Quatro, debout face à l'immensité de l'océan du Vent Gris, sentait le souffle salé des vagues caresser son visage. Les remous incessants et le ciel d'un gris lourd donnaient l'impression que le monde lui-même hésitait entre l'espoir et le désespoir. Son cheval, fidèle compagnon, piaffait doucement à ses côtés. L'animal semblait percevoir le poids des décisions à venir.
"Deux ou trois lieux," murmura Quatro à lui-même, ses yeux scrutant l'horizon. On lui avait parlé d'un port isolé, un endroit où les hommes ne demandaient pas d'où venaient les voyageurs, ni pourquoi ils cherchaient à traverser des eaux dangereuses. C'était là qu'il trouverait sa prochaine étape.
Après plusieurs heures de chevauchée à travers un sentier escarpé bordé de falaises, Quatro atteignit un port misérable.
Quelques barques mal entretenues flottaient à proximité des quais de bois rongés par le sel et le temps. L'endroit était sombre, peuplé de figures énigmatiques qui semblaient sorties d'un cauchemar. Parmi elles, un homme se distinguait. Grand, trapu, à la peau tannée par des années de voyages sous le soleil brûlant, il portait un large manteau de cuir et un sourire à la fois rusé et carnassier.
"Tu cherches un moyen d'aller quelque part, étranger ?" lança-t-il en détaillant Quatro d'un regard calculateur.
"Je dois atteindre la cité parfumé." répondit Quatro d'une voix ferme. "Tu peux m'aider ?"
L'homme éclata de rire, un rire rauque et guttural qui attira quelques regards curieux.
"La cité parfumé, hein ? C'est pas un endroit pour les hommes libres. Là-bas, seuls les esclaves et les putains sont acceptés..."
Il s'approcha de Quatro, ses yeux bruns brillants d'une lueur malicieuse.
"Je suis Jersy, négrier de métier. Je peux te faire entrer… Mais tout a un prix."
"Quel prix ?" demanda Quatro, méfiant.
Jersy désigna le cheval, le glaive et le bouclier.
"Ton équipement. Ton cheval. Et ta liberté. Tu devras devenir un esclave. Pas de chaînes, pas de marques. Mais tu seras à moi jusqu'à ce qu'on atteigne La cité parfumé."
Le cœur de Quatro se serra. Son glaive avait appartenu à son père, et son bouclier portait l'emblème de sa maison. Quant à son cheval, il était son seul compagnon fidèle. Mais il savait qu'il n'avait pas le choix.
"Soit," répondit-il après un long silence.
Jersy, satisfait, claqua des mains. Deux de ses hommes s'approchèrent, l'un tenant une tunique simple et rugueuse, l'autre un registre usé où il nota quelque chose.
"Donne-moi ton arme et ton bouclier," ordonna Jersy.
Quatro hésita un instant, caressant le manche de son glaive pour une dernière fois, avant de le tendre, suivi de son bouclier. Ensuite, il caressa doucement l'encolure de son cheval.
"Merci, mon ami et adieu..." murmura-t-il à l'animal avant de le laisser entre les mains des hommes de Jersy.
"Maintenant, tes vêtements," ajouta Jersy, sans la moindre gêne.
Quatro obéit, retirant sa tunique et ses bottes, jusqu'à se tenir nu face à la brise froide de l'océan. Il sentit le regard des autres esclaves et marins sur lui, mais il ne broncha pas. L'un des hommes de Jersy lui jeta la tunique de toile rugueuse. Elle était légère, presque indécente, mais elle symbolisait désormais sa nouvelle condition.
"Bienvenue parmi les tiens !" déclara Jersy avec un sourire ironique. "Tu es un esclave à part. Pas de chaînes, pas de fouets. Mais n'oublie pas que tu es à moi jusqu'à ce qu'on atteigne cette maudite cité."
Quatro suivit Jersy jusqu'au navire. C'était un bateau robuste, conçu pour braver les vents puissants du Vent Gris. À bord, d'autres esclaves étaient assis ou couchés, leurs yeux éteints fixant le vide. Mais Quatro, lui, marchait droit, son regard fixé sur la ligne d'horizon.
Jersy le guida jusqu'à une zone dégagée à l'arrière du bateau.
"Tu resteras ici. Je ne t'enchaîne pas, mais si tu tentes quoi que ce soit…" Il ne termina pas sa phrase, mais le regard qu'il lança à Quatro suffisait.
Le prince, désormais esclave volontaire, s'assit en silence, contemplant les vagues qui s'écrasaient contre la coque. La nuit tombait, et le navire commença à s'éloigner lentement du port. Chaque remous le rapprochait d'Axiome, de la vérité, et, il l'espérait, de sa sœur.
Le vent soufflait fort, emportant avec lui les derniers lambeaux de sa fierté. Mais au fond de lui, Quatro savait que ce sacrifice n'était qu'un début.