Chereads / J'ai prétendu être la Mort, mais elle m'a tenu tête. / Chapter 62 - Je n'ai que ce que je mérite.

Chapter 62 - Je n'ai que ce que je mérite.

Nageant à travers l'eau glacée, Shinsuke commençait à être à bout de souffle.

Bien que la présence des deux rayons de lumière le suivant à travers les flots le rassurait, il n'arrivait toujours pas à retrouver la jeune fille dont il avait aperçu la main quelques minutes plus tôt.

Plus les secondes passaient, et plus il sentait que lui aussi commençait à perdre des forces.

Il faisait froid, il était complètement trempé avec seule sa tête hors de l'eau ; et était littéralement la seule personne assez folle pour se jeter dans le fleuve sans attendre la brigade fluviale.

Il en était presque à regretter d'y avoir plongé, quand, du coin de l'œil, il aperçut à nouveau une main s'élever au-dessus des flots. La jeune fille était encore en vie, et semblait lutter pour rester à la surface.

Sans hésiter une seconde de plus, Shinsuke se laissa porter par le courant pour la rejoindre en flottant, et ne nagea que sur les derniers mètres pour rectifier sa trajectoire.

Les forts courants le firent heurter de plein fouet la jeune fille, et l'attrapant par le bras, il la ramena contre lui pour l'empêcher de couler à nouveau.

« Hé ! Est-ce que ça va ?! » Lui cria Shinsuke.

Les rayons des deux lampes torches s'affolèrent et firent des allers et retours confus entre lui et la jeune fille qu'il venait de rejoindre. Les deux policiers devaient sûrement essayer de les éclairer tous les deux, sans pour autant réussir à rester immobiles et parfaitement axés sur eux.

« Hé ! Tu m'entends ?! » Cria à nouveau Shinsuke.

La jeune fille qu'il tenait maintenant contre lui, à l'intérieur de son bras droit replié, ne répondait pas ; et voyant qu'elle avait les yeux fermés, Shinsuke comprit qu'elle était probablement évanouie ; à cause du choc ou de l'extrême fatigue. Ce qui laissait donc un homme seul à nager pour deux personnes à travers un fleuve aux eaux capricieuses.

Étant plus proche de la berge d'en face que de celle d'où il avait plongé, Shinsuke commença à utiliser son bras gauche pour pagayer et les rapprocher de la terre ferme.

Les lumières des deux lampes torches s'affolèrent à nouveau et changèrent d'angle.

Quittant la jeune fille des yeux, Shinsuke regarda autour de lui, et vit que les deux policiers étaient en train de courir vers le pont pour le traverser et rejoindre les deux noyés de l'autre côté du fleuve. Ils avaient compris que le duo ne reviendrait pas de leur côté, et qu'il faudrait sûrement de l'aide à ces derniers pour s'extirper sans encombres de l'eau.

Tenant toujours la jeune fille inconsciente contre lui, il continua de nager perpendiculairement au courant pour tenter de rejoindre la terre ferme, quand il entendit des cris paniqués arriver depuis le pont.

La pluie s'était renforcée, et levant la tête vers l'endroit d'où provenaient les voix, il ne vit que des formes vaguement humaines lui faire signe à travers une pluie intense formant un rideau dans son champ de vision.

« Qu'est-ce qu'ils veulent ? » Se dit-il à lui-même.

Les deux policiers et certains passants battaient des bras et s'agitaient pour attirer son attention, et Shinsuke ne comprenait pas pourquoi Ce n'était pas comme s'il pouvait nager directement à contre courant pour revenir vers eux.

Toutefois, voyant que les faisceaux des lampes torches commençaient à aller de lui et la jeune fille à derrière eux, il sentit que quelque chose n'allait pas.

Il chercha donc à se tourner pour voir ce qui était derrière lui, mais avant même qu'il puisse apercevoir quoi que ce soit, il eut le souffle coupé court.

Dans l'obscurité, Shinsuke poussa un cri de douleur.

Un tronc d'arbre arrivé derrière eux et charrié par les eaux venait de le frapper violemment dans le dos, et momentanément sonné, il se firent emporter, lui et la jeune fille, contre les rochers supportant les piles du pont.

Shinsuke avait du mal à se repérer en ayant subitement perdu sa position initiale, et tenta tant bien que mal de ne pas lâcher la jeune fille qu'il tenait toujours du bras droit.

Les cris venus du pont redoublèrent d'intensité, et les torches des policiers se braquèrent alors à une dizaine de mètres devant l'homme et la jeune fille.

Là, à proximité immédiate, se trouvait une partie de la berge flanquée et renforcée par de gros rochers ; avant de continuer pour redevenir une simple bande de terre et d'herbes.

Néanmoins, le courant emmenait de force les deux humains vers la partie renforcée par les rochers, et Shinsuke comprit que le pire était à venir.

Voyant qu'ils risquaient de heurter de plein fouet la pierre, il parvint à se tourner juste à temps pour protéger la jeune fille, et ressentit une intense douleur dans le bras droit. Shinsuke était entraîné contre la pierre, qui venait entailler son bras sur toute sa longueur ; et il ressentit une intense sensation de brûlure immédiatement contrecarrée par l'eau glacée du cours d'eau.

En puisant dans ses forces, il essaya de s'accrocher à une des roches avec son bras gauche encore libre, mais le fort courant, allié à sa fatigue musculaire et probablement au sang qu'il perdait, l'empêchèrent de trouver une prise suffisante pour se maintenir à un endroit sans bouger. Ses doigts glissèrent sur la pierre rendue humide par la pluie, et il avait l'impression de se faire broyer la main entre la surface anguleuse et son propre poids, additionné à celui de la lycéenne serrées contre lui. Il ne pouvait cependant qu'endurer la douleur, car vouloir s'éloigner de la roche reviendrait à devoir exposer la jeune fille à la dangereuse situation.

Le duo continua d'être charrié contre les pierres, le bras de Shinsuke prenait coup après coup pour essayer de protéger la jeune fille. Il continuait de plaquer la tête de la jeune fille contre sa poitrine pour lui éviter de taper sur la surface dure de la roche ; et bien assez vite, le duo parcourut toute la longueur de la berge recouverte d'un enrochement.

Soulagé d'avoir passé cette épreuve sans s'évanouir, Shinsuke nagea lentement mais sûrement vers la zone recouverte d'herbe pilonnée par la pluie.

'Encore un petit effort…. Rien qu'un petit effort…' pensa avec hargne Shinsuke.

S'il parvenait à rejoindre la berge, il pourrait les sauver, tous les deux ; car il avait bien compris ces dernières secondes que lui aussi s'était mis en danger en agissant de manière irréfléchie.

C'était peut-être une leçon à apprendre : à réfléchir avant d'agir, et d'autant plus si la situation imposait de se mettre soi-même en danger.

Ses pieds heurtèrent soudainement quelque chose, et passé un instant de panique, Shinsuke se rendit compte qu'il avait enfin pieds, et foula le fond du fleuve avec un pas lent mais rassuré. Ne plus avoir à agiter ses jambes ou à être emporté sans pouvoir s'arrêter avait complètement épuisé Shinsuke, et d'une main gauche tremblante, il saisit une grosse touffe d'herbe pour les hisser lui et la lycéenne sur la terre.

Exténué, il s'effondra sur l'herbe de la berge, les secours commençant à peine à arriver sous forme des deux policiers ayant franchi le pont et balançant sur eux une couverture, et d'une ambulance coupant à travers la circulation à l'arrêt pour se rapprocher de leur position. Il entendit des cris – des ordres donnés ça et là – et il sentit son bras droit se refroidir encore plus que le reste de son corps ; la douleur redoublant d'intensité dans son membre meurtri par les arrêtes rocheuses.

Dans un sursaut, Shinsuke se réveilla ; en nage et le souffle court. Affolé, il regarda tout autour de lui, et voyant qu'il était dans sa chambre, dans son appartement, essaya de se calmer.

Ce n'était pas la première fois que ce cauchemar venait le hanter, mais l'angoisse qu'il ressentait avait toujours la même intensité, même des années après.

Se levant de son lit, il se dirigea vers la cuisine pour boire un verre d'eau.

Plutôt ironique, après un cauchemar où il s'était presque noyé ; bien que techniquement, il s'agissait plus de souvenirs que de quelque chose d'imaginé.

Avalant lentement chaque gorgée d'eau, il reprit calmement son souffle ; l'air tiède expiré par ses narines venant remplir le haut du verre d'eau qu'il tenait toujours contre ses lèvres.

Il détestait repenser à ce choix qu'il avait fait en toute connaissance de cause, cinq ans en arrière.

Comme le type naïf et optimiste qu'il était, il s'était mêlé de ce qui ne le regardait pas ; allant jusqu'à se jeter à l'eau pour une parfaite inconnue. C'était comme cela qu'il était, à cette époque. Il aidait toujours tout le monde et se portait toujours volontaire quand c'était nécessaire. Pour cela, tout le monde l'appréciait au sein de l'entreprise dans laquelle il travaillait.

Cependant, la naïveté avait toujours une fin, un moment où son point de vue changeait radicalement pour refléter la dure réalité. C'était ce fameux moment où toutes vos convictions volaient en éclat, et où tous ces gens que vous pensiez de votre côté vous lâchaient soudainement.

Pour Shinsuke, tout s'était produit le jour même, en l'espace de quelques heures : cet acte de bonté dont il avait fait preuve, s'était retrouvé mêlé à cette perte de naïveté, pour lui enlever tout ce qui avait de l'importance à ses yeux.

Il avait été déchiré par le chagrin, blessé par les reproches, éviscéré par les gens en qui il avait confiance, et jeté comme un malpropre en dehors de sa propre vie. En quelques jours seulement, il avait tout perdu, et ce sourire qu'il affichait en permanence, s'était mué en grimace insipide et féroce.

C'était devenu son armure face à des gens qui changeaient de camp à la moindre déconvenue, ainsi que le support de nombreuses rumeurs à son sujet. Il était devenu un supérieur hiérarchique au cœur de glace et au tempérament de feu qu'il avait tant détesté côtoyer dans ses jeunes années.

Hurler sur les gens et les réprimander était devenu une seconde nature pour Shinsuke, et même si Saizo lui était venu en aide et lui avait permis de reprendre sa vie en main, le mal était déjà fait.

Kobayashi Shinsuke n'osait plus faire confiance à personne, ni ne laissait de personnes s'approcher de lui. C'était le mieux à faire, face à cette situation qu'il considérait comme une punition dûment méritée face à un choix qui le hantait encore et toujours.

À cause de ce choix irréfléchi et impulsif, c'était lui-même qui se faisait le plus de reproches ; parce que ce qui lui arrivait, il l'avait amplement mérité.

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