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Chapter 6 - Le petit-fils de Noroît

Le navire avançait doucement, porté par des vents favorables. Le ciel gris, étendu comme une toile infinie, semblait suspendre le temps. À bord, le silence régnait, à peine troublé par le clapotis des vagues contre la coque. Quatro s'était retiré à l'arrière, les yeux fixés sur l'horizon. Sa tunique rugueuse irritait sa peau.

Il observait les autres esclaves, dont la plupart semblaient brisés. Certains murmuraient des prières, d'autres regardaient fixement leurs mains calleuses. C'est alors qu'un homme se rapprocha de lui. Grand et élancé, il avait la peau sombre comme la nuit et un regard perçant. Attaché aux pieds par des chaînes. Il avançait d'un pas calme.

"Tu n'as pas l'air comme eux..." dit-il d'une voix grave.

Quatro tourna la tête, méfiant.

"Je ne le suis pas..." répondit-il sèchement.

"Et pourtant, te voilà esclave, comme nous tous."

L'homme s'assit à côté de lui.

"Ventio." se présenta-t-il, tendant une main.

Quatro, hésitant, serra sa main.

"Quatro."

"Tu es un Premiers Hommes, pas vrai Quatro ? Ça se voit. Moi aussi... Notre peau a toujours attiré la haine des autres peuples..."

Quatro regarda Ventio, intrigué. Il semblait différent des autres esclaves. Il dégageait une sagesse cynique.

"Pourquoi es-tu ici ?" demanda Quatro.

Ventio esquissa un sourire amer.

"J'étais parfumeur d'Axiome. Un des meilleurs. Mais j'ai un jour refusé de créer un parfum que je jugeais trop dangereux... Désobéir à un monarque comme Axiome, c'est choisir l'esclavage... J'ai tenté de m'enfuir, mais tu vois où j'en suis... "

Le silence s'installa. Ventio semblait porter un poids immense, et pourtant, il restait étrangement calme.

Le calme fut soudain brisé par un cri :

"La tempête arrive !"

Le ciel, autrefois gris, s'assombrit rapidement, virant au noir. Le vent se leva, hurlant comme une bête sauvage. Les vagues, jusqu'alors dociles, devinrent des montagnes, s'élevant et s'abattant avec une force terrifiante. Le navire craquait sous la pression.

"Grain Blanc nous maudit !" hurla un marin.

Le petit-fils de Noroît, le dieu des tempêtes et de la haine, semblait déchaîner toute sa colère sur eux. La pluie s'abattait en trombes, les éclairs zébraient le ciel; le tonnerre grondait, étouffant les cris des hommes.

Quatro s'accrocha à une corde, luttant contre la force du vent. À ses côtés, Ventio faisait de même, son visage calme malgré le chaos.

"Tiens bon, Quatro !" cria Ventio.

Un éclair frappa la mer, si proche qu'il illumina le bateau. On aurait pu croire qu'il fessait soudain jour. Un des mâts se brisa, emportant plusieurs hommes avec lui. Les esclaves hurlaient, certains priant, d'autres sautant à l'eau dans l'espoir de s'enfuir.

Ventio prît le bras de Quatro.

"Accroche toi ! Où nous mourrons tous les deux !"

Ils luttèrent ensemble, s'agrippant à une poutre alors que le bateau penchait dangereusement. Jersy, à l'avant, hurlait des ordres, mais ses mots étaient perdus dans le fracas de la tempête.

"Grain Blanc ne prendra pas nos vies aujourd'hui," murmura Ventio avec une conviction étrange, comme s'il défiait directement le dieu en colère.

La tempête s'apaisa enfin, le bateau n'était plus qu'un vestige de lui-même. La plupart des esclaves avaient péri, emportés par les flots ou écrasés sous les débris. Ceux qui restaient étaient trop épuisés pour parler, leurs corps tremblants de froid et de peur.

Le soleil perça timidement à travers les nuages, projetant une lumière dorée sur l'océan. Et là, à l'horizon, elle apparut : la cité parfumée, Etamenki.

Ses tours s'élevaient comme des doigts d'or, brillantes sous la lumière du matin. Une brume légère, chargée de senteurs mystérieuses, flottait autour d'elle. On aurait dit un mirage, une illusion créée par Chinook lui-même. Quatro n'avait jamais rien vu, d'aussi beau. Lui qui n'avait connue que la froideur des champs de bataille et la rigueur de son pays.

Ventio, debout à côté de Quatro, posa une main sur son épaule.

"Ne te laisse pas berner par sa beauté. Etamenki est une prison dorée, un piège pour les âmes."

Quatro serra les poings, ses yeux fixés sur la cité.

"Je trouverai ma sœur, quoi qu'il en coûte."

Le bateau avança lentement vers le port. Le parfum envoûtant de la cité remplissait déjà leurs narines, promettant autant de merveilles que de désillusion.