Les murmures se propageaient comme une maladie. Des voyageurs, tremblant de peur, rapportaient aux auberges avoisinantes des rumeurs sur une enclave de "parias" cachée dans la Forêt des Perdus. Des monstres, disaient-ils. Des nécromanciens et des démons qui défiaient les lois naturelles du monde. Ces histoires, amplifiées par la peur et les préjugés, atteignirent rapidement les oreilles de l'Ordre de l'Épée Vengeresse.
L'Ordre, dévoué à la volonté de leur dieu vengeur, voyait dans ces rumeurs un appel divin. Leur mission était claire : éradiquer tout ce qui n'était pas de l'ordre divin ou naturel. La simple mention d'une tieffeline parmi les parias suffisait à enflammer leur zèle. Les témoins rapportèrent également l'apparition de magie nécromancienne, un affront direct à leurs convictions. Une campagne fut planifiée, une purge sacrée à la gloire de leur dieu.
Dans la Forêt des Perdus, une tension palpable enveloppait le clan. Zas et Nilsha avaient capté des signes précurseurs : des traces d'étrangers près des abords de leur territoire, des animaux agités, et même une énergie inhabituelle dans l'air. Lors d'une patrouille nocturne, Rukan, le demi-orc, découvrit une amulette de l'Ordre abandonnée près d'un sentier. Il la ramena au camp, le visage sombre, le souffle court comme s'il avait couru.
— C'est un avertissement, grogna-t-il en jetant l'objet sur la table de Nymira. Ils sont venus jusqu'ici.
La chef du clan, une demi-elfe aussi calme qu'imposante, observa l'amulette avec gravité. Sa main se referma sur le métal froid, comme si elle cherchait à y déceler les intentions de ses ennemis. Sa voix, bien que basse, résonna dans la pièce.
— Nous devons préparer nos défenses. S'ils viennent, ce ne sera pas pour discuter.
Nilsha, adossée à un arbre à quelques pas, croisa les bras. Ses yeux, étincelants d'un éclat infernal, scrutaient le cercle des visages tendus.
— Si c'est l'Ordre, ils ne reculeront pas, dit-elle d'un ton tranchant. Ils ne voient que ce qu'ils veulent voir : des monstres à abattre. Aucun discours ne les dissuadera.
Zas, assis près d'un feu vacillant, observait l'échange en silence. Ses yeux étaient fixés sur l'amulette, une marque sacrée gravée dans le métal. Le symbole était familier, un rappel douloureux de ceux qui l'avaient banni.
— Alors nous devons les repousser, dit-il finalement. Mais pas ici. Pas au prix de notre famille.
Un débat s'ensuivit. Certains membres du clan étaient prêts à se battre jusqu'à la mort, refusant de fuir encore une fois. D'autres, effrayés à l'idée d'affronter des paladins et des clercs, plaidaient pour une dispersion immédiate. Les voix s'élevaient, se superposaient, jusqu'à ce que Nymira lève une main.
— Nous ne partirons pas sans un plan. Si nous devons nous battre, nous le ferons en connaissance de cause. Mais nous protégerons notre clan avant tout. Pas d'héroïsme inutile.
Les jours suivants furent emplis de préparatifs. Des pièges furent tendus autour du camp, des rondes organisées, et des armes improvisées à partir de ce que la forêt pouvait offrir. Zas et Nilsha passaient de longues heures à travailler ensemble, combinant leurs magies pour renforcer les protections. Lui invoquait des racines épaisses, transformant les arbres eux-mêmes en boucliers, tandis qu'elle insufflait une énergie brûlante dans le sol, formant des zones où même les plus braves hésiteraient à s'aventurer.
Un soir, Nilsha contempla les pièges qu'ils avaient conçus.
— Tu crois que ce sera suffisant ? murmura-t-elle.
Zas ne répondit pas immédiatement. Ses mains caressaient l'écorce d'un arbre enchanté, imprégné de ses incantations.
— Non, dit-il enfin. Mais c'est tout ce qu'on peut faire.
Un silence pesant s'installa entre eux, brisé seulement par le bruissement des feuilles. Ils savaient que la forêt leur offrait un sanctuaire fragile, mais qu'elle ne suffirait pas à les sauver.
La nuit de l'attaque arriva sans avertissement clair. Le camp semblait retenu dans un souffle. Un silence oppressant enveloppait la forêt, brisé uniquement par le bruit sourd de pas lourds à l'approche. Les paladins surgissaient des ténèbres comme une vague inéluctable, leurs prières se mêlant au fracas métallique de leurs armures. Les membres du camp prirent position, la peur mêlée de détermination visible dans leurs regards.
Le premier assaut fut fulgurant. Une flèche embrasée fendit l'air et s'écrasa sur une cabane, déclenchant des hurlements de panique. Les pièges s'activèrent : des racines jaillirent du sol pour entraver les assaillants, des flammes jaillissant des glyphes dissimulés. Plusieurs paladins furent pris dans des enchevêtrements mortels, tandis que d'autres vacillaient sous les explosions de feu infernal.
Mais l'Ordre était trop nombreux. Pour chaque paladin tombé, deux autres prenaient sa place. Puis, Ser Hadros fit son entrée. Sa stature imposante et son armure dorée semblaient irradier une lumière divine. Dans sa main brillait une relique sacrée, un fléau gravé de runes lumineuses qui semblaient pulser au rythme des battements de son cœur. D'une voix puissante, il tonna :
— Parias de la Forêt, rendez-vous ! Le jugement divin est inéluctable !
Zas sentit une rage froide monter en lui, mais aussi une peur sourde. Nilsha, à ses côtés, serra les poings, ses flammes vacillant légèrement sous la tension. Ils échangèrent un regard, un accord tacite passant entre eux. Ils concentrèrent leurs énergies, créant une onde de choc si puissante qu'elle repoussa les assaillants sur plusieurs mètres. Mais ce sort, aussi impressionnant soit-il, épuisa leurs forces déjà limitées.
Au cœur de ce chaos, Rukan, blessé mais combatif, s'interposa. Sa hache improvisée brillait d'un éclat terne sous la lumière des flammes.
— Allez ! Je couvre votre retraite ! rugit-il, un sourire sauvage sur le visage malgré le sang coulant de son flanc.
Nymira, apparaissant soudain à leurs côtés, posa une main ferme sur l'épaule de Zas.
— Vous devez partir, dit-elle d'une voix rauque. Ils ne s'arrêteront pas tant qu'ils ne vous auront pas. Si vous restez, nous mourrons tous.
Nilsha voulut protester, mais Zas posa une main sur son épaule.
— Elle a raison, murmura-t-il, la voix lourde de regret. Nous devons partir.
Avec un dernier regard vers leurs camarades, ils commencèrent leur retraite, couvrant leur fuite avec des illusions et des sorts destinés à semer la confusion. Le camp était en flammes lorsqu'ils disparurent dans les profondeurs de la forêt. Leurs cœurs étaient lourds, chargés de culpabilité et d'une colère qu'ils ne pouvaient encore exprimer.
Sous le ciel étoilé, alors que les hurlements des paladins s'éteignaient au loin, Zas et Nilsha jurèrent de ne jamais oublier ce qu'ils avaient perdu. Et ils se promirent, un jour, de revenir. Non plus pour fuir, mais pour affronter l'Ordre de l'Épée Vengeresse et mettre fin à leur croisade impitoyable.