Pendant ce temps, Kobayashi Shinsuke avait observé d'un air distrait toute la scène, appuyé contre une des parois en verre de la salle de pause.
Buvant son café encore tiède, il écoutait également d'un air distrait la discussion que Saizo et plusieurs employées avaient, monopolisant une bonne partie de la pièce. Il fallait dire que Saizo était un peu l'homme charmant qui avait fait battre au moins une fois le cœur de chaque jeune femme étant venue travailler dans la compagnie ; et ce, même si son cœur à lui n'était plus à prendre.
Shinsuke grimaça malgré lui. Ça faisait bien longtemps qu'il n'était plus le centre d'attention de la gente féminine. Et son fichu caractère n'aidant pas, il en avait sûrement éloigné plus que de raison. Et de toute façon, ça ne l'intéressait plus. Même après tout ce temps, ce n'était comme si une blessure à l'âme pouvait guérir d'elle-même. C'était le genre de blessure qui persistait ; parfois même s'empirant avec le temps qui passe. Et chacun avait besoin d'un temps qui lui était propre pour guérir. Il n'y avait pas de durée universelle connue au cœur humain pour oublier toutes les tristesses du passé. Et dans le cas de Shinsuke, il semblait que celle durée soit anormalement longue.
Non… Il faut avant tout vouloir guérir, pour que le cœur commence à se soigner… Pensa-t-il amèrement.
Son regard et celui de la jeune femme s'étaient déjà croisés à deux reprises ce matin. Ce qui, selon lui, était déjà deux fois de trop.
Il grimaça rien qu'à la pensée qu'elle l'avait probablement observé toute la matinée, sans même qu'il ne s'en rende compte.
Qu'est-ce que ça voulait dire, à la fin ?
Il avait bien vu qu'elle lui avait lancé des regards furtifs depuis son arrivée ce matin. Comme s'il était une chose curieuse, qu'elle n'avait jamais vue avant.
Pourtant, ils avaient fait plus que se croiser la veille.
Se serait-il trompé, en fin de compte ?
Le doute continuait de s'installer dans l'esprit de Shinsuke.
Mais il avait alors vu la jeune femme se diriger vers la cage d'escaliers, au lieu de l'ascenseur où ses nouveaux collègues s'étaient engouffrés.
Ce qui signifiait qu'elle allait se retrouver seule pendant un petit moment, et donc que Shinsuke pourrait profiter de cette opportunité pour lui parler et la confronter.
Jusqu'à présent, elle n'avait montré aucun signe de remords, malgré le fait qu'elle l'avait définitivement reconnu.
Il en était sûr. Le visage de la jeune femme le lui avait bien fait comprendre. Ça, et ses regards insistants. Même s'il doutait encore de sa propre mémoire, les regards que lui lançait la jeune femme étaient plus que suffisants pour confirmer ses soupçons.
Alors il était temps de remettre les choses à plat, surtout concernant l'humiliation qu'il avait vécue la veille. Ah, il ne s'en remettrait jamais. Il ne pouvait même plus mettre les pieds dans sa boîte de nuit préférée, qui servait tellement d'alcools d'endroits différents à la fois. Fini le fin whisky d'Écosse, ou le Gin anglais. Il lui faudrait trouver un autre endroit servant autant de boissons importées, et si possible à un prix raisonnable.
Il était passé près de passer la nuit en prison, mais même ça aurait peut-être été mieux, au vu de ce qu'elle lui avait fait subir la veille.
Alors comment allait-elle réagir ? Allait-elle nier, comme le laissait à penser son attitude ? Ou au contraire, se confondre en excuses ?
Il quitta donc la salle de pause, laissant Saizo derrière lui discuter et rigoler avec certaines collègues qui appréciaient l'attitude légère et enjouée de son ami.
Oui, il allait la confronter, face à face. Et lui demander des excuses formelles. Et s'il n'en était pas satisfait, il la forcerait à démissionner.
Rien que le fait de penser à cela le fit sourire. Il allait apprécier de voir le visage de la jeune femme perdre son air enjoué, et être obscurci soit par la honte, soit par la peur de ne pas avoir d'emploi du jour au lendemain.
D'un pas décidé, il se dirigea vers la porte de service menant à la cage d'escalier principale du bâtiment. C'était juste parfait. Il pourrait lui balancer tout ce qu'il avait sur le cœur. Elle s'était comportée comme une vraie folle hier soir. Et il allait se venger, d'une façon ou d'une autre.
Toutefois, sa main s'arrêta net sur la poignée, quand il entendit des voix provenir de la cage d'escaliers, de l'autre côté de la porte.
« Oui… Ah, c'est encore Shinohara Hana à l'appareil… Oui… » Dit la jeune femme d'une voix grave et presque inaudible.
Elle semblait parler au téléphone avec quelqu'un, étant donné que Shinsuke n'entendait qu'une partie de la conversation.
« Ah, oui, j'aurai besoin de changer les trois s'il vous plaît… Ah… Oui… Non… Ma colocataire a encore perdu nos jeux de clés… Oui... Je vous prie de m'excuser pour la gêne occasionnée… Merci... » Continua la jeune femme, sa voix perdant encore plus de volume à mesure que la conversation continuait.
Elle semblait se confondre en excuses, en même temps qu'elle demandait un service. Elle n'avait tout à coup plus l'air aussi enjouée qu'auparavant. Comme si elle avait un problème, et que le problème en question l'inquiétait et la rendait anxieuse.
Shinsuke ne put s'empêcher de se demander ce qui pouvait bien inquiéter à ce point sa nouvelle subalterne, pour que son attitude change à ce point.
Non. Il devait éviter de se mêler de ce qui ne le regardait pas.
C'est ça, Kobayashi Shinsuke. Fais comme si tu n'avais rien entendu, et pars de ton côté. Se dit-il mentalement à lui-même.
Intervenir dans des choses qui ne le concernaient pas était vraiment interdit.
Interdit ! C'est Interdit, Kobayashi Shunsuke ! Interdit !
Il essayait de se sermonner lui-même, mais rien n'y fit. Il continua malgré lui à écouter la moitié de discussion.
« Oui… Je comprends… Ah ! Non… Ce soir si possible… Je sais que je vous en demande beaucoup... » Dit Hana. Elle semblait de plus en plus embêtée par la situation, et aussi probablement par ce qui lui était dit au bout du fil.
Elle le savait, après tout, que c'était plus qu'étrange.
C'était déjà la quatrième fois en un seul mois qu'elle demandait à changer toutes les serrures de son appartement. Et même en disant que des clés avaient été perdues, ça commençait à faire beaucoup.
« On ne pourra passer qu'à partir de 21h00 ce soir. J'ai bien peur qu'on ne puisse pas avant, à cause de tous les rendez-vous qu'on a déjà aujourd'hui. » Lui répondit l'employé de la serrurerie en soupirant.
Il semblait lui aussi fatigué d'avoir la même cliente au téléphone, et pour la même raison à chaque fois.
« Oui, d'accord. Je comprends. Mais dans ce cas passez bien ce soir, d'accord ? » Demanda Hana, inquiète.
Elle remercia encore l'employé, tout en s'excusant, puis raccrocha enfin.
Elle soupira longuement, un gros fardeau en partie retiré de ses épaules.
Ce que Shinsuke n'avait pas prévu, était qu'Hana revienne aussi vite sur ses pas. En y repensant, c'était plus que prévisible, du moins pour la plupart des gens. Mais pas pour Shinsuke, qui avait tendance à trop se concentrer sur une chose, et à complètement éclipser le reste.
Car quelques secondes plus tard, il se retrouva en face d'une porte grande ouverte, et d'une recrue affolée aux yeux tremblants et grands ouverts.
« C… Chef Kobayashi ? » Parvint-elle à dire, surprise. « Qu'est-ce que vous faites ici ? »