Chereads / La fureur d'Aniaba / Chapter 51 - Chapitre 51

Chapter 51 - Chapitre 51

L'obscurité était douce et apaisante dans la case de la mambo. Une faible lueur dansait sur les murs tressés, projetée par la flamme d'une bougie à l'odeur entêtante de plantes médicinales. Nyala reposait sur une natte, son corps brulant et amaigri témoignant des épreuves qu'elle avait traversées. Sa respiration était lente, chaque souffle semblant être un combat contre l'inévitable. Pourtant, ses yeux rayonnaient d'une lueur intense, la détermination farouche de son esprit malgré la faiblesse de son corps.

Autour d'elle, Aniaba, Marie-Louise et Victor étaient rassemblés. L'atmosphère était lourde de silence, chacun conscient de l'importance du moment. Nyala, malgré tout leur sourit faiblement avant de tourner son regard vers Aniaba.

— Approche, garçon, dit-elle d'une voix rauque mais teintée d'une autorité naturelle.

Aniaba s'agenouilla près d'elle, sa large main prenant délicatement celle de la vieille femme.

— Je suis navré, dit-il. Si j'avais été plus fort, si j'avais été meilleurs tout ceci …

— Assez de ces jérémiades, coupa sèchement la prêtresse vaudou. Je ne t'ai pas appelé pour entendre cela, mais bien au contraire pour te faire savoir que c'était mon choix et que je ne regrette rien. Je lutte depuis avant ta naissance mon garçon, penses tu que je ne sois pas prête à mourir? J'ai vécu libre et comme je l'entendais et je m'en vais de la même façon. Ne sois pas triste ne porte pas ma mort comme un fardeau, ceci n'est pas ta faute. Elle lui sourit faiblement. Depuis notre première rencontre, je savais que le chemin serait tortueux, dangereux et mortel… et je l'ai arpenté jusqu'au bout.

Elle tira sous sa natte une petite fiole contenant un liquide épais et sombre, d'une odeur fauve et terreuse. La lumière vacillante de la bougie se reflétait sur le verre trouble.

— Ceci, murmura-t-elle, est une clé. Une potion que j'ai préparée pour toi … Quand tu seras prêt à poser les bonnes questions et à entendre les réponses que les Loas ont pour toi, bois-la. Ils t'attendent, Aniaba… et ils ont encore des épreuves pour toi. Tiens… et quand tu seras prêt, bois.

Le regard d'Aniaba se fit plus grave. Il savait que toute rencontre avec les Loas était une épreuve où l'âme pouvait être brisée aussi bien que renforcée. Mais il hocha la tête et serra la fiole dans son poing, conscient du poids de sa mission. Il aurait voulu la remercier, lui assurer qu'il ne faillirait pas, mais les mots lui manquaient. Nyala l'avait toujours vu tel qu'il était, sans fard ni mensonge. Elle savait déjà.

Nyala tourna alors la tête vers Marie-Louise, qui semblait hésitante, les poings serrés sur sa jupe. La jeune femme était restée en retrait, luttant contre les émotions contradictoires qui l'assaillaient.

— Tu n'as pas besoin de parler, ma fille, souffla la mambo en lui tendant une main tremblante. Je sais ce que tu ressens. Tu crois ne pas être prête… Mais personne ne l'est jamais vraiment.

Marie-Louise baissa les yeux, le poids de ces paroles résonnant en elle. La main ridée de Nyala attrapa la sienne et la serra avec une force surprenante.

— Écoute-moi bien, petite mambo. Tu portes en toi un don rare. Les Loas t'ont déjà choisie. Ce n'est pas à toi de décider si tu es prête, c'est à eux. Mais je vais te dire une chose : ils t'ont choisie, tu devrais le faire également. Aie foi en toi.

Marie-Louise sentit les larmes lui monter aux yeux. Elle n'était plus une enfant, mais en cet instant, elle aurait tout donné pour que Nyala reste encore un peu. Pour qu'elle la guide encore, lui enseigne encore. Mais le temps leur était compté.

Nyala leva difficilement la main et la posa sur le cœur de la jeune femme.

— Ne crains rien. Les Loas te guideront, et moi, je serai toujours là… avec tous nos ancêtres, nous serons avec toi.

Elle toussa faiblement, son souffle s'amenuisant.

— N'oublie pas, ne laisse jamais la peur décider à ta place, Marie-Louise. Elle ment. Elle enchaîne. Souviens-toi de cela.

Marie-Louise hocha la tête, serrant la main de Nyala contre son cœur. Dans ce moment suspendu, elle sentit une force nouvelle l'envahir. Une force ancienne, transmise par la lignée des mambos qui avaient foulé cette terre avant elle. Une force qui ne mourrait jamais.

Le silence s'épaissit dans la case, entrecoupé seulement par le crépitement de la bougie. Victor, silencieux jusqu'ici, s'approcha pour ajuster les couvertures de Nyala avec une douceur infinie. Il était celui qui avait pris soin d'elle depuis sa blessure, celui qui avait veillé sur ses derniers jours avec un respect presque filial.

— Reposez-vous, Mambo, murmura-t-il. Nous veillons. Merci pour tout.

Nyala lui adressa un dernier regard empli de gratitude avant de fermer doucement les yeux. Ses lèvres murmurèrent une prière : "Papa Legba, gardien des chemins, ouvre-moi la porte", puis un dernier souffle franchit ses lèvres, léger comme une brise.

La flamme de la bougie vacilla une seconde avant de se stabiliser. Aniaba sentit furtivement l'odeur du rhum qu'il connaissait si bien. Il chercha l'entité des yeux, mais le Baron, apparemment, n'avait pas envie de se montrer.

Marie-Louise serra le grigri contre sa poitrine, les larmes roulant silencieusement sur ses joues. Aniaba, le regard durci, serra les mâchoires en contemplant la femme qui venait de quitter ce monde. Mais dans l'ombre, un murmure presque imperceptible résonna dans le cœur de ceux qui avaient appris à écouter les esprits.

Nyala était partie, et avec elle, les marrons avaient perdu leur guide spirituel. Mais son héritage demeurait.