Quelques heures plus tard, Julian et ses amis revinrent avec un seul Lapimi à leur actif.
"Ces trucs sont dotés d'une perception abusée. On a eu de la chance d'en attraper un," se plaignit Leck.
"Ça veut bien dire que notre maîtrise de l'aura protectrice n'est pas assez bonne. Regardez Darg et les autres," répondit Julian.
Dans le camp, les chasseurs s'étaient regroupés autour d'un feu au centre. Bien que chacun restât dans son coin, ils faisaient l'effort de rester proches les uns des autres. Il était clair que la chasse avait été frustrante pour certains. Darg, à lui seul, avait rapporté dix Lapimi. Siron en avait un peu plus de vingt. Et même la fille mystérieuse en avait cinq.
Quand Julian et son groupe arrivèrent, le capitaine Soll s'approcha, tendant la main sans cérémonie :
"Votre contribution, merci bien."
Sans scrupule, il leur arracha leur unique Lapimi avant de retourner à sa place. Lui seul avait probablement plus de Lapimi que tout le monde réuni. Julian et ses amis sentirent leur cœur se briser littéralement. Torturés par la faim, ils ne purent rien rétorquer. Tout le monde devait donner une part de son butin.
Seuls et affamés, ils s'assirent près du feu.
"En plus, il fait aussi froid que dans une forêt glacée. J'en ai assez," grommela Leck, les dents claquant de froid.
Bien que Julian semblât stoïque, le vent était aussi glacial que la mort. L'incident autour du feu ajoutait à la tension, mais l'ambiance était étrangement calme. Loin de l'agitation de la journée, personne ne parlait, et personne ne se regardait. Chacun était occupé à manger ou à se couvrir le visage pour atténuer la faim.
Les flammes du feu s'élevaient lentement dans le ciel, créant des ombres toujours plus sombres et inquiétantes. On aurait dit que les ténèbres elles-mêmes essayaient de les envelopper.
"Je n'arrive pas à m'habituer à cette obscurité si déstabilisante," murmura Julian. Ce sentiment était étrangement oppressant.
Il se retourna pour jeter un coup d'œil vers la fille mystérieuse. Ce n'était pas intentionnel, mais il vit quelque chose d'étrange derrière les arbres. Une ombre. Une ombre humaine. Julian fronça les sourcils. L'ombre semblait flotter au-dessus du sol, avec des ailes disproportionnées s'étendant derrière son dos. Ses bras, longs et minces, pender inanimé vers le bas.
Mais ce qui troubla Julian le plus fut son visage : un sourire démesuré qui ne quittait jamais l'ombre. Bien que ce ne fût qu'une silhouette, Julian sentit son corps se crisper. Il cligna des yeux. Quand il regarda de nouveau, l'ombre avait disparu.
Il posa une main sur son cœur, essayant de se calmer pour ne pas paniquer.
"Du calme, Julian. C'est ton cerveau qui est épuisé. Ce n'est sûrement que ça… sûrement que ça," se répétait-il, bien conscient qu'il se trouvait près de la Tombe des Origines. Malgré ses efforts, il n'arrivait pas à se rassurer.
"Savez-vous ce qui s'est réellement passé avec le tout premier héritier des royaumes ?" Une voix détendit brusquement le silence pesant.
Bien que personne ne se retournât, tous tendirent l'oreille malgré eux. Kelnix, adossé contre un arbre, continua :
"Selon les légendes, le tout premier héritier, un certain Karim Feroth, aurait été contraint de commettre un acte irréparable. Les rumeurs parlent d'un sacrifice qui serait peut-être la cause de cette malédiction qui ronge Feroth. La raison pour laquelle nous n'avons plus d'héritier."
Le camp resta étrangement silencieux. Même le capitaine Soll jeta un regard furtif à Kelnix. Celui-ci, loin d'être intimidé, poursuivit :
"On parle de démons…" murmura-t-il.
Julian sentit ses poils se dresser.
"Ce n'est pas ce que dit le grand livre sur l'histoire des royaumes," répliqua-t-il.
Julian était bien éduqué sur cette partie de l'histoire de Feroth. Le grand Karim Feroth était l'une des figures les plus iconiques du monde, le tout premier héritier que le monde ait jamais connu. Les légendes parlaient d'un être capable de décider du sort d'un royaume par sa simple volonté.
Cela dit, les récits s'arrêtaient après sa victoire contre les envahisseurs du royaume de Tarr. Après son combat contre le démon de Tarr, il aurait disparu du jour au lendemain.
"Je ne nie pas les écritures anciennes, Julian," répondit Kelnix calmement. "La vraie question à se poser, c'est pourquoi les démons de Tarr ? Ce n'était pourtant pas les premier que Karim faisait plier sous sa force. On parle d'un être carrément différent. Presque divin certain dirais même. Savez-vous ce qui est le plus intrigant dans tout ça ? C'est que nous sommes actuellement à Tarr !"
"Ça suffit," déclara le capitaine Soll. "Allez tous dormir. Demain, nous reprendrons l'entraînement, et je vous apprendrai comment projeter votre conscience à l'aide de votre aspect. C'est mentalement très exigeant. Interdiction de réfléchir d'ici là."
Tous se levèrent sans discuter. Le capitaine Soll était une autorité incontestée. Bien que tous soient curieux de connaître la vraie histoire, personne ne resta sur place.
Une fois sur son lit improvisé, Julian observait les étoiles. En bas, il remarqua William, qui semblait plongé dans ses pensées.
"Hey, William."
"Je sais à quoi tu penses, Julian," répondit Willim les yeux fermés. "Tu penses que Kelnix a raison. Et tu n'as pas tort de penser cela." Il ouvrit légèrement les yeux et releva la tête. Leck, perché dans son coin, les rejoignit discrètement. Bien que leur campement fût très instable, leur curiosité l'était encore plus.
"Je me suis repassé les paroles de Kelnix encore et encore," reprit William. "Et je pense qu'il a raison. Une fois, j'ai trouvé une carte ancienne de Feroth mentionnant une forêt aussi grande qu'un royaume à l'intérieur de Feroth. En retraçant les cartes, on remarque que cette partie a été déplacée hors de Feroth sur les nouvelles cartes du royaume. Cet endroit, c'est ce qu'on appelle aujourd'hui Tarr."
Julian se gratta le menton.
"Tu veux dire que le royaume aurait falsifié les cartes pour faire croire au monde que Tarr ne fait pas partie de Feroth ?" Cette découverte le laissa perplexe. "Pourquoi faire une chose aussi insensée ? Cette forêt est remplie de créatures extraordinaires et probablement de ressources incroyables," ajouta Leck.
"Utilise ton cerveau pour une fois, Leck," lança William. "C'est pourtant évident. Une partie du récit est certainement vraie. Karim Feroth a bien disparu après avoir combattu les démon de Tarr. Feroth est surnommé le royaume des origines. Tu as une idée du chaos que cela pourrait causer si on apprenait que la disparition du premier héritier n'avait rien de normal, mais tout à voir avec Tarr ?"
"Il y a deux possibilités," poursuivit-il. "Premièrement, nous serions colonisés par les puissantes nations, toutes en quête de pouvoir, essayant de comprendre quelle puissance cachée à Tarr a pu faire disparaître le premier héritier. Dans ce cas, nous tomberions sous la coupe d'Alderia ou même de Sagnum. Feroth perdrait son autonomie et son statut de puissance mondiale. Cela dit, dans un deuxième cas, c'est tout Feroth qui pourrait être anéanti, guidé par la peur que les héritiers actuels subissent le même sort."