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Chapter 21 - Chapitre 20 - La famille Salvatoris

Au commencement elle ne vit que du blanc, à perte de vue et rien d'autre... Elle eut l'impression de flotter dans le néant. Dans un vide ou il n'y avait rien, à part peut-être une légère odeur mentholée, qui lui rappela vaguement quelque chose. Elle lui sembla familière, comme si elle l'avait déjà sentie avant, mais sans parvenir à se rappeler le moment exact. Elle eut le sentiment d'être endormie et à deux doigts de se réveiller, comme bloquée entre la réalité et les songes. 

Elle cligna des yeux et vit les contours flous d'une pièce blanche, dans laquelle il n'y avait rien d'autre qu'une horloge étrange en métal. Dans l'air flottait une espèce d'odeur de cendre, un peu comme celle des cigares que Wrath tenait parfois entre ses lèvres lorsqu'il était contrarié. 

Elle eut une vague impression de déjà-vu et l'étrange conviction qu'elle avait déjà assisté à cette scène auparavant.

Peut-être dans un rêve ?

L'instant lui sembla étrange et imprécis, comme dans un songe, même si celui-ci ne ressemblait à aucun autre. Certaines choses ne lui apparurent pas réelles, mais elle ne parvint pas à affirmer pour autant que tout était le fruit de son imagination. 

Dans le coin de la pièce elle remarqua une forme sombre, qui lui sembla humanoïde, sans qu'elle en soit sûre. Celle-ci avait l'air recroquevillée sur elle-même, comme si elle pleurait, sans jamais faire le moindre son. 

Alors qu'elle la fixait avec curiosité, elle nota que celle-ci bougea et s'approcha d'elle. Effrayée par la proximité d'une chose qu'elle ne reconnaissait pas, elle recula.

« Ne vous approchez pas... » murmura-t-elle, les dents serrées et la voix tremblante. 

La chose s'arrêta brusquement.

[... Peur.]

« Quoi... ? » répondit-elle incrédule. 

Elle avait l'air de vouloir lui parler... Lui dire quelque chose. 

[N'aie pas peur...] réitéra la voix, saccadée et à peine audible, même si elle se concentrait. [Je suis là. Tu vas...]

Elle ouvrit les lèvres.

Je vais quoi ?

« Réveilles-toi ! » résonna brusquement une autre voix, juste à côté d'elle et elle ouvrit les yeux. 

La première chose qu'elle vit fut un couloir, comme un vestibule et puis une silhouette, juste devant elle, qui avait une main posée sur son épaule et le dos légèrement vouté vers l'avant pour qu'elle puisse plonger son regard dans le sien. 

« Est-ce que ça va ? » l'interrogea l'homme, qui ne sembla pas beaucoup plus vieux qu'elle. 

Elle fut frappée par le fait qu'il portait un masque, comme celui de ses maîtres, à la différence que celui-ci était d'une blancheur presque éblouissante, la même que celle de tout le reste de la pièce dans laquelle elle était. Son regard se perdit aussitôt sur les alentours, oubliant le fait que quelqu'un s'était adressé à elle et elle remarqua quelque chose d'étrange, qui lui coupa la respiration.

La pièce...

Elle était exactement identique à l'entrée du manoir Memoria, à la différence de sa couleur, qui aurait fait passer celle des Signavit pour sa jumelle obscure. 

« Eh oh ? » l'interpella à nouveau celui, qu'elle prit enfin le temps de contempler. 

Il était toujours à moitié penché sur elle, la scrutant de ses pupilles ressemblant à des arbres embrassés par la lumière du soleil. Elle nota que ceux-ci étaient d'une teinte similaire à celle du jeune maître Fear, si ce n'était qu'ils lui semblèrent exprimer davantage de maturité et de calme. 

Cela n'était pourtant pas étonnant, puisque celui qui était devant elle, vêtu d'un élégant costume blanc, orné de chaînes et de bijoux argentés était un homme et non un enfant. 

« Je... » marmonna-t-elle, désorientée. « Où sommes-nous ? »

L'homme haussa délicatement les sourcils, comme s'il était surpris par sa question et se recula, pour lui laisser un peu plus d'espace. 

« Tu ne le sais pas ? »

Que veut-il dire... ?

Elle pivota la tête, incrédule et entendit un rire amusé s'échapper de ces lèvres. Elle se surprit à ne pas le trouver effrayant, comme ceux des Signavit. Elle ne connaissait pas cet homme, mais elle n'avait pas peur. Elle se sentait curieusement en sécurité ici, face à lui, comme en compagnie d'un collègue ou d'un vieil ami. 

« Tu es au sein du manoir Salvatoris. » annonça-t-il de sa voix douce et délicate, comme une brise printanière. 

Aina entrouvrit les lèvres de surprise, tandis qu'elle fixait l'homme, comme s'il venait de lui annoncer une absurdité. 

Le manoir Salvatoris...

« Les chiens ailés. » 

Elle entendit un rire guttural qui la fit sursauter et elle plaqua brusquement sa main contre sa bouche, en réalisant ce qu'elle venait de dire. 

Son corps trembla sous l'effroi, mais l'émotion qui s'emparait d'elle laissa progressivement place à l'incompréhension, lorsqu'elle assista au fou rire de son interlocuteur, qui ne paraissait pas du tout offusqué par sa remarque pourtant insultante. 

« Alors c'est comme ça qu'ils nous appellent... ? » s'amusa une femme, qui fit son entrée dans la pièce. 

Elle était grande, élancée et élégamment moulée dans une robe de sirène immaculée couverte de dentelle, assortie aux longs gants qui recouvraient ses avant-bras et ses mains délicates. Elle avait l'air jeune, plus que la matriarche, mais bien moins que l'homme aux côtés duquel elle vint se placer, la main devant son visage comme si elle riait. 

Elle semblait aussi délicate et raffinée que Sorrow, mais il émanait d'elle quelque chose de différent. Elle avait l'air d'irradier de confiance et de bonheur, ainsi parée de magnifiques bijoux d'argent, qui pendaient au tour de son cou et de ses oreilles. 

« Ne sont-ils pas divertissants, mère ? » roucoula l'homme, qui souriait visiblement sous son masque en bois blanc, qui lui sembla fait de la même main que ceux de la famille qu'elle servait.

« Je... Je suis désolée. Je ne voulais pas... » s'excusa platement Aina en s'inclinant aussi bas que sa souplesse pu lui permettre.

Elle avait été irrespectueuse avec la deuxième famille la plus importante de l'empire et par-dessus-tout, elle avait révélé aux ennemis jurés des Signavit, le contenu de certaines de leurs conversation. Si d'aventure les Salvatoris, contrariés par la remarque de la jeune domestique, s'en prenait à ses maîtres... Elle ne donnait pas cher de sa peau. 

Dire qu'elle avait parlé sans réfléchir... Cela ne lui ressemblait pas du tout !

« Allons Joy[1], tu vois bien que tu as effrayé notre charmante invitée. » souffla Serenity de sa voix chantante et fluette. 

Joy et Serenity[2] Salvatoris. 

La duchesse et son fils aîné. 

« Veuillez pardonner ma conduite, duchesse, jeune duc. » insista-t-elle, presque suppliante. 

Elle ne perçu d'abord aucune réponse et se demanda même si elle avait été entendue, avant que des pas résonnent dans la pièce. Elle vit une ombre se rapprocher d'elle et fut submergée par un parfum d'agrumes qui lui chatouilla les narines. 

« Relève-toi mon enfant. » 

Elle hésita, mais se laissa convaincre par la voix rassurante de la duchesse. Elle se redressa délicatement, fuyant de premier abord le regard de la belle et douce jeune femme, avant d'enfin oser à nouveau porter son attention sur elle, dont les yeux étaient arqués en ce qui lui sembla être un sourire attendri, sous son masque arborant la même expression, tout aussi paisible et chaleureuse qu'elle semblait l'être. 

« Tu n'as rien fait de mal, je te l'assure. »

Aina eut du mal à le croire, mais Serenity semblait si convaincue et convaincante qu'elle se laissa attendrir et hocha la tête, un vague sourire aux lèvres. Elle nota que Joy arqua aussi les yeux juste derrière, comme s'il se moquait d'elle, mais elle l'ignora. Elle n'allait pas se plaindre, alors que lui et sa mère avaient été particulièrement cléments avec elle.

Et tandis qu'elle scrutait curieusement ses nouvelles connaissances, le fait que le vestibule était en tout point identique à celui du manoir Memoria capta à nouveau son attention. Les meubles au même endroit, les tableaux et même la tapisserie, tout y était.  Elle se demanda si cette étrange ressemblance n'était limitée qu'à cette pièce, ou si le reste de la maison était également concerné. 

Si oui, pourquoi... ?

Les Signavit et les Salvatoris étaient-ils ennemis au point de vouloir, même dans l'architecture, se défier pour savoir qui serait le plus talentueux ?

Cela n'avait aucun sens, mais elle ne trouvait pas d'autre explication. Mais quelque chose d'autre était incompréhensible dans cette histoire : la porte par laquelle elle était entrée. Comment diable les manoirs de deux concurrents pouvaient-ils ainsi être reliés, sans qu'aucun conflit ne survienne ?

Peut-être les Salvatoris ne sont-ils pas au courant.

Ils n'avaient pourtant pas l'air surpris de la voir ici, même si elle semblait être venue de nulle part, comme si la perspective qu'elle venait de l'intérieur de la maison ne les étonnaient pas. 

Comme s'ils savaient. 

« Maman ? » appela une petite voix fluette, avant qu'une silhouette, pas plus haute que trois pomme n'émerge du fond du couloir, affublée d'un masque au sourire paisible et aux yeux clos, comme s'il dormait et rêvait du paradis. Il semblait légèrement plus jeune que Fear, mais n'avait pas son air mélancolique et apeuré. « Qui est-ce ? »

Il posa les yeux sur Aina, en lui adressant un petit signe de la main qu'elle trouva adorable. 

« Bonjour Trust[3], tu as bien dormi ? » l'interrogea Joy avec douceur. 

Il hocha vigoureusement la tête, se glissant derrière sa mère pour l'observer d'un air curieux. 

« Hope[4] ne descend pas ? », questionna-t-elle le jeune enfant. « Nous avons de la visite ».

Elle se tourna vers Aina. L'enfant inclina la tête en se frottant le menton, comme s'il réfléchissais. 

« Elle arrive ! » s'exclama-t-il, en courant vers le fond de la maison. « Hope ! Tu viens ? »

De petits pas résonnèrent et une petite fille à peine plus petite que Despair fit son apparition, portant un masque souriant aux yeux ouverts pleins d'étoiles. Elle portait une petite robe blanche à volants, couvertes de nœuds papillon de la même manière, qui complimentaient sa chevelure noir aux reflets rosé. 

« Oh... » souffla-t-elle en apercevant la jeune servante. « C'est Ella[5]. »

Hein... ?

Elle l'observa, les yeux ronds comme des soucoupes et vit que Serenity fusilla l'enfant du regard. 

« Comment... » commença-t-elle, tandis que la famille se rassemblait, main dans la main.

En voyant l'image de ce foyer uni et heureux, les mots restèrent brusquement coincés dans sa gorge, comme si elle les avaient complétement oubliés. Elle allait noter quelque chose d'étrange, quelque chose qui n'aurait pas dû être, mais la vue de ce panorama singulier et inhabituel fit disparaître toute ses pensées, lui donnant l'impression que son esprit était totalement vide. 

Les Salvatoris... Ils...

La position dans laquelle ils étaient, leur apparence et leur attitude... Quelque chose... Quelque chose clochait, mais elle ne savait pas quoi. Elle eut à nouveau cette étrange impression que ce n'était pas la première fois qu'elle voyait ça, ce sentiment bizarre d'être devant une pièce de théâtre dont elle connaissait l'issue. 

Un déjà-vu.

En eux elle eut l'impression de voir autre chose, mais qui était totalement flou. Elle commença à avoir mal au crâne, comme lorsque ses crises survenaient, mais elle continua pourtant fixer la petite famille avec insistance, comme pour essayer d'enfin dessiner le paysage que son esprit essayait de lui tracer depuis plusieurs minutes. 

Elle commençait à avoir mal et à avoir la tête qui tourne, mais elle persista, serrant les poings si forts que ses ongles pénétrèrent la peau de ses paumes. Elle vit que Serenity et Joy la fixèrent, les yeux petit à petit écarquillés à mesure que le temps passait, mais elle continua à se concentrer.

« Mais... ! » s'inquiéta Serenity, qui laissa ses enfants en retrait pour se planter devant elle. « Tu saignes ! » 

La jeune femme sembla revenir sur terre et porta les doigts à son nez, ou un filet liquide coulait, se répandant sur ses habits. Il était visqueux, collant et profondément rouge lorsqu'elle le fixa.

Du sang.

Presque aussitôt, une violente douleur lui irradia le crâne, encore plus intense que toutes les autres et elle plongea dans l'obscurité avant même de s'en rendre compte. Elle n'eut que le temps de voir Joy se jeter sur elle, tandis qu'elle tombait.