Le jour où Sumti Zas vint au monde, la Forêt d'Argentine sembla retenir son souffle. Les arbres millénaires, imposants et silencieux, se courbèrent légèrement, comme pour assister à l'événement. Dans les quartiers royaux, les hurlements déchirants de la reine en travail résonnaient, emplissant l'air d'une tension presque palpable. Lorsque le cri d'un nouveau-né déchira enfin le tumulte, un phénomène étrange se produisit. Des fleurs sauvages jaillirent du sol, écloses dans une floraison aussi soudaine que magnifique, avant de faner aussitôt, leurs pétales tombant en poussière comme s'ils avaient porté un fardeau trop lourd.
Lyssiana, la reine d'Argentine, était une elfe d'une beauté captivante, héritière des lignées anciennes de la forêt. Ses cheveux d'un blond argenté tombaient en longues vagues soyeuses, rehaussant la pâleur délicate de sa peau. Ses yeux, d'un vert émeraude profond, semblaient contenir la sagesse des âges, mais ce jour-là, ils étaient voilés par une inquiétude qu'elle ne parvenait pas à masquer. Elle tenait son fils dans ses bras, ses traits fins marqués par l'épuisement, mais aussi par une force tranquille. Sa posture restait droite malgré sa fatigue, comme si elle refusait de céder à la faiblesse.
– Il est spécial, murmura-t-elle, sa voix presque inaudible.
Près d'elle, Orandel, son époux et roi de la forêt, était une présence imposante. Sa haute stature, accentuée par une armure de cuir gravée de motifs naturels, évoquait l'autorité et la puissance. Ses cheveux, d'un brun sombre, étaient rassemblés en une tresse soignée qui tombait sur son épaule gauche, et son visage austère, encadré par une fine barbe, témoignait de la rigueur et de la discipline qu'il imposait à lui-même et à son peuple. Ses yeux gris acier, froids et perçants, fixaient le nourrisson avec une prudence inhabituelle, comme s'il jaugeait déjà cet enfant qu'il était censé protéger.
Mais ce n'était pas le comportement paisible du nouveau-né qui troubla Orandel. Son attention se porta sur les fleurs fanées au pied du palais, puis sur les mains de l'enfant, qui semblaient étrangement crispées, comme si elles cherchaient à s'agripper à une énergie invisible.
– Ce présage ne peut être ignoré, murmura Orandel, ses sourcils se froncèrent davantage. Lyssiana, nous devons le cacher. Si quiconque apprend…
Sa voix s'éteignit, comme si même formuler l'idée était trop dangereux. Lyssiana, bien que fatiguée, répondit par un hochement de tête. Elle savait que son fils était différent. Mais elle refusa d'y voir une malédiction.
Dans le royaume d'Argentine, la magie n'était pas simplement crainte, elle était abhorrée. Autrefois, des nécromanciens avaient semé la désolation dans la forêt, manipulant la vie et la mort pour satisfaire leurs ambitions. Ces mages déchus avaient transformé des créatures majestueuses en monstres grotesques, leur essence vitale déchirée et réassemblée dans des formes contre nature. La forêt elle-même en portait encore les stigmates : des clairières où la végétation refusait de pousser, des rivières où l'eau stagnait comme du sang figé, et des murmures qui semblaient chuchoter les échos de rituels oubliés. Les elfes sylvains, profondément liés à leur environnement, avaient juré de bannir toute magie, considérant que la moindre incantation risquait de réveiller ces horreurs.
Pour Orandel, protéger son peuple signifiait éliminer toute anomalie. C'était un serment qu'il ne prendrait pas à la légère, même si cela impliquait de surveiller de près son propre fils.
Les elfes des bois d'Argentine, bien qu'étroitement liés à la nature, ne vivaient pas dans un isolement total. Dès leur plus jeune âge, les enfants étaient initiés à deux langues principales : l'elfique, leur langue maternelle, et le commun, utilisé pour communiquer avec les autres peuples. L'elfique, mélodieux et complexe, semblait imiter le chant des oiseaux et les murmures du vent à travers les feuillages. Chaque mot était une note dans une symphonie linguistique, et chaque phrase, une œuvre d'art. En revanche, le commun, plus brut et direct, paraissait presque vulgaire à leurs oreilles raffinées. Pourtant, les elfes considéraient son apprentissage indispensable pour les échanges avec les autres races. Ces cours, dispensés dans des clairières où le soleil traversait les feuillages en d'éblouissants rayons, étaient autant des leçons de langage que des immersions dans leur culture. On enseignait aux enfants non seulement les mots, mais aussi la manière de parler en harmonie avec leur environnement. Parler l'elfique impliquait de respecter les pauses naturelles, d'écouter avant de répondre, tandis que le commun, plus direct, demandait d'être concis et précis. Zas, brillant et curieux, excellait dans ces leçons, sa voix douce et claire reflétant la fierté de son héritage elfique.
Les années qui suivirent furent marquées par une éducation stricte. Zas, dont l'apparence reflétait un mélange des traits de ses parents, grandissait sous une discipline rigoureuse. Ses cheveux, d'un brun cendré tirant sur le noir, étaient toujours soigneusement attachés, et ses yeux d'un vert profond brillaient d'une curiosité qu'il tentait souvent de dissimuler. Sa peau, légèrement plus pâle que celle de son frère Verandel, semblait presque capter la lumière des clairières où il aimait se perdre.
Zas, âgé de quinze ans – un âge correspondant à environ trente ans chez les humains – se tenait là, frêle mais légèrement élancé, à l'aube de son jeune âge adulte. Bien que considéré comme un enfant par les standards elfiques, il possédait déjà une certaine gravité et une conscience de lui-même, typiques d'un humain d'âge mûr. Sa tunique de lin brun, simple mais finement brodée de motifs forestiers traditionnels, tombait élégamment sur son corps encore mince. Ses cheveux bruns, soyeux mais légèrement en bataille, encadraient un visage anguleux où l'on pouvait deviner les prémices d'une sagesse en devenir. Ses yeux d'un vert éclatant, d'habitude vifs et curieux, étaient aujourd'hui voilés par une peur lourde et silencieuse. Serrant les poings, il restait figé, ses épaules affaissées, incapable de croiser le regard de son père.
Ce fut lors de l'une de ces escapades, loin des regards vigilants, que Zas fit une découverte qui changerait sa vie.
Dans une clairière isolée, un cerf gisait au sol. Sa majestueuse robe brune était maculée de sang, et ses bois dorés, habituellement fiers et imposants, semblaient alourdis par une force invisible. Le cadavre portait des griffures étranges, des marques qui ne semblaient pas naturelles. Mais ce qui troubla le jeune prince, c'était l'aura qui émanait de l'animal. Une lueur pâle flottait autour de son corps, et Zas sentit une présence, comme un murmure inaudible qui l'appelait.
Il s'agenouilla, les genoux enfoncés dans la mousse humide, et tendit les mains vers le cerf.
– Reviens… s'il te plaît, murmura-t-il, sa voix tremblante d'émotion.
Une lumière verte douce jaillit de ses paumes, enveloppant l'animal d'une énergie apaisante. Les racines des arbres proches frémirent, comme si elles répondaient à cet appel. Pendant un instant, il crut que l'âme du cerf revenait, que sa magie guérissait l'animal. Mais une autre énergie, plus sombre, émergea.
Des runes invisibles gravées sur la peau de Zas semblèrent s'illuminer, brûlant d'une chaleur glacée. La lumière verte fut engloutie par une aura noire. Les yeux du cerf s'ouvrirent soudain, brillants d'un éclat malsain. Ses mouvements étaient rigides, mécaniques.
L'animal se redressa lentement, ses membres bougeant comme des branches mortes animées par une force contre nature. Ses mouvements étaient rigides, mécaniques. Ses pattes semblaient animées par des fils invisibles, ses bois émettaient une lueur sombre. Zas recula, les mains tremblantes.
– Je t'ai sauvé… murmura-t-il, une larme roulant sur sa joue.
Mais ce n'était pas une vie qu'il avait rendue. Le cerf, transformé en une abomination silencieuse, boitait dans les ombres de la clairière, son aura maudite imprégnant chaque recoin.
Zas resta seul, les genoux au sol, incapable de comprendre ce qu'il avait fait. Une culpabilité lourde et une peur viscérale s'éveillèrent en lui. Le murmure de la forêt semblait s'être tu, comme si elle-même retenait son souffle face à ce qu'elle venait de témoigner.
Ce soir-là, Zas retourna au palais, tremblant et perturbé. Ses pas, presque hésitants, résonnaient faiblement dans les couloirs de bois sculpté. Les murs vivants semblaient murmurer à travers les gravures de lianes et de feuilles entrelacées, comme s'ils captaient son trouble. Il ne parla à personne de ce qu'il avait vu, mais Lyssiana, attentive et sensible, sentit que quelque chose avait changé en lui.
La reine, vêtue d'une robe tissée de soie végétale aux reflets argentés, se tenait dans l'ombre des colonnes. Sa posture altière, caractéristique des elfes sylvains, n'avait rien perdu de sa grâce, mais ses traits fins et doux trahissaient une inquiétude croissante. Ses yeux verts sondèrent son fils, mais il détourna le regard. Elle tenta de le questionner, posant une main légère sur son épaule, mais il resta silencieux, les traits crispés.
Ce n'est que des semaines plus tard, alors que Zas, emporté par sa fascination grandissante pour cette magie mystérieuse, tenta de réitérer l'expérience avec un autre animal trouvé dans la forêt, que son secret fut découvert.
Verandel, son frère aîné, le surprit. L'aîné, héritier de la couronne, avait l'apparence typique des elfes guerriers : grand et élancé, avec des cheveux châtain clair retenus par un fin bandeau de cuir. Ses traits étaient anguleux, mais son visage portait une dureté qui semblait presque naturelle, accentuée par ses yeux d'un gris perçant. Ses vêtements, faits de cuir souple orné de gravures florales, témoignaient de son statut de prince et de guerrier.
– Alors, c'est ça ton petit secret ? railla Verandel, une moue sarcastique sur le visage. Jouer avec la mort ?
Zas, pris de panique, tenta de se défendre.
– Je ne fais rien de mal. Je peux… aider notre peuple.
Mais Verandel, terrifié par ce qu'il venait de voir, ne vit en lui qu'une menace, une abomination. Malgré les supplications de leur mère, qui tenta désespérément de le convaincre de garder le secret, Verandel, pris entre la peur et une jalousie inconsciente, dénonça son frère au roi.
Le lendemain, Zas fut convoqué devant la cour royale.
Le grand hall, immense et oppressant, était un chef-d'œuvre de l'architecture elfique. Ses colonnes, sculptées dans le bois vivant des arbres-mères, montaient si haut qu'elles semblaient se perdre dans un dôme de feuillages entrelacés. Des torches imprégnées de magie naturelle diffusaient une lumière chaude et vacillante, projetant des ombres dansantes sur les murs ornés de fresques représentant les grandes batailles du royaume.
La tension dans la salle était presque palpable. Le peuple d'Argentine, des elfes vêtus de robes simples et de capes légères en fibres végétales, s'était rassemblé dans une atmosphère mêlée de curiosité et de peur. Les murmures montaient comme un vent sourd, se brisant seulement lorsque le roi Orandel, assis sur un trône sculpté dans les racines d'un chêne géant, leva une main pour imposer le silence.
Orandel, vêtu d'une armure cérémonielle où des motifs d'arbres et de runes anciennes semblaient gravés dans le métal, dominait la salle de sa stature imposante. Ses yeux gris acier, d'ordinaire froids, étaient chargés d'une gravité presque insupportable. À ses côtés, Lyssiana se tenait droite, vêtue d'une robe aux teintes vertes et dorées qui épousaient ses formes élégantes. Ses cheveux, lâchés, cascadaient sur ses épaules, mais son visage était marqué par une tension visible.
Verandel se tenait en retrait, légèrement en arrière du trône. Son expression, habituellement arrogante, était assombrie par le poids du remords. Il baissait la tête, évitant soigneusement de croiser le regard de son frère. Il n'avait jamais imaginé que son geste, motivé par une impulsion de peur, mènerait son frère ici, face à un jugement si terrible.
Orandel rompit le silence, sa voix résonnant dans le hall comme un coup de tonnerre :
– Sumti Zas, dis à ton peuple ce que tu as fait.
L'enfant, voguant entre l'adolescence et l'âge adulte, à peine mature, se tenait là, frêle et vulnérable. Sa tunique de lin brun, trop grande pour son corps mince, accentuait sa silhouette juvénile. Ses cheveux bruns, légèrement ébouriffés, tombaient sur son front, cachant en partie ses yeux d'un vert brillant, aujourd'hui voilés par la peur. Il serra les poings, ses épaules affaissées, et fixa le sol, incapable de soutenir le regard de son père.
Sa voix trembla lorsqu'il parla :
– J'ai… utilisé… la magie.
Un murmure de stupéfaction parcourut la salle, suivi de cris d'indignation.
– La magie est interdite !
– Il a brisé nos lois sacrées !
– Que faire d'un enfant qui convoque les morts ?
Lyssiana, debout près du trône, avança d'un pas, bravant le tumulte.
– Mon fils est un enfant, pas un monstre, intervint-elle d'une voix ferme, teintée d'émotion. Sa magie n'a jamais été utilisée pour nuire à quiconque.
Orandel tourna lentement la tête vers elle. Son visage resta impassible, mais ses yeux brillaient d'une froideur glaciale.
– Et que ferons-nous lorsque cette magie, que tu défends aujourd'hui, reviendra hanter notre royaume ?
Verandel, accablé, s'avança timidement. Son regard hésitant croisa celui de sa mère. Sa voix, brisée par le regret, s'éleva faiblement.
– Père… je n'ai pas voulu ça. Je pensais qu'il serait… puni, peut-être rééduqué, mais pas… pas chassé.
Orandel lui jeta un regard dur, comme s'il pesait ses paroles.
– Ce n'est pas une question de punition, Verandel. C'est une question de survie. Si nous tolérons une telle anomalie, nous risquons de réveiller les maux du passé.
Le druide royal, un vieillard courbé par les âges, s'avança alors. Sa barbe tressée, ornée de perles de bois, descendait jusqu'à sa ceinture, et son bâton gravé de runes anciennes semblait vibrer d'une énergie subtile. Malgré son apparence frêle, sa voix, bien que basse, résonnait avec l'autorité d'une sagesse millénaire.
– Votre Majesté, si je puis me permettre. Nous ne devons pas condamner cet enfant sur des suppositions. Mais nous ne pouvons non plus ignorer ce qu'il pourrait représenter. Je propose une épreuve.
Orandel plissa les yeux, intrigué.
– Quelle épreuve ?
Le druide se tourna vers Zas, son regard perçant adouci par une lueur de compréhension.
– Une épreuve qui révélera la vérité. L'enfant devra poser ses mains sur la pierre des âmes. Si une magie noire réside en lui, elle se manifestera pour tous.
Le roi acquiesça d'un geste. Une lourde pierre, gravée de runes scintillantes, fut amenée au centre du hall. Elle pulsait d'une lumière douce et apaisante, mais une tension presque insupportable semblait émaner d'elle, comme si elle-même redoutait ce qu'elle allait révéler.
Lyssiana, les yeux brillants de larmes, s'agenouilla devant Zas. Ses mains tremblantes prirent doucement le visage de son fils.
– Mon fils, quoi qu'il arrive, sache que je t'aime, murmura-t-elle, sa voix se brisant sur les derniers mots.
Tremblant, Zas se laissa guider vers la pierre. Ses pas, hésitants, résonnaient faiblement dans le silence oppressant de la salle. La pierre des âmes, massive et ancienne, semblait vivante. Ses gravures runiques, imbriquées comme des racines, pulsaient d'une lumière douce, presque rassurante. L'enfant posa ses paumes dessus avec une lenteur craintive, ses doigts fins et délicats pressant la surface froide et lisse.
Dès qu'il fit contact, une chaleur familière parcourut son corps. Une lumière verte douce et apaisante jaillit des runes, illuminant la salle d'une lueur bienveillante. Ce premier éclat apporta un instant d'espoir. Lyssiana, son visage délicat marqué par l'angoisse, esquissa un sourire tremblant. Ses yeux, d'un vert profond rappelant les feuillages denses de la forêt, s'emplirent d'un mélange de soulagement et d'amour maternel.
Mais l'instant de sérénité fut brusquement brisé. Une lueur noire, vorace et menaçante, surgit soudain, éclipsant la lumière verte. Les runes se tordirent, projetant des ombres mouvantes sur les murs du hall. Un souffle glacial parcourut la salle, éteignant les murmures de l'assemblée et les remplaçant par des cris d'effroi.
Le druide royal, figé près de la pierre, observa la scène avec une expression de pure stupeur. Sa barbe tressée, ornée de perles de bois, semblait frissonner sous l'énergie maléfique qui émanait de l'objet. Lorsqu'il parla enfin, sa voix était à peine audible, mais elle résonna comme un glas :
– Nécromancie…
Orandel se leva lentement de son trône. Sa stature imposante, accentuée par son armure gravée de runes protectrices, semblait projeter une autorité écrasante. Son visage, d'ordinaire fermé et austère, était figé dans une colère froide. Sa voix tonna dans la salle, implacable :
– La preuve est là. Ce pouvoir ne peut être toléré.
– Non ! s'écria Lyssiana, brisant le silence. Elle se précipita vers son fils, ses bras tendus pour le protéger. Ses pieds, chaussés de sandales délicates en fibres végétales, glissèrent légèrement sur le sol lisse, mais elle se rattrapa et enveloppa Zas dans une étreinte protectrice. Son visage, marqué par une beauté elfique intemporelle, était déformé par une douleur indescriptible.
– C'est un enfant, Orandel. Il ne comprend même pas ce qu'il est !
Orandel détourna le regard, ses traits durs trahissant une lutte intérieure. Sa voix, cependant, resta ferme et glaciale.
– Et c'est bien cela le problème. Laisser un tel pouvoir se développer, c'est condamner notre peuple.
Lyssiana se tourna désespérément vers Verandel. Ses mains tremblaient alors qu'elle attrapait le bras de son fils aîné, ses yeux cherchant un éclat de soutien dans son regard gris.
– Verandel, aide-moi ! Tu ne voulais pas ça, n'est-ce pas ?
Verandel, grand et élancé, baissa les yeux, incapable de soutenir le regard de sa mère. Ses épaules étaient affaissées, comme si le poids de sa culpabilité l'écrasait. Sa voix, lorsqu'il parla, était à peine un murmure.
– Non… je ne voulais pas ça. Je pensais… Je pensais qu'il serait puni, pas chassé.
Le roi leva une main, imposant le silence. Ses yeux, brillants d'une détermination froide, balayèrent la salle où le peuple s'était rassemblé. Les visages des elfes, effilés et gracieux, étaient déformés par la peur et l'incertitude. Certains chuchotaient des prières anciennes, d'autres échangeaient des regards terrifiés.
– Que son nom soit effacé de notre histoire, déclara Orandel d'une voix solennelle. Qu'il quitte cette forêt et ne revienne jamais.
Un murmure d'acquiescement parcourut la salle, suivi par des applaudissements hésitants, puis par des cris d'approbation. Le peuple d'Argentine, partagé entre le soulagement et la terreur, accepta cette décision comme un moyen de préserver leur équilibre fragile.
Zas, toujours debout près de la pierre, fixait son père avec des yeux emplis de douleur et d'incompréhension. Les larmes roulaient sur ses joues, mais il resta silencieux. Lyssiana, à genoux à ses côtés, tenta de le retenir, mais deux gardes, vêtus d'armures légères en écorce renforcée, s'approchèrent et l'encerclèrent doucement.
Le druide royal, son visage profondément marqué par ce qu'il venait de voir, posa une main noueuse sur l'épaule frêle de l'enfant. Son regard, habituellement perçant et sévère, semblait empreint d'un mélange de tristesse et de résignation.
– Puisses-tu trouver la paix ailleurs, murmura-t-il en accompagnant Zas hors du hall.
Lyssiana tenta de les suivre, mais les gardes, bien que respectueux, la retinrent fermement. Sa voix, brisée, résonna une dernière fois dans le hall :
– Mon fils !
Zas erra des jours durant, ses pieds nus et meurtris foulant le sol rugueux de la forêt. La lumière tamisée des sous-bois, filtrée par les branches entrelacées des arbres-mères, peignait des motifs d'ombres mouvantes sur son visage. Son esprit, accablé par la solitude et la trahison, vacillait entre le désespoir et une colère sourde.
Mais au fond de cette obscurité intérieure, une présence semblait l'appeler. Une voix imperceptible, une énergie sombre et familière, ne l'avait jamais quitté. Chaque pas l'éloignait davantage du royaume d'Argentine, mais le rapprochait d'un autre lieu.
Ce fut au bout de son périple harassant qu'il atteignit la lisière de la Forêt des Perdus. L'air changea, chargé d'une lourdeur oppressante. Les arbres, plus noueux et tordus, semblaient garder jalousement leurs secrets. Les légendes racontaient que cet endroit était maudit, hanté par des ombres et des esprits malveillants.
Pour Zas, cet endroit n'était pas un danger. C'était un refuge. Sous la canopée dense et les murmures inquiétants des bois, il sentit pour la première fois une forme de paix. Mais il ignorait encore que son passé, tout comme son pouvoir, ne cesserait jamais de le hanter.
Alors qu'il avançait parmi les racines noueuses, une flèche siffla soudain dans l'air, se plantant à quelques centimètres de son pied. Il s'arrêta net, levant les mains en signe de soumission.
Une silhouette émergea des ombres, suivie de plusieurs autres. Une femme imposante, aux cheveux noués en une tresse sauvage et aux bras marqués de cicatrices, s'approcha, une épée dans une main et un regard perçant dans l'autre. Ses oreilles légèrement pointues trahissaient ses origines demi-elfiques.
— Qui es-tu, et que fais-tu ici ? demanda-t-elle d'un ton dur.
Zas, épuisé mais déterminé, répondit simplement :
— Je cherche un endroit où je peux rester. Je ne veux de mal à personne.
La femme l'observa longuement, son regard jaugeant chaque détail de cet enfant perdu. Finalement, elle abaissa son arme.
— Suis-moi. Mais sache que si tu trahis notre confiance, tu ne sortiras pas vivant d'ici.
La communauté qui l'accueillit était nichée au cœur de la forêt, là où les arbres formaient un dôme naturel, tel un sanctuaire isolé du reste du monde. Les parias qui y vivaient avaient transformé cet endroit en un refuge ingénieux. Des cabanes en bois sur pilotis s'élevaient entre les arbres, reliées par des ponts suspendus. Chaque coin de cette forêt semblait regorger d'une magie ancienne, protectrice et discrète.
Zas découvrit vite que chaque membre du clan portait une histoire marquée par le rejet et la douleur. Il y avait Rukan, le demi-orc exilé pour avoir refusé de participer à un raid sanglant. Alarielle, une prêtresse déchue qui avait perdu sa foi et été bannie par son ordre. Duvann, un gnome inventeur dont les expériences avaient involontairement détruit son village. Et tant d'autres encore, tous différents, mais unis par une règle simple :
— Protège ton clan, et ton clan te protégera, leur répétait souvent Nymira, la femme qui avait accueilli Zas.
Le jeune homme gagna leur confiance en prouvant sa valeur. Il aida à construire une cabane pour une famille nouvellement arrivée et utilisa ses talents magiques pour soigner des blessés et fertiliser des cultures. Sous la tutelle de Nymira, qui devint une figure maternelle, il apprit à canaliser sa douleur et sa colère pour en faire une force. Il développa non seulement ses capacités magiques, mais aussi une résilience qui fit de lui un membre clé du clan.
La Forêt des Perdus devint un foyer, un lieu où Zas trouva pour la première fois la paix. Mais ce sanctuaire marqua aussi le début de rencontres qui allaient changer le cours de sa vie. Un jour, alors qu'il travaillait à fortifier une cabane, son regard croisa celui d'une nouvelle arrivante. Ses traits sombres, sa posture altière et ses yeux brûlants de défi trahissaient son origine. Une tieffeline. Nilsha.