvan... est là ?'

« Donne-là moi. » l'entendit-elle dire, d'une voix tranchante qui ne lui ressemblait pas.

Elle se vit à nouveau pressée contre quelqu'un et reconnue l'odeur musquée du majordome. Elle sentit ce qui ressembla à un liquide, glisser dans sa bouche et elle toussota, manquant de s'étouffer avec.

« Ca va aller, Aina. » souffla-t-il avec plus de douceur, en passant la paume sur son front.

Dès l'instant ou sa main se posa sur elle, son corps s'arrêta de trembler. Sa peau était froide et douce et son touché soulagea presque miraculeusement la douleur qui la secouait depuis déjà quelques minutes. Ses cris s'arrêtèrent et son corps se détendit aussitôt.

Elle était essoufflée et couverte de sueur, mais se pressa un peu plus contre son sauveur, dans l'espoir de maintenir l'état calme et paisible dans lequel elle se trouvait maintenant. Il était comme un oasis pour une personne assoiffée. Malgré le calme revenu en elle, elle était exténuée et à bout de force, au point que ses paupières étaient lourdes. Toute son énergie l'avait quittée, si bien qu'elle n'aurait même pas pu lever le petit doigt ou ouvrir la bouche pour parler.

« Je suis là. Tout va bien. » souffla-t-il en caressant son front avec douceur.

Elle était fatiguée... Terriblement fatiguée et elle avait le sentiment qu'elle allait finir par perdre conscience. Tout ceci était honteux et elle savait qu'elle se donnait en spectacle, mais elle ne parvenait pas à se reprendre. Elle était à bout de force.

La voix qui criait dans sa tête avait disparue et il ne restait plus que le bruit de sa respiration et des pas qui s'approchaient de la pièce où elle se trouvait.

« Que s'est-il passé ? » entendit-elle la voix paniquée de la matriarche, non loin de là.

'Que fait toute la famille ici ?'

« Elle était avec Despair et elle s'est mise à hurler. » expliqua Lust en réponse.

Elle battait des paupières sans cesse, peinant à rester consciente. Elle ouvrit la bouche pour parler, mais la main d'Elvan se posa sur ses yeux, pour la plonger dans le noir. Elle voulut protester, mais elle était bien trop faible pour résister.

« Dors... Je m'occupe de tout. »

Elle avait l'impression que quelque chose se produisait et qu'il fallait à tout prix qu'elle lutte contre le sommeil, mais elle commençait déjà à fermer les paupières.

'Ne t'endors pas Aina...' Lui soufflait sa conscience, en vain.

« Je vous avais pourtant avertis de faire attention à... » entendit-elle Elvan murmurer, d'une voix qu'elle ne lui connaissait pas.

Elle ne voulait pas perdre connaissance et rater la conversation qui se déroulait là, juste à côté d'elle,mais elle ne parvint qu'à se laisser tomber lourdement dans les bras d'Elvan.Elle n'eut pas le temps de saisir l'entièreté de ses propos, qu'elle ferma lespaupières et sombra dans l'obscurité.