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Chapter 18 - Chapitre 17 - Message

[Je t'attendrais aussi longtemps qu'il le faudra.]

Aina ouvrit les yeux au son d'une voix lointaine, légèrement étouffée par le son de sa respiration.

'Elles sont de plus en plus fréquentes.'

Ces voix étrangement familières, mais qu'elle ne parvenait pour autant pas à identifier, qui résonnaient occasionnellement dans son esprit comme des échos se réverbérant contre son crâne. Celles qui la tourmentaient et semblaient s'adresser à elle, même dans son sommeil. Elle n'avait aucune idée de l'identité de ses mystérieux compagnons nocturnes, mais nota tout de même que leurs mots ne laissèrent qu'un profond sentiment de vide, mêlé à la tristesse en elle, à son réveil.

Toute personne normalement constituée aurait probablement paniqué de se savoir sujette à des hallucinations de ce type, mais pas Aina. Elle ne vit en elles qu'un simple dérangement et les trouva même occasionnellement réconfortantes, comme des vieilles amies d'enfance, avec qui elle aurait grandi. Après tant d'années, elles faisaient presque partie d'elle et se surprit à ressentir un sentiment déplaisant à l'idée que ces dernières disparaissent.

Son regard s'arrêta sur la fenêtre de sa chambre donnant sur le jardin, celui dont le jardinier s'occupait avec application et qui pourtant avait toujours l'apparence d'une plaine qui aurait été ravagée par les flammes. Encore aujourd'hui, elle n'aperçut pas le soleil doré qui brillait au-dessus du village et de la capitale. Elle ne vit qu'un croissant cramoisi dans un ciel couleur sable, qui lui donna l'impression que le jour ne s'était pas vraiment levé.

Comme un chat au réveil, elle s'étira en bâillant et scruta l'horloge qui n'avait pas bougé d'un poil depuis son arrivée ici. Vu la position du soleil et sa tendance à avoir un sommeil particulièrement précis et chronométré, elle en déduisit qu'il ne devait pas être plus de huit heures du matin. L'esprit encore embrumé par la fatigue, elle posa les pieds sur le sol et tituba, se frottant les yeux jusqu'au lavabo en marbre blanc qui trônait sur le mur face à son lit.

Elle scruta sans un mot son reflet dans le miroir. Elle avait les cheveux en bataille, les yeux légèrement cernés et la peau pâle. Elle eut un étrange sentiment de déjà-vu à cette pensée... Comme si elle avait déjà vécu ce moment avant, mais pas au sein de ce manoir. Elle se creusa la tête, tentant de faire émerger le moindre souvenir qui confirmerait ou non son sentiment, mais rien ne lui vint, à part un profond sentiment de frustration, qui lui était bien familier.

[Prends ton temps.] se souvint-elle des mots qu'Elvan lui avait dit quelques jours plus tôt et presque simultanément, des évènements de la veille.

Embarrassée par le souvenir de son supérieur si près d'elle et de son cœur battant, elle porta les mains à ses joues en se mordant les lèvres. Elle se sentait encore toute chose rien que d'y penser...

Il fallait qu'elle se reprenne et arrête de se raconter des histoires, car ce qu'elle imaginait ne se produirait jamais. Aussi prévenante et accueillante fusse cette famille, elle n'était pas la sienne. En définitive, Aina était seule. Elle n'avait personne d'autre sur qui compter à part elle-même, et bien qu'Elvan soit ce qui, soit à l'heure actuel le plus proche de ce qu'elle imagina d'un ami, elle réalisa qu'il n'était après tout que son supérieur.

[Je t'attendrais.]

Elle repensa à la voix qu'elle avait entendue quelques minutes plus tôt et se demanda si celle-ci lui était adressée.

'M'attendre...'

Peut-être avait-elle quelqu'un pour qui elle comptait, après tout ? Une personne qui se préoccupait d'elle, comme Elvan, mais pas simplement par obligation professionnelle. Une personne qui hantait ses pensées et ses nuits depuis déjà plus de trois ans, l'une de celle dont l'existence, même oubliée, demeurait encrée en elle comme une marque à l'encre indélébile.

'Un être cher.'

Elle se demanda ce que cela faisait d'aimer un autre être humain. Aimer, d'un amour si fort que l'on en oublierait sa propre personne, ses propres désirs.

'Un peu comme Wrath avec Sorrow.'

Car aussi cruel et froid était le patriarche, il était clair qu'il était irrémédiablement épris de son épouse, au point d'en devenir complétement obsessionnel. Jamais n'aurait-il supporté que la matriarche s'éloigne, ou qu'elle daigne détourner le regard de lui, même lorsque sa violence l'accablait tant qu'elle voulut mourir.

Elle, n'avait jamais aimé personne ou ne s'en souvenait tout simplement pas. L'affection, la tendresse et la passion étaient des sentiments qui lui étaient étrangers. Elle les reconnaissait sans peine lorsqu'elle les observait chez quelqu'un d'autre, mais elle n'arrivait pas à les décrire, voire à les imaginer. Elle n'en saisissait parfois même pas le sens. Aussi ne comprenait-elle pas son maître, qui semblait s'évertuer à faire disparaitre complètement toute présence de son épouse par ses mots et son attitude, sans pour autant parvenir à se séparer d'elle.

Cette passion mêlée à la haine lui fit étrangement penser au souvenir de ses parents. Celui dans lequel elle se rappelait avoir assisté à l'échange silencieux de son père et sa mère, qui paraissent prêts à se sauter à la gorge, mais ne parvenant pourtant pas à détourner le regard l'un de l'autre. Cette inexplicable contradiction était un vrai mystère pour elle, une énigme insoluble. Les relations humaines étaient globalement difficiles à appréhender pour elle, qui ne ressentait la plupart du temps que peu de choses et dont l'être tout entier n'était que le résultat de 4 années de vie. Les seules dont elle se rappelait.

'Enfin, ce n'est pas tout à fait vrai.'

Elle constatait depuis quelque temps, que certains membres de la famille semblaient provoquer en elle des sentiments qu'elle pensait ne plus pouvoir ressentir. Elle avait parfois l'impression que le vide qui l'habitait constamment se refermait peu à peu, à mesure qu'elle côtoyait les Signavit, comme si leur simple présence suffisait à recouvrer des bribes de son âme perdue.

'Comme Elvan, ou Sorrow.'

Lorsqu'elle repensa à sa maîtresse, l'inconfort lui tordit le ventre. Elle savait qu'elle devait aller s'occuper d'elle, juste après le jeune maître. Elle qui rechignait habituellement à rendre visite à Lust se sentait à présent plus enclin à le servir, qu'à revoir l'épouse qui était pourtant si douce et bienveillante. Elle remarqua d'ailleurs à cette pensée, que ses mains ralentissaient, tandis qu'elle se préparait, comme si tout son corps refusait de faire face aux erreurs qu'elle avait commises la veille. Pourtant, elle n'avait pas le choix, elle avait du travail et elle n'avait pas le loisir de se préoccuper de ses états d'âme.

Elle reprit donc sa préparation en soupirant et accéléra le pas, consciente que le temps passait et qu'elle allait finir par être en retard. Après quelques minutes, elle termina enfin sa préparation et rehaussa une dernière fois son uniforme, avant de s'approcher de la porte pour s'engouffrer dans le couloir.

C'est à ce moment qu'un bruit, comme le bruissement du papier sur le bois, attira son attention sur le sol. En réponse à ce qu'elle aperçut, ses lèvres s'entrouvrirent de surprise et un vague hoquet s'échappa.

Sur le parquet en bois sombre était délicatement posée une petite carte, comme celle qu'elle avait déjà trouvée auparavant et face cachée. À sa vue, le cœur de la jeune femme se mit à cogner dans sa poitrine et une vague angoisse la traversa.

'Un mot... Comme celui de la dernière fois.'

Elle réalisa avec stupeur que ses mains se mirent à trembler et s'interrogea sur la marche à suivre. La dernière fois, quelqu'un l'avait avertie que quelque chose d'étrange se passait dans le manoir. De quoi serait-il question cette fois-ci ? Perplexe et en proie au doute, elle hésita, tiraillée entre l'envie de satisfaire sa curiosité et celle de simplement faire comme si de rien n'était. Pourtant, elle se baissa et glissa les doigts sur le morceau de papier avant de s'en rendre compte et de le porter jusqu'à son visage, comme dans un mouvement mécanique et motivé par une force invisible autre que sa propre volonté.

« Ils mentent. Retournes-y. » lu-t-elle, dans un murmure, l'oreille à l'affut du moindre bruit qui pourrait indiquer qu'elle n'était pas seule dans le couloir.

Ils mentent... Mais de qui s'agissait-il ? Des Signavit ? De quelqu'un d'autre auquel elle ne pensait pas ? La première chose qui lui vint à l'esprit fut la disparition de Despair, que tout le monde semblait démentir véhément, convainquant presque Aina qu'elle avait halluciné. Mais elle ne comprenait pas bien pourquoi tous voudraient la tromper, ni pourquoi quelqu'un lui laisserait ce genre de mot énigmatique. Elle n'était après tout qu'une domestique parmi tant d'autre.

Malgré tout, les mots qu'elle relut encore et encore lui laissèrent un arrière-goût étrange dans la bouche, comme une pointe d'amertume qui la fit grimacer de déplaisir. Elle avait l'impression que quelqu'un se jouait d'elle, de sa condition et des évènements qui venaient de se produire, comme un marionnettiste avec ses poupées de bois.

'Retournes-y.'

Mais retourner où ? Elle voulut y réfléchir plus longuement, mais sursauta brusquement lorsque le carillon de l'horloge du couloir résonna entre les murs, rappelant la jeune femme à la réalité. Elle n'avait pas le temps pour cela maintenant.

'Je dois retourner travailler.' Pensa-t-elle en glissant le morceau de papier dans sa robe.