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Chapter 3 - À quoi bon s’enfuir vers l’intérieur de la prison ?

 Le récit de Mira, long de peut-être dix minutes, n'a pas seulement émerveillé Kriost — Saïna aurait-elle vraiment pu naître autrement qu'en de telles circonstances ? Il lui a également permis de reprendre des forces, un peu, dans la fraîcheur matinale de la cellule. Le jeune parvient ainsi enfin à entrouvrir les yeux et à communiquer par un râle, entre soulagement et souffrance.

 « Vous avez soif, monsieur Kriost ? »

 La voix légère d'Olia, la fille du forgeron, arrache un fin sourire à Kriost. Il tourne la tête vers elle qui, malgré des vêtements en lambeaux et des cheveux blond sale, parvient à respirer la joie et la vitalité. Elle sourit et ses petits yeux verts traduisent un honnête contentement. Les jours qui se sont écoulés n'ont pas dû être simples, Kriost en est convaincu.

 Il finit par hocher la tête pour toute réponse, bien conscient qu'il est encore un peu trop tôt pour parler. La petite lève une écuelle remplie d'eau contre ses lèvres. Le contact frais revigore immédiatement.

 L'eau… Il soupire de bonheur avant de reprendre une gorgée.

 Le liquide bienfaiteur s'engouffre de nouveau en lui, atteint le fond de sa bouche et dévale sa gorge, tant et si bien que Kriost croit sentir chacune des parcelles de son corps être ressourcée par trois pauvres gorgées d'eau. Il déglutit difficilement, indique ainsi à Olia qu'il en a assez.

 La cellule tout entière — une ancienne remise dont tous les meubles ont été ôtés, sinon détruits — baigne dans la lumière naissante d'une aube nuageuse. Les pierres des murs sont encore couvertes de sang et de suif, les prisonniers aussi. Deux fenêtres leur permettent de voir l'extérieur de la pièce. Enfin, voir…

 La première est loin au-dessus de Kriost, si haute qu'on ne peut probablement voir que le ciel ; la seconde a été faite à même l'un des murs séparant la cellule du couloir. D'épaisses barres de fer y ont été plantées grossièrement, probablement pour dissuader toute évasion. Et puis quand bien même, à quoi bon s'enfuir vers l'intérieur de la prison ? Cherchent-ils à l'attirer ? À ce qu'il s'écarte du plan ? À ce qu'il tente de passer entre les barres rouillées ?

 « Ça va gamin ? » Le forgeron, cette fois, avec sa grosse voix bien épaisse. « T'as l'air contrarié ! » Et son rire puissant, quoique forcé. « T'as mal dormi ? »

 Un éclat de rire monte en Kriost, l'étrangle à moitié. Il sourit donc simplement au bonhomme hirsute assis en tailleur dans un coin de la cellule. Il a l'air moins épuisé que lors de leur dernière rencontre, ce qui rassure Kriost… et l'inquiète un peu. Le chant du cygne, qu'on y croit ou non, est réel. Sans s'en rendre compte, il fronce les sourcils et :

 « Ne vous inquiétez pas pour lui. »

 Kriost laisse glisser son regard vers la soigneuse qui, occupée à jouer avec le tissu de sa robe, tente de camoufler sa peur dans un sourire maladroit.

 « Il a simplement accepté de dormir dans la position que je lui ai conseillée. »

 Kriost hoche la tête pour toute réponse, avant de lancer un regard vers Olia. La gamine comprend et l'aide à boire. Il balaie de nouveau la cellule, devine la silhouette de la boulangère, qui rumine à part elle dans un coin. Une autre personne est là, non loin de la boulangère, emmitouflée dans un coin sombre, probablement endormie.

 Kriost plisse les yeux, abandonne rapidement. La lumière de Larfill remplira bien assez vite les lieux. Peut-être que d'autres villageois étaient enfermés ailleurs… La boulangère décide de trancher le silence.

 « Donc je suis la seule qui trouve étrange qu'elle ait survécu à cet été ? » Elle est aigrie et enragée, un mauvais mélange s'il en est. « Je veux dire… Tous les enfants meurent, sauf elle ; puis elle se met à entendre des voix, puis nos filles meurent dans un incendie dont elle réchappe, puis nous sommes attaqués ? » Sa voix monte de plus en plus. « Je suis la seul à trouver ça gros ? À me dire que la petite folle nous a peut-être attiré le courroux des dieux ? »

 Les autres adultes ne répondent pas. Le regard d'Olia va d'ailleurs de l'un à l'autre pour en apprendre plus. Kriost, lui, dévisage la boulangère. D'où est-ce que sa colère vient ? Non, ça n'est pas ça. Il sait d'où vient sa colère. Saïna lui a raconté… Il balaie l'assistance à la recherche d'un regard aussi perturbé que le sien.

 « Non, mais franchement ! Vous ne vous rappelez pas ? »

 Il la dévisage, elle n'en a cure. C'est à son tour de raconter.