« Vous… Voulez m'aider ? » Dit Hana, quelque peu surprise.
« Oui. Parce qu'on est amis. » Répondit Takao.
« Qu'est-ce que ça a à voir là-dedans ? » Demanda Hana.
Takao fut pris de cours par cette question – la jeune femme ne réfutant pas le fait qu'ils étaient à présent amis - mais n'hésita pas à répondre immédiatement.
« C'est ce que les amis font l'un pour l'autre, non ? » Argumenta Takao.
Face à cette affirmation, Hana ne put s'empêcher de sourire ; ce qui ravit le jeune homme. Il préférait la voir ainsi, de bonne humeur, plutôt qu'inquiète et méfiante vis-à-vis des autres. Elle était plutôt ravissante, avec cette expression ; et il mémorisa son expression.
La jeune femme reprit une gorgée de thé, et tandis qu'elle reposait sa tasse, elle perdit progressivement ce sourire qui plaisait tant à Takao.
« Je vous l'ai déjà dit, mais je n'ai pas vraiment eu d'amis depuis longtemps… Très longtemps, même. » Dit-elle avec gêne.
« Depuis quand, exactement ? » Demanda-t-il.
« Depuis l'école primaire, au moins, » dit-elle avec une expression gênée et inconfortable.
Elle ne semblait pas vouloir aborder plus ce point, et elle prouva cela en changeant le sujet de la conversation.
« Je suis ravie d'avoir fait la connaissance de quelqu'un comme vous, » dit-elle sur un ton détaché. « Vous semblez faire preuve de gentillesse quand il le faut. Cependant... »
Elle resta immobile à fixer la table avec leurs deux tasses à moitié vides posées dessus, probablement pour penser à ce qu'elle allait dire, puis releva les yeux pour regarder Takao droit dans les yeux.
Cela lui fit bizarre. Il savait que Nana n'hésitait pas à faire preuve de défiance, et regardait toujours ses interlocuteurs face à face. Ce qui, en revanche, était inhabituel pour Hana. Il lui avait semblé que la jeune femme était bien plus timide et réservée que l'autre version d'elle-même, et n'était pas du genre à tenir tête au gens.
Il réalisait à présent qu'il avait eu faux sur ce point-là.
« Cependant, j'aimerais que vous évitiez de mêler Nana à ma vie. » Insista-t-elle. « Si je le pouvais, j'aimerais qu'elle n'apparaisse plus jamais, mais c'est quelque chose d'impossible. »
« Je comprends votre point de vue, Shinohara-san, », dit-il. « Mais avez-vous pensé au point de vue de Nana ? »
« Pourquoi devrais-je y penser ? » Répliqua-t-elle en maintenant son regard.
« La question est plutôt de savoir pourquoi vous ne voulez pas y penser, » la contredit-elle. « Est-ce si horrible que ça, de souffrir d'un dédoublement de personnalité ? »
« Vous dites ça parce que ça ne vous arrive pas à vous, » dit-elle.
« Je pense que même si j'étais à votre place, je penserais la même chose. »
Elle fronça les sourcils, ne semblant pas comprendre où il souhaitait en venir.
« Après avoir parlé à Nana, la première fois, j'ai fait quelques recherches sur le net à propos de ça, » dit-il. « Mais j'ai pas vraiment compris ce que je lisais, et ça m'a pas vraiment renseigné... »
La jeune femme allait sûrement lui répondre que dans ce cas, il ne la comprendrait pas du tout et que c'était une perte de temps de parler de ça avec lui ; aussi Takao la devança en précisant sa pensée.
« Par contre, du peu que j'ai pu comprendre, la plupart des cas de personnalités secondaires voire multiples débouchent sur des personnalités mauvaises. » Énonça-t-il. « Ce qui ne semble pas être le cas avec Nana. Vous êtes plutôt chanceuse d'avoir une personnalité secondaire qui s'inquiète pour vous, même si elle met un peu la pagaille à chaque fois qu'elle se montre. »
Hana cligna lentement des yeux. Est-ce que ce type venait vraiment de dire que c'était une chance d'être dans sa situation ?
« Réfléchissez-y, » continua-t-il. « Nana ne vous veut pas de mal, et a même cherché à vous aider. Et ce n'est pas comme si elle allait disparaître comme ça, du jour au lendemain. Vous devez vivre toutes les deux ensemble, c'est un fait. »
La jeune femme croisa ses deux mains au-dessus de la table, ne sachant toujours pas où le jeune homme souhaitait diriger la conversation.
« Ce n'est qu'un conseil que je vous donne, en tant qu'ami, et vous êtes libre de le suivre ou non, » dit-il. « Mais je pense que vous ne perdez rien à communiquer avec Nana. »
Hana cligna lentement des yeux, avant de froncer les sourcils. Elle ne savait plus vraiment où classer cette personne.
Il voulait être son ami, et l'avait déjà aidée tout en se montrant aimable avec elle. Elle lui était reconnaissante de l'avoir soutenue face au Service Juridique, et aussi d'avoir su gérer Nana quand elle était apparue. La preuve en était que rien de significatif n'était arrivé la veille.
Elle savait qu'il voulait bien faire, mais elle ne pouvait pas s'empêcher de penser qu'il s'impliquait un peu trop dans ses affaires privées. Est-ce que c'était un comportement normal entre deux adultes, et entre deux amis ?
Elle n'en avait aucune idée.
Même en ayant passé les deux années précédentes en compagnie de plusieurs élèves dans la même promotion, elle n'avait pas noué de liens importants ou significatifs avec eux. Elle s'était concentrée sur ses études, sans jamais s'approcher des autres.
Silencieusement, elle avait maintenu une certaine distance avec les autres ; pas par animosité, mais par indifférence. Ça n'en valait pas la peine, et elle préférait ignorer les autres.
Elle n'avait pas vraiment essayé, ces cinq dernières années, de se rapprocher de qui que ce soit. Elle avait gardé ses distances, comme si s'approcher des autres l'aurait brûlée comme un fer chauffé à blanc. Être près des autres, c'était se faire blesser, à un moment ou à un autre ; et Hana estimait avoir été suffisamment blessée par le passé pour ne pas reproduire cette erreur de sitôt. C'était donc avec soin qu'elle choisissait les personnes desquelles devenir proche.
Mari était quelqu'un de protecteur, et d'assez franche ; avec qui Hana se sentait en sécurité.
Ren était méticuleux, et même s'il était le roi des ragots, il était bien trop concentré sur son travail pour lui-même propager des rumeurs.
Yuuto était tête en l'air quand il ne parlait pas travail, et se révélait être plutôt attachant de par sa naïveté naturelle.
Cependant, ils étaient avant tout des collègues de travail, et ne rentraient pas vraiment dans la catégorie « amis ».
Alors, si elle devait catégoriser Utagawa Takao, en prenant en compte son attitude jusqu'à maintenant…
Il en savait un peu trop sur elle, mais ne semblait pas non plus avoir de mauvaises intentions. Il tentait de la conseiller aussi, malgré son manque d'informations à son propos, mais Hana ne savait pas si ses conseils étaient bons à suivre.
C'était aussi évident qu'il souhaitait se rapprocher d'elle, et elle s'était demandé un instant s'il n'avait pas eu des intentions cachées.
Seul le temps le dirait, et Hana pensa que l'avoir en premier ami n'était peut-être pas si mauvais que cela.
« J'y réfléchirai... » Dit-elle après un moment.
« Vous n'aviez jamais pensé à voir les choses sous cet angle, pas vrai ? » S'exclama-t-il. « Je suis sûr qu'en parlant avec Nana, vous pourriez apprendre des choses l'une de l'autre ! »
Apprendre… L'une de l'autre ?
Pouvait-elle vraiment apprendre quoi que ce soit de la part de Nana ?
Jusqu'à présent, elle avait toujours tenu cette autre version d'elle-même à l'écart, et lui avait refusé toute entrée dans sa vie.
Était-elle prête à ouvrir une porte, pour que Nana s'y engouffre ? Après avoir tout fait pour l'ignorer et se débarrasser d'elle ?
Ce n'était pas sûr que ce soit une bonne solution, mais ça n'en était pas une mauvaise non plus.
Elle ne pouvait pas non plus continuer d'ignorer la lettre que Nana lui avait écrite, ni les questions qui s'étaient imposées à son esprit après l'avoir lue.
« Vous… Pouvez garder toute cette histoire pour vous, n'est-ce pas ? » Demanda-t-elle avec un petit sourire gêné.
Il hocha de la tête, avant de répondre par un « oui » tout aussi gêné.
Quelques minutes plus tard, ils quittaient le salon de thé, Takao maintenant la porte ouverte pour que Hana sorte avant lui ; et le duo se retrouva dans la rue bondée de monde.
La nuit était bien avancée, et nombreux étaient les couples et les groupes d'amis encore dehors, sans compter les employés de bureau et les livreurs faisant encore office à cette heure tardive.
À quelques mètres de là, sortirent d'un bar Saizo et Shinsuke ; après avoir bu quelques verres.
« Tu sais, t'avais pas besoin de revenir hein. Je t'avais dit de prendre ta journée... » Pesta Shinsuke.
« Je n'ai eu besoin que de quelques heures, le temps de ramener Yayoi à la maison et de la confier à ma femme une fois son rendez-vous terminé. » Dit nonchalamment Saizo.
« Ouais enfin, revenir juste à 17h00 pour ne travailler que trois heures, c'est stupide, » répliqua Shinsuke. « Tu m'écoutes jamais... »
« Tu ne m'écoutes pas non plus, alors pourquoi je t'écouterais ? » S'exclama Saizo avec un sourire. « Ceci dit, je suis encore étonné que tu aies pris la bonne décision vis-à-vis de cette affaire... »
« Tu me trouves si déraisonnable et détestable que ça ? » Se plaignit Shinsuke.
Les deux hommes continuèrent de marcher dans la rue bondée de monde et éclairée à la fois par les lampadaires suspendus aux façades, et par les enseignes lumineuses des différents restaurants et bars.
« Au fait, » dit au bout d'un moment Saizo. « Je ne sais pas ce que tu as bien pu faire de mal, mais ne devrais-tu pas t'excuser ? »
« M'excuser ? De quoi ? Auprès de qui ? » Répondit Shinsuke en haussant les épaules.
« Envers Shinohara-san », dit Saizo tout en montrant du doigt quelque chose devant eux.
« Hein ? »
Shinsuke suivit la direction pointée du doigt par son ami, et fut surpris de voir deux personnes qu'il connaissait bien en train de marcher ensemble dans la rue.
Il fronça les sourcils.
La jeune femme marchait à une dizaine de mètres devant eux, aux côtés du jeune Directeur. Elle continuait aussi à sourire en lui parlant, même si cela sembla plus être un sourire lié à la gêne qu'à l'excitation ou à la joie.
Ils traînaient encore ensemble, même après les heures de travail ; et Shinsuke se demanda s'il n'y avait pas quelque chose entre les deux jeunes gens.