La fin de la journée arriva rapidement, les employés commençant à quitter leurs postes pour rentrer chez eux en se pressant au niveau des ascenseurs. La plupart des Départements avaient déjà fini le travail et se vidaient peu à peu, mais il semblait que le Département Catastrophes Naturelles devrait encore faire des heures supplémentaires ce soir.
Une bonne quantité de contrats étaient arrivés, souscrits par tous les employés d'une même entreprise de voyage, et même si tout le travail administratif continuerait d'être mené durant le reste de la semaine, tout le monde n'était pas égal face à la charge de travail.
La Section financière était notamment débordée pour ce qui était de comptabiliser les anciens et les nouveaux contrats, ainsi qu'émettre la documentation pour la nouvelle clientèle détaillant les paiements mensuels qui seraient faits.
Cependant, une fois 20h00 arrivé, les deux Chefs de Sections avaient décidé d'arrêter là pour la journée, informant tous les employés qu'ils pouvaient rentrer chez eux.
« Tu ne viens pas avec nous, Hana-chan ? » demanda Mari, surprise de voir la jeune femme se lever de son bureau avant elle.
« J'ai… Quelque chose à faire... » S'excusa-t-elle avant de prendre sa veste pour aller vers l'ascenseur sans même attendre de réponse.
Mari la regarda partir, un air confus sur le visage.
« Étrange… » Murmura-t-elle pour elle-même.
« De quoi ? » Demanda Yuuto, la bouche pleine de morceaux de calamar séchés.
Ce type était toujours aussi ignorant quand il s'agissait de faire attention aux autres, alors que Ren et Mari ne rataient jamais rien de l'attitude de leurs collègues de travail, même si c'était presque imperceptible ; ce qui fit grimacer Mari.
« Hana-chan... » Dit-elle. « Elle a l'air perturbée... »
« Bah, sûrement parce que le Chef Kobayashi lui a encore envoyé du travail en plus, » dit-il nonchalamment en plongeant sa main dans le paquet de calamar. « Je serais pareil, si j'me retrouvais être la cible de ce type... »
« Tu l'as déjà été, » énonça Ren sans même daigner lever la tête de son bureau.
« Au passé, je 'l'ai été', » répliqua Yuuto, offusqué. « Maintenant, je suis libre ! »
« Aussi libre qu'un type coincé à faire du 8h00 - 21h00 tous les jours... » Se moqua Mari.
Yuuto s'apprêtait à répliquer autre chose, quand un murmure ambiant se transforma soudainement en discussion généralisée dans tout l'étage ; ce qui était inhabituel, même pour la fin de journée.
« Il se passe quoi ? » S'étonna Yuuto.
« Regardez le bulletin d'annonces ! » S'exclama une jeune femme assise du côté de Ren.
« Le bulletin ? » Répéta Mari, curieuse.
Ils regardèrent tout autour d'eux, et la scène était la même partout.
De petits attroupements s'étaient formés devant des ordinateurs encore branchés, les gens se contorsionnant pour tenter d'apercevoir quelque chose.
« Le délire... » S'exclama un jeune homme.
« Wah, quel sale type ! » Grimaça une autre femme.
« J'y crois pas... » Dit encore une autre personne.
Poussés par la curiosité, Mari se connecta immédiatement sur l'intranet, malgré son souhait de partir vite du bureau, pour aller vérifier le bulletin d'annonces de l'entreprise, sous les yeux attentifs de Yuuto, mais aussi de Ren, qui venait de faire le tour de la rangée de bureaux pour les rejoindre.
Rapidement, elle navigua jusqu'à la page des dernières annonces.
'Licenciement sans préavis pour faute grave et mise en examen ; témoins recherchés.'
« C'est quoi ça ? » Grimaça à son tour Yuuto.
Les mains tremblantes, Mari se précipita d'ouvrir la publication pour la lire ; ses doigts appuyant avec force sur la molette de sa souris.
« Le dénommé Kubo T. s'est révélé avoir harcelé et même agressé sexuellement plusieurs employées du groupe, et suite à un incident survenu vendredi soir avec témoins, a été immédiatement renvoyé pour ses agissements. » Lut Mari, sa voix tremblant de plus en plus avec chaque nouvelle phrase. « Les victimes étant essentiellement des internes qui ont depuis quitté l'entreprise ou qui y sont depuis peu, c'est grâce à d'autres employés que le dénommé Kubo T. a été confondu. Nous demandons donc votre coopération pour apporter plus de témoignages concernant cette personne, étant donné que le groupe Marline va représenter ses victimes pour le poursuivre en justice. »
Mari fit une pause dans sa lecture à voix haute, des nausées l'envahissant.
« Quel salopard... » lâcha crûment Yuuto. « Mais attendez… Par internes, ils veulent dire quoi ? »
Mari serra des poings, et Ren s'éclaircit la gorge.
« Ce serait quand même pas…. ? » Dit Mari d'un air absent.
Elle tourna alors la tête vers Yuuto, et il sembla immédiatement comprendre, malgré son caractère habituellement obtus.
« Shinohara-chan ? » Compléta-t-il. « Ça expliquerait pourquoi elle n'avait pas l'air dans son assiette toute la journée... »
Soudain, Mari se leva, fulminante.
« JE VAIS LUI FAIRE BOUFFER MES POINGS ! » S'écria-t-elle, surprenant plusieurs de ses collègues à proximité.
Immédiatement, Yuuto et Ren l'attrapèrent chacun par un bras pour la retenir.
« Du calme Hasami-chan ! » S'écria à son tour Yuuto. « On est même pas sûrs qu'elle fasse partie des victimes ! »
« Même si cela reste probable, surtout au vu de son attitude ces derniers jours,» ajouta calmement Ren.
« Ah, c'était clairement pas la peine de dire ça, Ito-san ! » Chouina Yuuto.
Mari était devenue une vraie furie, et n'en démordait pas.
« Ce type est l'ennemi des femmes ! » Vociféra-t-elle.
« Hasami-chaaan ! » Se plaignit Yuuto, qui avait de plus en plus de mal à la retenir.
Ren, lui, ne bronchait pas malgré les gestes de plus en plus violents de sa collègue. Il savait que de toute façon, elle allait finir par se fatiguer toute seule.
« Je ne sais pas encore de qui il s'agit, mais je peux me renseigner, » dit calmement Ren. « Et la situation a déjà été réglée, Hasami-san. Donc s'énerver ne sert à rien. »
Au même moment, Shinsuke et Saizo regardaient avec perplexité l'agitation qui régnait dans l'étage, persuadés qu'elle devait être identique à celle se produisant dans tous les autres étages du bâtiment.
« Ils ont dû voir la note interne... » Soupira Saizo.
Shinsuke se contenta de grincer des dents. Toute cette agitation pour ça.
« Mais tu as bien fait de reporter ce que tu as vu, », dit-il à l'intention de son ami sans lui lancer un regard. « Grâce à ton témoignage et à celui du Directeur Utagawa, les Ressources Humaines ont immédiatement agi. »
« J'ai fait qu'aller me plaindre, » dit Shinsuke en reniflant bruyamment.
« Oui, oui, tu ne faisais qu'obéir à un ordre direct, » balaya de la main Saizo, imperturbable.
Shinsuke claqua sa langue.
Il n'était pas du genre à se laisser impressionner par un type plus jeune que lui.
Toutefois, il n'était pas non plus du genre à laisser passer une injustice quand il en voyait une. Ses poings le démangeaient même, pour tout dire.
Même si être dérangé en dehors des heures de travail l'avait au départ mis de mauvaise humeur.
Cependant, le jeune homme qui était également son responsable hiérarchique avait dévoilé ce qui s'était réellement passé, et Shinsuke n'était pas du genre à fermer les yeux, même pour sa Némésis.
Il devait avouer qu'il s'était même senti un peu mal pour elle, aussi ; même s'il savait depuis qu'elle était la personne qu'il avait rencontrée et qui s'était déchaînée sur lui après quelques verres de trop.
Selon le Directeur Utagawa, elle ne se souvenait de rien à cause de l'alcool, et même la jeune femme avait exposé ce fait. La femme ivre et la jeune Shinohara Hana étaient une seule et même personne.
Pourtant, leurs comportement ne pouvaient être que d'autant plus différents. Est-ce qu'une personne qui ne supportait pas du tout l'alcool pouvait changer aussi drastiquement du jour au lendemain ?
Wah, les effets de l'alcool pouvaient être terrifiants...
L'air absent, il continua de regarder les trois employés les plus proches de la jeune femme, toujours en train de chahuter : les deux hommes tentaient toujours d'empêcher la femme la plus âgée du groupe de faire quoi que ce soit de répréhensible.
Plus que son envie de revanche à présent derrière lui, et l'animosité qu'il ressentait envers la jeune femme, c'était sa curiosité qui était en train de prendre le dessus sur ses émotions.
Il comptait observer un peu plus Shinohara Hana; même si pour l'instant, elle était déjà hors de son champ de vision.
« J'vais lui faire la peau ! » S'écria encore une fois Hasami Mari.
Shinsuke avait presque oublié que, sous ses airs de femme élégante et délicate, se trouvait une telle furie. Il se fit une note mentale pour éviter de trop réprimander la femme qui continuait de se débattre, et tourna le regard vers Saizo. Ce dernier ne l'avait pas lâché du regard durant tout ce temps, et voyant que son ami avait enfin daigné le regarder, se mit à sourire.
« C'est juste un ordre, hein ? » Dit-il avec une pointe de moquerie dans la voix. « Et pas du tout toi qui t'inquiète pour autrui ? Ni qui reconnaît tes torts ? »
« La ferme. » Répliqua sèchement Shinsuke.
Ce type souriant savait vraiment quoi faire ou dire pour l'énerver. Mais pour une fois, Shinsuke avait trouvé encore plus agaçant que son ami.
Il avait encore à l'esprit les paroles et l'attitude du jeune Directeur Utagawa, et grimaça avec un air grave. Cet homme l'avait dans le collimateur, et semblait assez virulent. Tout cela, parce qu'il avait parlé avec un ton brusque de la jeune femme.
Est-ce qu'il devait y voir quelque chose ?
Se pouvait-il que ce type veuille défendre Shinohara Hana en agissant de la sorte, ou bien, avait-il vraiment des soupçons sur le comportement de Shinsuke et le départ des précédents internes ?
Même Shinsuke lui-même ignorait si ces deux points étaient liés : il n'était pas du genre à faire attention à ce que les gens ressentaient, et encore moins quand c'étaient des employés provisoires qui n'étaient même pas sûrs de rester après la première année.
Il s'était pas mal énervé, à cause de l'incompétence de certains, et il avait été dur avec eux ; mais il ne savait pas si cela avait suffi à les faire démissionner. Il avait toujours pensé que ces gens avaient quitté leur emploi parce que les conditions de travail du Département Catastrophes Naturelles étaient insoutenables ; le Département faisant beaucoup plus d'heures supplémentaires que ses homologues, malgré le fait d'avoir moins de flux de clientèle. La faute à des équipes en sous-effectifs qui ne s'étoffaient plus depuis quelques années et perdaient même encore plus d'employés.
Il entendit Hasami Mari vociférer à voix haute une dernière fois tandis que ses collègues essayaient de la calmer, et il se décida à éteindre son poste informatique.
Ça ne restait que des spéculations pour l'instant, alors inutile de s'en préoccuper pour l'instant ; et même s'il était en partie fautif, il n'avait fait que son travail de superviseur, rien d'autre.