Les jambes d'Arthon se sentaient solides sous lui alors qu'il poursuivait son chemin sinueux, le bourdonnement lointain des insectes de midi flottant dans l'air tiède. Il devait s'être écoulé une heure, peut-être deux, depuis qu'il s'était reposé sous le saule pour partager son pain en solitude. Depuis, il n'avait croisé aucun voyageur, seulement quelques oiseaux surgissant des haies, effrayés par son approche, et un duo de petits lièvres aux yeux ronds qui s'étaient figés au bord de la route avant de disparaître dans les hautes herbes. Il y avait ici une quiétude, une douce acceptation que le monde ne lui devait aucun spectacle. Arthon repensa au poème qu'il rêvait d'écrire. Jusqu'à présent, il n'en avait que des fragments griffonnés à la hâte sur du papier rugueux, une poignée d'observations discrètes. Mais il faisait confiance à ces petites graines de langage, persuadé qu'elles fleuriraient en quelque chose de plus grand avec le temps et la patience.
Le terrain commença à descendre, l'entraînant vers une petite vallée. La route, qui avait jusque-là offert un sol relativement ferme sous ses pieds, montrait désormais des signes d'usure : des ornières creusées par de vieux chariots, des cailloux épars, et quelques flaques laissées par une pluie tombée plusieurs jours auparavant. Arthon ralentit son pas, en partie pour naviguer sur ce sol inégal, en partie parce qu'il sentait quelque chose changer subtilement dans le paysage. Il ne savait pas encore nommer ce changement. Était-ce la densité du feuillage—des buissons plus épais, des arbres plus grands ? Ou bien le silence qui s'installait alors que les flancs de la vallée s'élevaient autour de lui ? Ce lieu semblait plus clos, comme si le monde avait tiré un rideau de feuilles et de branches pour créer une scène plus intime.
Il passa près de quelques rosiers sauvages aux pétales rose pâle et aperçut un ruisseau serpentant entre des pierres couvertes de mousse. Le léger bruit de l'eau courant entre les rochers atteignit ses oreilles bien avant qu'il ne le voie. Il suivit ce son, sachant que les cours d'eau mènent souvent à des lieux habités ou aménagés. L'air se fit plus frais à mesure qu'il approchait du ruisseau. Bientôt, il aperçut une structure de bois traversant l'étroit courant : un pont simple, à moitié achevé ou peut-être en cours de réparation. De longues planches, certaines polies, d'autres encore brutes, étaient éparpillées autour. Une silhouette, agenouillée près du cadre du pont, semblait concentrée sur une tâche qu'Arthon ne distinguait pas encore.
En s'approchant, il observa l'homme : probablement un charpentier. Il portait une tunique simple, les manches roulées jusqu'aux coudes, et un pantalon attaché à la taille par une cordelette. Ses mains, larges et calleuses, tenaient un couteau de sculpture qu'il utilisait avec patience pour façonner un morceau de bois destiné au pont. Chaque mouvement était précis, mesuré, comme si le temps importait moins que la précision. Arthon s'arrêta au bord de la clairière, incertain s'il devait parler et troubler le rythme tranquille de ce travail. Mais le charpentier leva les yeux, apercevant sa présence, et lui fit un signe de tête silencieux.
Encouragé par cet accueil discret, Arthon avança de quelques pas. Le pont n'avait rien de grandiose—juste un modeste passage sur un ruisseau étroit. Mais il devait être essentiel, pensa-t-il, pour quiconque voyageait à travers cette vallée. Sans lui, il aurait fallu traverser l'eau à pied ou chercher un tronc tombé pour servir de passerelle. Le travail de cet artisan n'était pas décoratif, mais fonctionnel, et cela contenait en soi une certaine beauté. Arthon se rappela comment, la veille, il avait réfléchi à l'idée que les gestes modestes, les travaux silencieux, pouvaient être une poésie en mouvement. Ici, dans le façonnage minutieux d'une poutre, il reconnaissait ce même principe.
« Bonjour », dit-il doucement, soucieux de ne pas effrayer l'homme.
« Bonjour », répondit le charpentier, tournant le morceau de bois dans ses mains pour en examiner les bords. Sa voix était calme, égale. Ni chaleureuse ni froide, simplement présente. Il observa Arthon avec des yeux curieux mais tranquilles, comme s'il se demandait quel genre de voyageur avait croisé son chemin.
« Est-ce votre pont ? » demanda Arthon.
« Je le répare », dit le charpentier. « Il a été construit il y a des années par quelqu'un d'autre. Le temps et les intempéries ont abîmé les rampes et les planches. Les supports sont encore solides, mais certaines parties doivent être remplacées. » Il tapota le bois avec ses jointures. « Cette pièce renforcera l'un des panneaux latéraux. »
Arthon acquiesça, s'approchant un peu plus mais gardant une distance respectueuse. Il remarqua les outils de l'homme, disposés sur un morceau de tissu plié : des ciseaux, une petite scie, un rabot, et une bobine de corde fine. Chaque objet avait sa place, son utilité. Il y avait une dignité discrète dans cet agencement. « Vous travaillez seul ? » demanda-t-il.
« La plupart du temps », répondit le charpentier. « Je voyage par moments pour trouver du travail. Quand je tombe sur quelque chose qui demande à être réparé—comme ce pont—je m'installe pour un temps. » Il se pencha à nouveau sur le bois, en retirant une fine couche d'un geste assuré. « J'aime la solitude, le silence. Ça m'aide à entendre le grain du bois, si vous voyez ce que je veux dire. »
Arthon sourit. Il ne comprenait pas pleinement comment on pouvait « entendre » le grain du bois, mais il appréciait l'image. « D'une certaine façon, oui », dit-il. « Moi aussi, je suis en voyage, bien que mon but soit différent. Je veux écrire un long poème—quelque chose qui parle de l'expérience humaine. J'essaie d'apprendre à remarquer les choses discrètes, à rassembler de petites vérités en chemin. »
Le charpentier releva les yeux, ses prunelles brunes parsemées de reflets ambrés, et considéra Arthon avec un intérêt modéré. « Un poème ? » dit-il, comme s'il pesait le mot. « C'est un beau travail, je suppose, bien que très différent de ce que je fais ici. »
« Vraiment ? » demanda Arthon, penchant la tête. « Je sais que l'écriture et la charpenterie ne sont pas les mêmes, mais je me demande s'il n'y a pas un terrain commun. Vous parlez d'entendre le grain du bois. Moi, je veux écouter les voix des gens, leurs émotions non dites, les contours de leur quotidien. J'essaie de les assembler en quelque chose de cohérent, quelque chose qui tienne debout, comme votre pont. »
Le charpentier eut un petit rire, non moqueur mais empreint d'appréciation. « Vous avez peut-être raison », dit-il. « Nous façonnons tous deux des matières premières en quelque chose qui peut être utile. Vos mots, à la place du bois, mais vous devez aussi les choisir avec soin, les assembler pour qu'ils tiennent. »
Arthon ressentit une satisfaction tranquille. C'était le genre de conversation qu'il espérait trouver—non pas une révélation grandiose, mais un échange doux de perspectives. Il observa le charpentier soulever une poutre et la tester contre le cadre du pont, ajustant légèrement son couteau avant d'enlever une fine lamelle. La patience de l'acte le fascinait. Voilà quelqu'un qui ne se pressait pas, qui ne cherchait pas de raccourcis. La solidité de cette petite structure dépendait de son soin.
Arthon s'assit sur une souche voisine et écrivit quelques mots : Mains du charpentier guidant des poutres silencieuses—sans fanfare, juste une confiance dans chaque coupe précise. Il aimait l'idée que son poème puisse inclure ces aperçus de savoir-faire et d'effort, ces moments où le talent d'une personne répondait aux besoins du monde d'une manière simple mais significative.
Plus tard, alors que le soleil descendait doucement, Arthon reprit la route. Derrière lui, les sons réguliers des outils se fondaient dans le murmure des feuilles. Avec lui, il emportait l'image des mains du charpentier et quelques lignes de texte, des bribes de vérité prêtes à être polies en vers durables. Son épopée, comme ce pont, serait bâtie non sur des secrets spectaculaires, mais sur la patience et l'observation.