Quatro chevauchait sans relâche depuis des mois, loin de son royaume, son regard perdu dans les horizons sans fin de l'Ouest.
Le vent de l'océan battait son visage, emportant avec lui les dernières traces de son passé. Derrière lui, son nom n'était plus qu'un écho. Le trône qu'il avait rejeté, l'héritage du sang de son père, tout cela semblait maintenant aussi lointain que les étoiles au-dessus de sa tête. Il marchait sur un chemin semé d'épines, chaque pas le rapprochant d'un destin qu'il ne pouvait plus fuir.
Il atteignit un petit village côtier, oublié par les grandes armées et les hauts seigneurs. Ici, les gens vivaient de peu, chassant les vagues et commerçant avec les rares voyageurs qui osaient approcher les plages battues par les tempêtes.
Dans l'ombre des maisons en bois, un marchand étrange, au teint pâle et au regard perçant, observa Quatro. Il était l'un de ces hommes qui avaient vu le monde, un homme dont les yeux portaient les fardeaux de secrets trop lourds. En le voyant, Quatro sut immédiatement qu'il savait des choses, des choses qu'il cherchait à comprendre depuis le jour où il avait pris son cheval pour quitter son royaume.
Le marchand l'interpella d'une voix calme, presque distante.
"Tu cherches Axiome, n'est-ce pas ? Tout les étrangers qui viennent jusqu'ici le cherchent..."
Quatro le fixa un instant, surpris par la question.
"J'ai entendu dire que sa cité était cachée dans l'océan du Vent Gris. Mais comment y arriver ?"
Le marchand sourit faiblement, comme si la réponse était évidente.
"Il y a une seule façon d'entrer dans la cité parfumée d'Etamenki. Tu dois devenir esclave !"
Un frisson parcourut Quatro à l'idée de cette suggestion. "Esclave ?" répéta-t-il, incrédule.
Le marchand devenant plus intense répondit.
"Axiome n'accepte pas les voyageurs. Seuls les esclaves sont admis dans sa cité. Mais avant d'accepter cela, écoute cette histoire."
Le marchand s'assit sur un vieux banc en bois, et Quatro, intrigué, s'installa à ses côtés.
"Axiome n'a pas toujours été ce qu'il est aujourd'hui. Autrefois, il était un simple homme, un seigneur d'une petite cité sans nom. Il vivait avec sa femme, qu'il aimait profondément. Mais il était obsédé par un désir : celui de la rendre immortelle. Il voulait défier les lois de la nature, l'empêcher de vieillir et de mourir, tout comme lui-même. Pour cela, il chercha un moyen d'obtenir l'immortalité, un moyen qu'il croyait tout-puissant."
Le marchand marqua une pause, scrutant l'horizon avant de reprendre.
"Dans sa quête folle, il échafauda un plan audacieux pour voler ce qui n'était pas destiné aux mortels. Il élabora un breuvage mystérieux, une potion censée conférer l'immortalité, et dans son arrogance, il demanda à Chinook, le dieu des paradoxes et des illusions, de le boire. Il espérait que ce geste inverserait les lois de la nature et qu'il obtiendrait ce qu'aucun homme n'avait jamais possédé : la vie éternelle. Mais Chinook, maître des opposés et des vérités cachées, savait qu'Axiome trichait avec le destin. Il voyait à travers les mensonges et les manipulations, et il savait que ce breuvage n'était qu'un piège. Il accepta néanmoins de boire la potion, non par faveur, mais pour punir l'audace d'Axiome. Quand Axiome donna le breuvage à sa femme, la malédiction de Chinook se déchaîna. Elle mourut instantanément, emportée par la punition du dieu. La femme d'Axiome, son amour le plus cher, s'éteignit sous l'effet de ce même breuvage qu'il pensait être un don divin."
Le marchand se tourna vers Quatro, son regard gravement posé sur lui alors qu'il poursuivait l'histoire de cette trahison tragique.
"En punition de sa tentative d'usurper l'immortalité, Chinook ne détruisit pas seulement la vie de la femme d'Axiome. Il le maudit, lui accordant l'immortalité, mais d'une manière qu'aucun homme ne pourrait souhaiter. Axiome fut condamné à vivre éternellement dans un corps qui ne mourrait jamais, mais dont la vieillesse et la puanteur étaient éternels "
Le regard de Quatro se fit plus sombre à chaque mot. Le marchand laissa un silence pesant s'installer avant de continuer, ses mots devenant plus graves.
"Chinook, lui, n'est pas un dieu comme les autres. Il est l'incarnation des contraires. Il est à la fois homme et femme, une créature androgyne, mais aussi une déesse et une mortelle. Il représente le temps, la réflexion, mais aussi le paradoxe de l'existence. Il a créé les poisons, l'alcool, la luxure, la trahison, et toutes les illusions qui trompent l'esprit. Mais, à cause de lui, le destin d'Axiome a été forgé. Il est le créateur des paradoxes de l'existence et la raison pour laquelle Axiome est devenu ce qu'il est."
Les paroles du marchand semblaient s'inscrire dans l'air comme des incantations, chaque phrase résonnant avec une vérité amère que Quatro commençait à comprendre. La quête d'Axiome n'était pas simplement un désir d'immortalité, mais une folie qui l'avait conduit à la solitude éternelle. Il n'était plus un homme, mais un monstre qui détenait sa sœur...
"Axiome, dans son tourment, a reconstruit sa cité. Etamenki, une cité parfumée, où le temps ne s'écoule plus de la même manière. Mais cette ville n'est plus un lieu de vie. C'est un piège. Un piège où les âmes perdues sont attirées et où l'on devient esclave de ses propres désirs. Si tu veux y pénétrer, il n'y a qu'un seul chemin : celui de l'esclavage."
Quatro sentit un frisson le parcourir. L'idée d'entrer dans cette cité maudite. Ce n'était pas une simple aventure. C'était un voyage qui l'emporterait au cœur même du désespoir.
Le vent soufflait fort, emportant les dernières traces de cette conversation lourde.
Quatro se leva, son esprit embrumé par la découverte de cette vérité qu'il n'avait jamais imaginée. Pourtant, au fond de lui, il y avait quelque chose de plus fort que la peur ou la révolte. C'était la quête de sa sœur, la volonté de comprendre ce qui s'était passé dans cette cité où la vie et la mort se mêlaient à l'infini.
"Je deviendrai esclave," dit-il d'une voix ferme. "Je dois connaître cette cité. Je dois comprendre ce qui se cache là-bas. Et si ma sœur y est, je la retrouverai."
Le marchand, presque comme s'il s'attendait à cette réponse, lui lança un dernier regard chargé de mystère et de présages.
"Alors prépare-toi. Car une fois que tu auras pénétré la cité parfumé, il n'y aura plus de retour."
Avec ces mots, Quatro s'éloigna vers l'océan. Le vent sifflait autour de lui, l'accompagnant dans sa marche vers l'inconnu, vers cette cité maudite qu'il devait découvrir. Sa quête était désormais plus claire : découvrir la vérité sur Axiome, retrouver sa sœur, et peut-être, dans l'obscurité de cette cité perfide, trouver enfin une raison de vivre. Mais il savait que ce voyage le changerait à jamais. Le vent soufflait fort, emportant avec lui les derniers murmures de son passé.