Chapter 9 - Il sait tout.

« Quel était le sujet de ton diplôme, Hana-chan ? » Demanda Mari tout en ouvrant une cannette de thé glacé.

« Economie et Management, spécialité comptabilité. Pourquoi ? » Répondit Hana.

« Ah…. Comptabilité ? Pas Assurances ?» Dit Yuuto, pensif. « C'est pour ça alors... »

Hana ne savait pas vraiment pourquoi sa spécialité d'études était si importante.

Ils étaient tous les quatre assis à la même table ; avec Mari et Hana d'un côté, et Ren et Yuuto de l'autre. Ren était assis en face de Mari, et Hana en face de Yuuto.

« N'empêche, vu comme on est assis, on dirait vraiment un goukon (1) ! » Rigola Yuuto. « Une rencontre entre célibataires, et on est juste le bon nombre ! »

« Avec toi, Yuuto-kun ? » Demanda Mari en levant un sourcil. Puis elle éclata de rire tout en frappant frénétiquement ses mains sur ses jambes. « C'est vraiment une excellente blague ! »

Yuuto lui lança un regard noir avant d'incliner légèrement sa tête en arrière et de renifler bruyamment.

« Ha ! Comme si je voulais y aller avec toi ! » Se moqua-t-il fièrement. « Je sors qu'avec des filles plus jeunes que moi ! »

Ren donna une claque nette et rapide sur l'arrière du crâne de Yuuto. Et ce dernier se retourna soudainement vers Ren, un air sévère sur le visage et les sourcils froncés.

« Hé ! C'était pour quoi ça ?! »

Ren, pas le moins du monde impressionné, lui répondit sans même lui jeter un regard.

« Un moustique. »

Yuuto se massa l'arrière du crâne un instant, puis reporta son attention sur Hana, assise juste en face de lui.

« Mais dis moi Shinohara-chan, tu es déjà allée à beaucoup de goukon ? » Demanda-t-il. « Vu comme t'es jolie, je suis sûre que t'as eu pas mal d'occasions de faire des rencontres ! »

Hana remua légèrement sur son siège. Le petit restaurant de quartier dans lequel ils se trouvaient était rempli de monde à cette heure, et la petite salle était déjà entièrement remplie de personnes discutant bruyamment tout en mangeant ou en attendant leurs commandes.

Leur petit groupe était positionné contre un mur, ce qui limitait les passages fréquents près de leur table. Mais ça n'empêchait pas Hana de se méfier de chaque allée et venue, en jetant des regards discrets à droite et à gauche.

La question inattendue de Yuuto l'avait rendue également un peu plus anxieuse.

« Je… Je n'y suis jamais allée... » Avoua-t-elle.

« Hé bien ! » S'étonna Mari. « C'est vraiment étonnant ! Surtout pour une jeune femme aussi mignonne que toi Hana-chan ! »

Le compliment déstabilisa un peu Hana, qui n'était pas non plus habituée à devenir le centre de l'attention. Mais elle ne se laissa pas déstabiliser pour autant.

« Je n'ai pas eu le temps… Je suppose ? » Répondit-elle avec gêne.

Ce n'était pas non plus entièrement un mensonge. Elle n'avait pas vraiment eu le temps, ces cinq dernières années. Et avant cela… Hé bien…

« Dans ce cas, pourquoi ne pas te rattraper avec nous ? » Proposa Yuuto, tout sourire. « Je sais ! On pourrait aller au karaoké après le travail ! »

« Non. Merci. » Répondit fermement Mari. Puis, se penchant vers Hana, elle ajouta en chuchotant : « Ne sors jamais toute seule avec lui. Jamais. »

Est-ce que c'était un avertissement ? Ce type était si problématique que ça, pour que Mari prenne la peine de la mettre en garde ?

« Hé ! C'était quoi ça ?! » Se plaignit Yuuto. Il prit alors un visage sérieux. « Je suis un adulte responsable ! Comme tout le monde autour de cette table ! Et Shinohara-chan en est une aussi hein ! »

« Personne n'a parlé du fait que tu sois immature, Yamamoto-san. » Dit Ren tout en se massant les tempes.

La tournure que prenait la discussion lui donnait mal à la tête. Yuuto et son manque absolu de cohérence et de sérieux lui tapait vraiment sur les nerfs.

« Quoi ? T'es jaloux parce que je suis en face de Shinohara-chan et que si c'était vraiment un goukon je serai mis en paire avec elle ? » Se moqua Yuuto avec un rictus.

« Je ne le suis pas. » Répliqua Ren.

Bon il allait vraiment devoir lui-même retourner la discussion à son point de départ, sans quoi il allait perdre des neurones, là.

« De plus, ce n'est pas le sujet,» argumenta Ren. « Ce n'est pas important de se soucier des places assises de chacun. Chacun peut s'asseoir où il le souhaite après tout. »

« Et voilà, il reparle comme un papy... » Soupira Mari.

Une veine se contracta presque sur le front de Ren, mais il garda néanmoins son sang-froid. Quelle superbe démonstration de maîtrise de soi. Il était définitivement agacé par ce commentaire, mais ses bonnes manières lui interdisaient de répondre quoi que ce soit à cette femme.

Ce qui n'était pas le cas de Yuuto, qui lui avait tracé la limite avant même la distinction homme/femme. Il était juste irrespectueux avec tout le monde.

C'était donc comme cela que leur groupe interagissait ?

« Mais pourquoi ? Ne pas se soucier des sièges que chacun occupe, c'est vraiment un truc de vieux ? » Demanda innocemment Yuuto. « Je m'en fiche aussi, et je suis pas un vieux ! »

« Peut-être que t'étais déjà un vieux depuis le berceau, » le taquina Mari. « C'est pour ça que t'as toujours pas remarqué que tu l'étais, même maintenant ! »

« Je pense que ça s'applique plus à Ito-san, » rétorqua Yuuto en reniflant. « Je pense que c'est lui qui est comme ça depuis la naissance : maigrelet avec une apparence soignée, et réprimandant ses parents parce que ses couches sont pas hypoallergéniques ! »

« Je te prie de ne pas faire de commentaire sur mes couches, ou à propos de quoi que ce soit lié à l'hygiène personnelle pendant que nous mangeons, » le gronda Ren, visiblement énervé.

Ah oui, c'était vraiment là leur dynamique de groupe.

Mari taquinant à mort un kohai idiot, et un senpai sérieux avec lequel il ne fallait pas plaisanter.

Ren essayant de tourner la conversation qui partait dans tous les sens pour les éloigner tous des absurdités que débitait Yuuto.

Et Yuuto… Étant lui-même ?

Cela fit sourire un peu Hana et la libéra de tout le stress qu'elle avait accumulé depuis ce matin.

C'était plutôt… Rafraîchissant.

« Bon, en attendant nos commandes, et si on expliquait un peu à Shinohara-chan ce qui se passe au huitième étage? » Proposa avec confidence Yuuto.

Étonnamment, ce fut l'élément perturbateur du groupe qui ramena la conversation vers un sujet sérieux.

« Dis moi Hana-chan, tu sais quelle est la spécialité du huitième étage. Pas vrai ? » Demanda Mari.

Bien sûr qu'elle savait. Elle avait pu découvrir quel Département elle allait rejoindre, au cours de ses formations ; mais aussi avant cela, quand elle avait reçu tous les documents relatifs à sa future affectation.

« Le Département des Catastrophes Naturelles, » répondit Hana avec confidence.

« Dans ce cas, tu sais pertinemment que notre département est particulier et important. » Dit Mari. « Car les catastrophes naturelles représentent un risque quotidien et en expansion autant par fréquence que par intensité. »

« Près de 20 % de tous les séismes d'intensité importante surviennent au Japon, » Expliqua Ren. « et dans notre pays, les catastrophes les plus fréquentes sont les tempêtes, les séismes et les inondations. Dans cet ordre. »

Ren savait apparemment son sujet par cœur. Mais il savait également rendre ses explications concises et simples à comprendre.

« Parmi ces trois grands risques, les tremblements de terre représentent à eux seuls près de 90 % de la mortalité, et près de 83 % des problèmes économiques impactant les victimes, » continua Ren. « Et sur les pertes économiques moyennes annuelles, les tremblements de terre représentent approximativement 43 % de ces pertes, pour seulement 24,5 % pour les tempêtes. »

Ren but une gorgée de son thé glacé avant de continuer son explication plus en détail.

« de 2009 à 2018, le coût moyen des dégâts causés par les catastrophes naturelles dans notre pays était de 350 milliards de Yens par an. Ces coûts ayant été largement dépassés en 2016, avec près de 1 755 milliards de Yens, et en 2011 lors du Tremblement de terre du Tohoku, avec près de 6 419 milliards de Yens. » Expliqua Ren tout en reposant sa tasse sur la table, et en essuyant ses mains fines et délicates sur sa serviette. « Pourtant, les assurances spécifiques pour les tremblements de terre sont optionnelles, contrairement aux assurances incendie, qui sont obligatoires et systématiques. Et une assurance tremblement de terre ne peut être contractée qu'au cours de la validité d'une assurance incendies. »

Cette fois, Mari le coupa dans son explication en tendant rapidement une main vers lui. Hana soupira malgré elle.

« Ah, attends Ito-san, tu vas la perdre avec tous ces chiffres ! » Se précipita à dire Mari.

La femme plus âgée baissa ensuite son bras, et se tourna vers sa droite, et donc vers Hana.

« Ce que Ren essayait de t'expliquer, c'est que notre service est dédié à la prévention des catastrophes naturelles, et donc par là même à la sensibilisation de la clientèle à ces risques particuliers. Et la section ventes ne fait que cela. Elle commercialise les assurances, et s'assure du bon paiement des cotisations par les clients ; et d'une partie des indemnités par l'assureur. Le reste étant pris en charge par le gouvernement. » Dit Mari. « Mais du fait de ces rôles particuliers, nous sommes également en première ligne pour les clients. C'est donc relativement intense à certains moments, comme aujourd'hui. »

« Et lorsqu'il y a une catastrophe, il faut parfois un certain délai avant que le gouvernement n'annonce les préfectures comptabilisées et l'ordre dans lequel elles seront indemnisées. Et ce matin, il y a justement eu des annonces. »

Hana commençait un peu à comprendre les tâches qui incombaient au huitième étage, et à ce département si particulier. Et ça avait l'air définitivement très intense.

Au départ, elle avait été ravie d'être dans le même département que « lui ». Comme si c'était le destin. Mais ensuite, elle s'était rapidement rendue compte que le travail était assez important en terme de quantité et de délais. Et elle n'osait même pas imaginer ce à quoi le jour même où une catastrophe naturelle se produisait pouvait ressembler.

« Mais heureusement, ce n'est pas comme ça tous les jours, » sourit Mari en poussant un soupir. « Bien que pour aujourd'hui, c'est comme si tu avais été directement jetée dans la friteuse, hein ? »

Hana acquiesça d'un signe de tête. Elle était plutôt soulagée d'entendre ces paroles rassurantes. Et encore plus de voir leurs commandes arriver.

Une serveuse déposa devant chacun d'eux un bol de ramen avec des garnitures toutes différentes les unes des autres, ainsi que quelques petites assiettes d'accompagnements.

« Ah, j'ai déjà traité au moins vingt dossiers ce matin, » se plaignit Yuuto, en mordillant ses baguettes. « Beaucoup de vitres cassées, d'arbres tombés et même une voiture inondée... »

« Wah, déjà vingt ??? » Laissa échapper Mari, surprise. « Je peux vraiment pas suivre ton rythme ! »

Elle ajouta du furikake (2) dans son bol, et mélangea le tout.

« J'en aurai fait bien plus que ça si je n'avais pas eu une demande d'indemnisation pour un entrepôt entier à traiter. Les glissements de terrain sont vraiment terrifiants... » Ajouta Ren en secouant la tête.

Yuuto eut un sourire narquois, satisfait de démontrer à quel point il était compétent et rapide dans son travail. Sa rapidité et sa précision dans son travail étaient en effet assez étonnantes ; surtout si ses collègues en chantaient les louanges. Ou du moins, vu comment ils reconnaissaient ses efforts.

Toutefois, parlez lui de tout ce qui n'était pas lié au travail…

« T'as déjà été pris dedans ? » Demanda innocemment Yuuto.

« Dans quoi ? » Demanda à son tour Ren.

« Un glissement de terrain, » élabora Yuuto.

….Et il ne saurait ni lire l'ambiance ni faire preuve de bon sens.

Ren le regarda, stupéfait. Il ne répondit même pas à la question ridicule, en ayant assez du candide idiot à ses côtés.

Il reporta donc son attention sur les deux seules personnes saines d'esprit qui lui faisaient face de l'autre côté de la table. Et il semblait prêt à partir à la pêche aux informations.

« Au fait, Shinohara-san, » commença Ren. « C'est assez inhabituel.. »

« Quoi donc ? » Demanda Hana.

L'homme plus âgé sembla réfléchir un peu à ses mots suivants, avant de reprendre la parole.

« Travailler dans le domaine de l'assurance peut parfois être fatiguant et extrême ; et d'autant plus dans notre Département, » dit Ren. « Donc, je suis vraiment curieux de savoir pourquoi quelqu'un qui n'a pas étudié le sujet des assurances a été embauché chez nous. Ou même, pourquoi cette personne aurait été candidat à l'embauche chez nous en premier lieu. »

« Aww, Ito-san, arrête de la harceler, tu vas lui faire peur ! » Contesta Yuuto en donnant un coup de coude à son voisin de table. Ledit voisin de table ne broncha même pas, restant imperturbable et immobile.

« Je ne fais qu'énoncer des faits. Tout autre Département, voire même entreprise, aurait été un choix plus facile et plus logique pour un premier contrat de travail. Pourtant, vous avez choisi notre entreprise... » Expliqua Ren, ses yeux perçants dirigés vers Hana. « Comme si… travailler ici n'était pas votre principale raison... »

« Ito-saaaaan…. » Commença Yuuto.

« Non, attends. Tais-toi Yuuto-kun, » le coupa brusquement Mari. « Ren n'a pas tort là. »

Hana s'agita nerveusement sur sa chaise, ne sachant pas qui elle devait regarder, étant donné que tous les trois avaient leurs yeux posés sur elle. Elle était même un peu soulagée d'avoir Yuuto directement en face d'elle au lui de Ren ; qui lui, faisait face à Mari. Parce qu'en ce moment même, Ren lui lançait un regard suspicieux et méfiant. Mais elle ne pouvait pas lui en vouloir. Elle avait postulé avec des motifs cachés, après tout.

« De plus, j'ai remarqué que vous n'arrêtiez pas pas de regarder le Chef Kobayashi, » ajouta Ren.

Il ne disait pas cela avec un ton méchant, ou pour lui faire peur. Mais il était plutôt curieux. Et aussi assez intelligent pour avoir une vision juste et précise de la situation. C'était même un peu effrayant, la façon dont il pouvait deviner correctement les choses.

C'était le roi des potins et des rumeurs, après tout. Donc en quelque sorte un roi de l'information.

Hana se surprit même à penser qu'il aurait été parfait en tant qu'espion.

Était-il aussi observateur que cela ? Avait-il déjà deviné bien plus que ce qu'il avait dit ?

Mais comme pour prouver ce point précis, Ren croisa les bras, et ajouta d'un ton neutre, comme s'il annonçait un fait établi :

« Il semble que vous vous intéressez beaucoup à notre chef, n'est-ce pas ? »