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Chapter 22 - Des Lettres de Chez Moi

Une aube claire inondait les flèches de Silverhold alors que Damon Blackthorn avançait dans l'un des couloirs les moins fréquentés du palais. Un air frais s'engouffrait par les hautes fenêtres voûtées, portant le parfum des roses encore couvertes de rosée dans les jardins royaux en contrebas. Malgré le cadre somptueux — tapisseries luxueuses aux murs, sols de marbre étincelant — l'esprit de Damon restait rivé à l'obscurité qui rôdait au-delà des portes de la cité. Depuis l'attentat manqué lors du banquet, une tension latente pesait sur lui, rappel constant que de nouvelles menaces pouvaient surgir de n'importe quel recoin du royaume.

Il tourna à l'angle d'un couloir et faillit bousculer un coursier du palais — un jeune homme serrant précieusement des rouleaux et des enveloppes cachetées. Le messager s'inclina précipitamment, s'excusant :

— Pardon, monsieur. Seriez-vous Damon Blackthorn, par hasard ?

Damon haussa un sourcil :

— C'est moi. Avez-vous besoin de moi ?

Le visage du coursier s'éclaira de soulagement :

— Oui, monsieur. J'ai une lettre pour vous — arrivée ce matin par la route de l'ouest. Le sceau m'a semblé local, alors j'ai pensé vous l'apporter directement.

Farfouillant quelques instants, il présenta une enveloppe unique, fermée d'un sceau de cire orné de deux épis de blé croisés.

Le cœur de Damon eut un raté. Le symbole, modeste, était pourtant familier : Fallbrook. Le village frontière qui l'avait vu grandir. Il remercia le coursier, accepta l'enveloppe et s'écarta dans une alcôve près d'une des grandes fenêtres pour la lire en toute discrétion.

1. Des nouvelles de Fallbrook

Il rompit délicatement le sceau. À l'intérieur, une feuille de parchemin couverte d'une écriture irrégulière :

Damon,

Cela fait longtemps qu'on ne t'a pas revu. Les choses ont changé ici à Fallbrook. Les attaques de bandits se sont calmées, en grande partie grâce aux récits de ton courage. On dit que ton nom inspire le respect même par chez nous, à présent. Nous sommes fiers de toi.

Mais les ennuis ne sont pas finis — on raconte qu'il se trame des bruits étranges dans les forêts hautes, que des voisins disparaissent. Certains jurent avoir entendu des hurlements la nuit, plus que de simples loups. D'autres voient des lumières près des vieilles ruines, au crépuscule. On ne sait pas si ce sont des rumeurs ou pire. Beaucoup s'inquiètent qu'on ait à affronter, nous aussi, un danger semblable à celui que tu as déjà repoussé.

Maître Grogan te mentionne souvent, affirmant qu'il savait bien que tu ferais de grandes choses. Il tente de rassurer les gens, forme ceux qui veulent bien s'exercer. Pourtant, la peur s'insinue. On se sentirait plus en sécurité si tu venais — ou du moins si tu pouvais nous conseiller. S'il te plaît, Damon, si tu as un peu de temps, n'oublie pas que Fallbrook compte encore sur toi.

Avec espoir,

Jonar, le forgeron

Un pincement lui noua la poitrine. Les souvenirs du village isolé, de la forge robuste de Jonar, du regard attentif de maître Grogan se bousculaient. Il avait quitté Fallbrook des mois plus tôt, poussé par la destinée plus vaste qui l'appelait. À présent, leur modeste coin du royaume semblait menacé à nouveau. Il replia la lettre, le front plissé.

— Des ennuis chez moi, murmura-t-il, le cœur lourd. Et j'étais si concentré sur les dangers à la capitale — warlocks, assassins, Morath le Noir — que j'ai presque oublié Fallbrook. La culpabilité le piqua, mais aussi un élan protecteur. Je ne les abandonnerai pas.

2. Partager la nouvelle

Il lui fallait un conseil. Glissant la lettre à sa ceinture, Damon se dirigea vers la cour d'entraînement, où il savait que Seraphina et les autres s'exerçaient sous la tutelle de la grand-maîtresse Aveline. Le soleil s'était pleinement levé quand il posa le pied sur le sol battu du terrain. Des files de recrues de la Garde d'Élite enchaînaient des exercices de sabre et de lance, leurs cris rythmiques résonnant entre les chocs métalliques.

Dans un coin, Seraphina s'exerçait aux dagues avec un instructeur svelte, sa tresse auburn fouettant l'air alors qu'elle esquivait, contre-attaquait d'une élégance précise. Rivan, lui, combattait à la lance contre un autre garde, tandis que Marisol — son bras désormais guéri — s'entraînait à l'épée avec Sir Rodrik, peaufinant déplacements et manœuvres défensives.

À la vue de Damon, Seraphina mit fin à l'échange et s'approcha, encore alerte :

— Tu es en retard, le taquina-t-elle, essuyant une goutte de sueur sur son front. Un souci ?

Damon expira, tendant la lettre :

— Un message de Fallbrook. Ils craignent de nouveaux problèmes : disparitions, bruits inquiétants, lumières près de ruines. Ils demandent de l'aide.

Seraphina parcourut rapidement le parchemin :

— Jonar, le forgeron… Je me rappelle tes récits sur lui. Ton village pourrait à nouveau être menacé ?

Rivan, rejoignant le groupe, ayant entendu la conversation, fit la grimace :

— Fallbrook, hein ? Des gens bien. Les premiers à t'avoir soutenu lors de cette première attaque de bandits. Crois-tu à une menace sérieuse, ou craignent-ils un simple mythe ?

Marisol posa son bouclier :

— Vu tout ce qu'on a vu — monstres, magie noire — rien n'est impossible.

Damon désigna la lettre :

— Difficile à dire. Peut-être juste des rumeurs. Mais après nos expériences, la prudence s'impose.

Sir Rodrik, concluant son duel, s'approcha :

— Le roi t'a confié la mission de surveiller tout risque d'artefact ou de culte, non ? Il pourrait accepter que tu ailles examiner ta région natale. Mais… Il jeta un œil à la grand-maîtresse Aveline qui menait un groupe de novices. … nous sommes en plein entraînement de la Garde d'Élite. Et le roi lui-même veut te garder sous la main, au cas où il faudrait partir au nord contre Morath.

Damon sentit son cœur se serrer. Un dilemme se dessinait. Il relut mentalement la supplique de Jonar, imaginant les visages inquiets de son village.

— Je ne peux les ignorer, souffla-t-il, mais je ne peux non plus aller à l'encontre des ordres du roi.

Seraphina fronça les sourcils :

— Demandons directement à Alastair. Il acceptera peut-être une courte expédition, surtout si un lien avec des cultes ou reliques est possible. À défaut, on pourrait envoyer un petit détachement, pendant qu'on reste ici.

Damon hocha la tête, soulagé par la perspective. Oui, parlons-lui.

3. Audience avec le roi

Plus tard dans la journée, après les exercices, Damon et Seraphina obtinrent une entrevue avec le roi Alastair. Ils le trouvèrent dans une salle de conseil, entouré de Lord Cyril et de quelques conseillers. L'atmosphère paraissait tendue : des cartes jonchaient la table ronde, mentionnant les progrès de Morath au nord, d'éventuelles rébellions à l'ouest et d'interminables querelles de nobles.

Alastair leva les yeux, son regard cerné témoignant de l'ampleur de ses responsabilités :

— Damon, Seraphina. Il y a un motif pressant pour interrompre ces discussions ?

Damon prit une inspiration :

— J'ai reçu une lettre de Fallbrook, mon village natal, Sire. Ils signalent des phénomènes étranges : disparitions, hurlements, feux follets près de ruines.

Le roi fronça les sourcils, échangeant un bref coup d'œil avec Lord Cyril :

— Poursuivez.

Seraphina, sereine, compléta :

— Ce n'est peut-être rien de grave. Mais vu les récents troubles magiques, mieux vaut vérifier. Damon tient à s'en assurer. Et s'il y a un risque de culte dissident ou d'usage de reliques, nous pourrions le déceler.

Lord Cyril ajusta ses lunettes :

— Fallbrook se trouve à l'ouest, en zone frontalière, non ? Région jadis sujette au banditisme. Si des rumeurs étranges circulent, ça pourrait rappeler la magie dévoyée que nous avons déjà croisée.

Le visage d'Alastair se ferma :

— Je ne nie pas l'intérêt. Mais Morath menace le nord, et j'ai besoin que vous soyez prêts à partir sur mon ordre. Il posa ses doigts sur la table. De combien de temps auriez-vous besoin ?

Damon réfléchit :

— Peut-être une semaine, Sire. Voyager vite, enquêter ou neutraliser la menace, puis revenir. Si nous découvrons une corruption profonde, nous enverrons un messager sur-le-champ.

Un silence tomba. Le roi paraissait peser le pour et le contre :

— Très bien. Je ne tolérerai pas qu'une autre région devienne un foyer de trouble, surtout pas votre village d'origine. J'autorise votre départ, à deux conditions.

Seraphina inclina la tête :

— Lesquelles ?

Un premier doigt :

— Primo, vous partez en effectif réduit. Je ne peux affecter un grand groupe de la Garde d'Élite. Quelques soldats compétents suffiront.

Un second doigt :

— Secundo, vous rentrez au plus tard dans deux semaines, sauf découverte grave. Morath gagne du terrain chaque jour, et je pourrais avoir besoin de vous très vite.

Damon s'inclina :

— Nous acceptons, Sire. Merci.

Il ressentit un profond soulagement : Fallbrook ne serait pas livré à lui-même.

4. Former une petite troupe

La nouvelle se propagea vite au palais : Damon, Seraphina, Rivan et Marisol s'en iraient vers l'ouest. Sir Rodrik, malgré son envie de les accompagner, devait rester à Silverhold pour superviser l'entraînement et se tenir prêt pour le nord. De son côté, la grand-maîtresse Aveline consentit à une absence temporaire de Damon, avec un avertissement ferme qu'un entraînement intensif l'attendait au retour.

Le lendemain, ils regroupèrent vivres et équipements. Ils choisirent quatre gardes de la Garde d'Élite, jeunes mais fiables et discrets, ayant déjà fait leurs preuves sur le terrain. Au petit matin, tout ce monde se réunit dans la cour intérieure, chevaux sellés, sacs remplis. Alastair apparut sur un balcon surplombant la cour, leur adressant un bref adieu officiel :

— Chevauchez vite, Damon Blackthorn, et que la paix revienne parmi les vôtres.

Damon inclina la tête :

— Nous ferons de notre mieux, Sire.

Derrière lui, Rivan vérifiait les sangles de sa monture ; Marisol enfilait un gant de cuir, le bras totalement remis ; Seraphina attachait sa cape, le regard vers le ciel ; les quatre gardes — Talia, Bryce, Helena, et Johan — affichaient une détermination mêlée d'excitation.

La herse franchie, ils s'engagèrent dans les rues de Silverhold encore calmes. Des marchands à peine installés reconnurent Damon, lui souhaitant bonne route. Certains offrirent même des pommes pour les chevaux. Damon remercia poliment, tout en sentant le poids de ses nouvelles responsabilités.

5. Route vers la frontière

Sitôt la ville derrière eux, la route principale à l'ouest se changea en collines et en champs. Des étendues de blé ondoyaient sous la brise, de petits hameaux émaillant le paysage. L'escouade avança d'un trot soutenu, visant Fallbrook en quatre jours si tout allait bien.

Chaque soir, ils dressaient le camp avec prudence. Marisol et Rivan veillaient de concert, Damon et Seraphina prenaient la relève, les quatre gardes se répartissant les tours restants. Des discussions autour du feu se faisaient sur un ton léger ou grave : Talia, enthousiaste, interrogeait Damon sur ses combats passés — le Gardien, le warlock, la relique brisée. Il restait modeste, rappelant le rôle crucial joué par Faeron. Seraphina glissait souvent un mot pour calmer l'emballement. Nos victoires tenaient aussi à un sacré coup de chance, rappelait-elle.

Mais Damon, lui, gardait toujours un œil ouvert. L'ombre de l'assassin planait encore dans son esprit, se demandant si d'autres embuscades pouvaient survenir. Ses songes nocturnes voyaient Fallbrook en ruine, assailli par des formes monstrueuses.

6. Arrivée à Fallbrook

Le quatrième matin, ils franchirent un petit col, dévoilant une vaste vallée en contrebas. Le cœur de Damon s'accéléra à la vue de Fallbrook. Le bourg restait conforme à son souvenir : des chaumières de bois, un marché modeste, des champs de blé bordant un ruisseau sinueux. De la fumée s'élevait des cheminées ; des bêtes paissaient dans des enclos. Une apparente normalité, hormis quelques signes d'usure — une clôture effondrée, un toit de grange endommagé — révélant les récents tracas.

Descendant la route poussiéreuse, ils furent salués par les villageois interrompant leurs tâches. À peine Damon mit pied à terre qu'un chœur d'exclamations l'accueillit :

— Damon ! Damon est revenu !

Des enfants, hilares, coururent à sa rencontre, tandis que certains adultes restaient plus réservés. Jonar, le forgeron, sortit de sa forge, tenant encore un fer à cheval à moitié forgé.

— Par tous les dieux, tu es venu, fit-il, ému, le visage barbouillé de suie.

Damon lui serra le bras :

— J'ai reçu ta lettre. On est venus au plus vite. Qu'est-ce qui se passe ?

Jonar regarda les compagnons de Damon avec respect, puis laissa échapper un soupir lourd :

— Maître Grogan est dans la cour d'entraînement, avec ceux qui veulent se défendre. Mais ce sont les disparitions qui nous inquiètent : des gens qui partent sans revenir — parfois la nuit, parfois en plein jour. Aucune trace de lutte, ils s'évanouissent. Et ces hurlements… Pire chaque pleine lune.

Marisol échangea un regard soucieux avec Rivan. Seraphina, posant une question douce :

— Avez-vous des indices sur le type de créature en cause ?

Jonar s'essuya le front :

— On ne sait pas. Certains disent avoir suivi des pistes dans les bois, mais elles s'arrêtent net près de rochers. D'autres jurent avoir vu des feux près des ruines. On craint une chose semblable à ce que tu as déjà vaincu.

Un élan de détermination traversa Damon. Il savait que Fallbrook, jadis si paisible, redoutait par-dessus tout de nouvelles menaces. C'est pour cela que je suis revenu.

Il posa la main sur l'épaule de Jonar :

— Ne vous inquiétez pas, on enquêtera. Mes amis sont compétents. On a déjà affronté des forces corrompues.

— Merci, Damon. Maître Grogan voudra te voir tout de suite, sans doute.

7. Accueil de Maître Grogan

Ils avancèrent jusqu'à la zone d'entraînement, à la lisière du village. Damon se rappelait la place où, jeune, il avait découvert les rudiments de l'épée sous l'œil vigilant de Grogan. À présent, on y voyait des mannequins de paille, des cibles rudimentaires, signes d'un entraînement improvisé.

Grogan, l'homme âgé mais au port encore solide, interrompit une leçon pour se tourner vers le groupe. Malgré ses cheveux blanchis, il gardait l'aplomb d'un bretteur aguerri. En voyant Damon, ses traits s'éclairèrent d'un sourire rare :

— Je me doutais que tu viendrais, fit-il, la fierté vibrant dans sa voix. Bienvenue chez toi, fiston.

Damon s'approcha et s'inclina respectueusement :

— Maître, je suis heureux de vous revoir. Racontez-moi tout.

Grogan soupira, grave :

— On a perdu quelques-uns : deux fermiers, un marchand, une fillette. Pas de cadavres, pas de traces, juste des pistes qui se perdent dans la forêt. Je crains une menace surnaturelle, mais sans certitude.

Les villageois présents, l'air inquiet, regardaient Damon avec un mélange d'espoir et de crainte. Ils implorent de l'aide, se dit-il. Puis, à haute voix :

— On va retrouver ces gens s'ils sont en vie — et éliminer ce qui rôde. Je vous le promets.

8. Le nouveau mystère commence

Rivan questionna la milice amateur sur les empreintes. Marisol examina leurs armes rudimentaires, donnant quelques conseils. Avec Grogan et Seraphina, Damon élabora un plan : au lever du jour, ils remonteraient les dernières pistes. Un groupe assez restreint pour ne pas signaler leur venue, mais suffisamment aguerri pour se défendre.

Alors que le soleil déclinait, l'arrivée de Damon mit le village en ébullition. Des marmites de ragoût se mirent à bouillir, des voisins s'avancèrent pour saluer, et des enfants guettaient derrière les portes, curieux de ces gardes arborant l'aigle argenté. Mais une anxiété palpable restait. Les habitants murmuraient sur les hurlements nocturnes et les silhouettes dans les ruines.

Jonar insista pour que Damon et ses compagnons dorment dans sa grange, en hauteur, près de la forge — pour être à portée des chevaux si un repli s'avérait nécessaire. Tard dans la soirée, Damon se tenait sur un petit balcon surplombant les champs baignés de clair de lune, Seraphina à ses côtés.

— Ils comptent sur toi comme un sauveur, observa-t-elle à mi-voix. Mais on ignore ce qui nous attend.

Damon posa la main sur la rambarde :

— Raison de plus pour être prudents. Dès l'aube, on cherchera des indices. Si ce n'est qu'une meute de loups, on s'en sortira. Et si c'est un cas de magie déviante…

Il revit les abominations déjà rencontrées.

— … alors on contactera le roi au plus vite. Je ne laisserai pas Fallbrook sombrer.

Seraphina acquiesça, posant une main légère sur son bras :

— Ensemble, comme toujours.

Un léger sourire effleura Damon. Au-dessus d'eux, un ciel étoilé déployait ses secrets. Bien qu'il sente tout le poids de cette responsabilité, une ardeur s'embrasa en lui. C'était son village, ceux qui lui avaient donné un foyer. Le royaume faisait face à des dangers immenses, certes, mais Fallbrook méritait aussi sa protection.

Au loin, un hurlement solitaire retentit, note sinistre portée par la nuit. Damon se raidit, le cœur battant. Nous sommes prêts, se dit-il intérieurement, ferme. Plus question de laisser la peur gagner.

Alors que l'écho du loup s'éteignait dans l'obscurité, Damon se détourna du balcon, décidé à prendre un peu de repos. L'aube ne tarderait pas, inaugurant une nouvelle enquête qui exigerait la pleine mesure de leurs talents, leur courage et leur solidarité.