De timides lueurs d'aube éclairaient le ciel à l'est lorsque Damon Blackthorn avançait sur un sentier boisé, non loin de Fallbrook. Derrière lui, un petit groupe d'éclaireurs marchait d'un pas sûr : Seraphina, Marisol, Rivan et deux villageois locaux connaissant parfaitement les environs. Un vent matinal frais flottait dans l'air, faisant frémir les pins et envoyant des gouttes de rosée rouler sur la terre humide.
Maître Grogan avait insisté pour qu'ils partent tôt, espérant que le calme matinal pourrait révéler des indices sur les disparitions qui tourmentaient le village frontalier. Déjà, le silence pesant de la forêt envahissait l'esprit de Damon. Le chant habituel des oiseaux à l'aube semblait étouffé, comme si même la faune pressentait un danger.
Il s'arrêta à un virage du sentier, scrutant une clairière tapissée de mousse.
— Vous disiez que l'un des disparus — le vieux Brax — était passé par ici ? demanda-t-il à Willa, une fermière à l'air inquiet qui s'était portée volontaire pour guider.
Willa acquiesça :
— Oui. On l'a vu partir ramasser du bois près du ruisseau. Il n'est jamais revenu. (Elle fronça le visage.) Brax était régulier comme un métronome. C'était il y a plusieurs jours.
Marisol s'accroupit près d'un replat de terre retournée à la lisière des arbres :
— Il y a des traces de grattage, difficile de savoir si c'est une piste ou un animal qui a fouillé.
Rivan s'appuya sur sa lance :
— Continuons vers le ruisseau. On trouvera peut-être des empreintes plus nettes au sol, s'il y a de la boue.
1. Empreintes et murmures
Ils progressèrent, le bruit de l'eau se faisant plus fort. Bientôt, ils arrivèrent sur les rives d'un cours d'eau peu profond, parsemé de galets. De fins bouleaux oscillaient sous une brise légère. Seraphina s'agenouilla à la lisière, repoussant quelques feuilles humides. Soudain, elle se raidit :
— Regardez, murmura-t-elle en montrant une empreinte diffuse dans la boue. Une trace de pas — presque humaine, mais voyez la longueur anormale des orteils ?
Damon se pencha, sentant un frisson lui parcourir l'échine. En effet, l'empreinte évoquait un pied humain, sauf que les doigts étaient écartés et finissaient en griffes :
— Ça concorde avec ce qu'on a entendu. Un être mi-humain, mi-bête.
Marisol plissa les yeux :
— Ça rappelle les raiders corrompus qu'on a déjà combattus, mais la forme diffère un peu. Peut-être une autre forme de corruption.
Willa, blême, la voix tremblante :
— Donc c'est vrai… On a bien des monstres dans les parages.
Rivan tenta de se montrer rassurant :
— On s'en chargera. Montons le long du ruisseau — on finira peut-être par trouver un repaire ou un campement.
Ils avancèrent prudemment, longeant les berges, examinant chaque recoin. Damon remarqua à quel point Seraphina portait souvent la main à son poignard, ses yeux guettant chaque bruissement du sous-bois. Une tension sourde transparaissait chez elle. Cette forêt l'inquiète particulièrement.
2. Une grotte cachée
Au bout d'une heure de marche attentive, le cours d'eau s'élargit, formant un petit bassin. Des fougères et de la mousse recouvraient les rochers, créant un recoin à demi dissimulé. Le ruisseau disparaissait ensuite sous terre, s'engouffrant dans une fissure étroite, générant un écho goutte à goutte dans l'air frais.
— L'eau s'en va sous la colline, expliqua Willa à voix basse. Personne ne s'y rend ; c'est dangereux. Certains anciens disent que ça mène à des cavernes plus profondes.
Marisol s'accroupit près de l'ouverture moussue, éclairant de sa lanterne :
— Pas d'empreintes claires, le sol est trop rocailleux. Quelqu'un pourrait y entrer sans laisser de trace.
Seraphina posa la main sur une légère entaille sur la roche, comme un coup de griffe :
— Impossible d'exclure que ces créatures se servent de passages souterrains.
Rivan grimaça :
— Dans le noir, nous serions désavantagés. S'ils se terrent là-dedans, il nous faudra plus de matériel, des cordes… et peut-être un plus gros groupe.
Damon hocha la tête, pensif :
— D'accord. On note cet endroit. Nous reviendrons avec l'équipement adéquat pour explorer ces tunnels.
Après avoir soigneusement relevé chaque détail inhabituel, ils rebroussèrent chemin. Damon, silencieux, ressassait l'idée qu'une nouvelle engeance — semblable aux horreurs déjà affrontées — puisse hanter son village natal. Je ne laisserai pas Fallbrook subir un assaut comme celui du passé.
3. Un instant avec Seraphina
En fin d'après-midi, le groupe se sépara pour ratisser davantage la zone. Rivan et Marisol, accompagnés de Willa et d'un autre villageois, s'orientèrent vers une vieille cabane de chasse, tandis que Damon et Seraphina faisaient une boucle autour d'une crête boisée. Le ciel se couvrit de nuages, et un vent léger agitait les feuillages, produisant un murmure continu.
Alors qu'ils gravissaient une pente douce, Damon jeta un coup d'œil vers Seraphina :
— Tout va bien ? Je te sens plus tendue que d'habitude.
Elle marqua un temps, sondant les bois du regard :
— Cet endroit… Il me rappelle quelque part où j'ai vécu autrefois. C'est idiot, juste d'anciens souvenirs.
Damon ralentit :
— Tu ne parles presque jamais de ton passé. Si quelque chose te pèse, je suis là.
Le visage de Seraphina se ferma, puis elle soupira, se radoucissant.
— Allons nous poser un instant.
Elle l'entraîna vers un tronc renversé, partiellement dissimulé par les fougères. Malgré l'atmosphère grise, un léger rayon de soleil traversait la frondaison, éclairant son visage.
Ils s'assirent, enveloppés par le calme de la forêt. Seraphina tripota nerveusement le bord de sa cape, prenant une longue inspiration comme pour s'armer de courage.
— Je te dois la vérité, Damon. Tu sais que j'ai mes secrets — comme mon appartenance aux Wardens. Mais ce n'est pas tout.
Damon resta silencieux, lui laissant le temps de parler.
Elle leva les yeux vers lui :
— Avant de te trouver à Fallbrook, il y a des mois, je… j'ai servi un chef de guerre. Il contrôlait une petite armée en marge d'Elandris. J'étais jeune, paumée. Il me promettait la protection, l'espoir de fuir la vie que je détestais. Mais ses ambitions se sont avérées plus noires, et j'ai fini par fuir. Son nom était Morath le Noir.
Un choc secoua Damon. Morath ? Le même seigneur de guerre que le roi redoutait, monté en puissance au nord ?
— Tu as servi Morath ?
Elle acquiesça, la honte se lisant dans son regard :
— Je ne savais pas à quel point il était cruel. Quand j'ai compris sa soif de pouvoir, j'étais déjà empêtrée. Les Wardens m'ont alors approchée, m'offrant une sorte de rédemption si j'espionnais Morath. C'est ainsi que j'ai croisé ta route. Les Wardens voulaient que je te guide, pour éviter que tes talents ne soient exploités par le mauvais camp.
Une tempête d'émotions agitait Damon. Il repensa aux fois où Seraphina avait su où chercher, comment traquer les cultes ou dénicher les artefacts. Et à présent, elle avouait avoir un lien passé avec l'ennemi potentiel qu'ils affronteraient peut-être :
— Pourquoi me le dire maintenant ?
Elle serra les poings :
— Parce que ce bois, ces cavernes, ça me rappelle les repaires que Morath utilisait. J'ai peur qu'il ait des agents partout, y compris près de Fallbrook. Il est habile, Damon. S'il traque des reliques, il exploitera la moindre ombre.
Damon l'écouta, se remémorant toutes les fois où elle avait risqué sa vie pour protéger des innocents, la loyauté qu'elle lui avait montrée :
— Je te fais confiance, déclara-t-il doucement. Tu n'es plus la personne qui servait Morath. Tu l'as prouvé bien assez.
Un discret soulagement illumina son regard tandis qu'elle inclinait la tête :
— Merci. Je tenais à ce que tu le saches. Si un jour on se retrouve face à Morath, j'aurai mes raisons personnelles de le stopper.
Damon posa une main rassurante sur son épaule :
— On le stoppera ensemble.
Le silence s'étira un court instant, la forêt semblant retenir son souffle. Damon se releva :
— Retrouvons les autres. Ils ont peut-être trouvé plus d'indices. Il faut résoudre ces disparitions au plus vite.
Seraphina acquiesça, se levant d'un bond :
— Entendu.
4. Découvertes imprévues
Ils rejoignirent Rivan et Marisol à la tombée du jour, à la lisière du village. La place de Fallbrook était d'un calme étrange : des lueurs de lampes brillaient aux fenêtres, témoignant de familles cloîtrées chez elles. L'expression de Rivan trahissait sa déception :
— Aucune piste dans la cabane de chasse. De vieilles empreintes, rien de récent. On a trouvé des marques de morsure sur le bois de la porte, suffisamment grandes pour un gros animal, mais pas grand-chose d'autre.
Marisol soupira :
— Il faudra peut-être fouiller ces grottes, ou vérifier s'il existe un culte. On a croisé une femme affirmant avoir entendu des chants, mais personne ne corrobore son histoire.
Maître Grogan, les attendant près de la forge de Jonar, avait les bras croisés, le front soucieux :
— Des progrès ?
Damon secoua la tête :
— Quelques indices, mais rien de concluant. On pense que tout se passe sous terre.
Grogan laissa échapper un long soupir :
— Alors il faut s'y préparer. J'ai quelques volontaires pour vous accompagner si vous décidez d'explorer ces tunnels. Nous, on montera la garde autour du village. On sonnera la cloche au moindre signe suspect.
5. Veillée au village
Cette nuit-là, l'inquiétude habitait chaque foyer. Damon et ses amis logèrent à nouveau dans la grange de Jonar, mais le sommeil fut léger. Dehors, le vent grondait doucement, emportant par instants le hululement d'une chouette. Deux fois, Damon crut percevoir un hurlement lointain, qui se perdit dans le silence. L'angoisse était palpable : les familles étaient sur le qui-vive derrière leurs volets clos, les enfants bercés d'un calme forcé.
Vers minuit, Damon quitta la grange pour respirer l'air nocturne. Sous la lune, les chaumières de bois semblaient fragiles, silhouettes fantomatiques. Je ne laisserai pas la peur les submerger. Son poing se serra sur la garde de son épée. Demain, ils organiseraient une expédition vers la crevasse du ruisseau. S'il y avait un nid de créatures, ils l'anéantiraient.
Des pas résonnèrent sur la paille foulée. Seraphina apparut, sa chevelure auburn captant un reflet argenté sous la lune :
— Tu ne dors pas ?
— Trop de pensées. Et je repense à ce que tu as confié tout à l'heure. Il se tourna vers elle, baissant la voix. Tu vas bien ?
Ses paupières frémirent légèrement :
— Je te remercie d'avoir accepté mon passé. C'est un fardeau que je portais seule.
Damon acquiesça. On a tous nos fardeaux.
— Un jour, on affrontera Morath, ton ancien maître. Mais avant, on doit libérer Fallbrook de ce qui la menace. Sourire fugace sur ses lèvres.
Une lueur de gratitude traversa son regard :
— Alors faisons-le.
6. L'aube de la détermination
Au petit matin, ils se retrouvèrent au bord du ruisseau : Damon, Seraphina, Rivan, Marisol, plus trois villageois — dont Willa — armés de torches et de cordes. L'idée était simple : descendre dans le passage pour déterminer si des créatures y nichaient. Au moindre signe des disparus, on les secourrait. En cas de présence hostile, on agirait en conséquence.
Willa, légèrement tremblante, saisit sa torche :
— Je ne suis pas soldate, mais je ne peux plus regarder mes voisins disparaître sans réagir.
Rivan lui donna une tape amicale sur l'épaule :
— Un brin de courage suffit déjà beaucoup. Veillons les uns sur les autres.
Maître Grogan, resté avec une petite milice, surveillait le pourtour :
— Nous restons ici. Si on entend le moindre fracas, on accourt — ou on barricade l'entrée si quelque chose tente de sortir.
Damon le remercia, puis mena la descente. Aussitôt, une fraîcheur humide les enveloppa, l'écho de l'eau se répercutant contre les parois rocheuses. Les torches balayaient les murs glissants, révélant d'antiques concrétions minérales, parfois des stalactites dégoulinants.
Ils avançaient prudemment, la galerie s'enfonçant. Par moments, ils découvraient des griffures sur la pierre, ou des carcasses d'animaux à demi dévorées. Les villageois, pâlis, s'accrochaient davantage à leurs torches. Damon, lui, sentait son pouls cogner. On y est presque.
Tout à coup, le tunnel s'élargit, débouchant sur une caverne où gisaient des os dispersés. Ils s'arrêtèrent net, l'odeur de décomposition saturant l'air. Rivan, la mine sombre, serra sa lance :
— Des os humains ?
Marisol braqua sa lanterne :
— Quelques-uns semblent… oui, hélas. Et plusieurs appartiennent à du bétail. Ça confirme nos pires craintes.
Seraphina, tenant haut sa torche, parcourut du regard les parois :
— Là-bas. (Elle indiqua une ouverture oblique, sorte de boyau qui s'enfonçait plus loin.) On dirait qu'un courant d'air en sort, et ça sent très mauvais.
Damon déglutit. Si c'est ici que les disparus ont fini…
— On avance, on voit s'il reste des survivants. Et si on découvre un nid de créatures, on le détruit.
Il se souvenait de ses multiples affrontements contre des repaires monstrueux. Si ce sont encore des déviances, on ne reculera pas.
Seraphina lui jeta un regard, la lame prête. En ce bref instant, ils partagèrent la certitude d'avoir déjà affronté de sombres périls, et ils allaient recommencer — pour Fallbrook, la terre natale de Damon.
Résolu, Damon fit signe. Le groupe s'enfonça plus profondément dans les ténèbres, le cœur battant à l'unisson. Les torches vacillantes et l'angoisse palpable formaient un décor où se jouerait le sort du village. L'aube était là, pourtant ces couloirs restaient plongés dans l'obscurité, comme un défi : leur détermination brillerait-elle assez pour éclairer ce nouveau mal ?