Chapitre 2 : Route vers l'inconnu
Le voyage avait été court, mais suffisant pour que Tanza ressente le poids de l'inconnu. Assis à l'arrière d'une voiture noire aux vitres teintées, il observait le paysage défiler à travers une petite ouverture. La ville qu'il connaissait, avec ses immeubles fatigués et ses rues monotones, s'effaçait peu à peu, remplacée par des collines ondulantes et des forêts aux teintes sombres.
À côté de lui, un homme vêtu d'un uniforme impeccable feuilletait un dossier sans lui accorder un regard. Les feuilles froissées semblaient hurler dans le silence de l'habitacle. Tanza, lui, restait impassible, ses yeux noirs fixant l'horizon.
« Tu as des questions ? » demanda enfin l'homme, brisant le mutisme oppressant.
Tanza détourna lentement son regard pour le poser sur lui. « Où m'emmenez-vous ? »
L'homme referma son dossier d'un geste sec. « Là où tu dois être. Ta place n'est plus dans cet hôpital. »
Un soupir imperceptible échappa à l'enfant. Il reporta son attention sur le paysage. La forêt devenait plus dense, presque suffocante, comme si les arbres eux-mêmes tentaient de cacher un secret. Au bout de quelques minutes, la voiture ralentit avant de finalement s'arrêter sur un chemin isolé où était garé un camion dont la remorque était pleine d'enfants en bas âge.
Dès qu'il comprit vaguement la situation, une colère sourde monta en Tanza. Son instinct de survie prit le dessus, et, sans réfléchir davantage, il lança son poing de toutes ses forces sur l'homme à côté de lui. Mais avant même qu'il n'atteigne sa cible, une pression insurmontable s'exerça sur lui. L'air lui sembla soudain plus lourd, comme si un poids invisible l'écrasait. L'homme le saisit par les poignets d'une main ferme, sans effort, l'immobilisant sur place.
Tanza se débattit quelques instants, mais il savait au fond de lui que cette tentative serait un échec. Il ne pouvait pas rivaliser. Un coup sec et brutal à l'abdomen le fit plier en deux. La douleur, aiguë et violente, lui coupa le souffle. Il se retrouva replié sur lui-même, le corps secoué par les spasmes.
Cette vision m'était en un sens énervante. Cette vision m'était en un sens énervante et pourtant, c'était nécessaire. Il devait comprendre sa place, sa faiblesse, avant de pouvoir avancer. Je ne pouvais pas l'aider maintenant, je ne devais rester qu'un observateur.
Le moteur de la voiture s'éteignit enfin dans un grondement, laissant place à un silence presque étouffant. L'homme sortit de la voiture sans un mot et contourna le véhicule pour ouvrir la portière de Tanza, qui se tenait le ventre, replié en position fœtale.
« Sors. »
Tanza, bien qu'amoché, se força à obéir. Il glissa hors de la voiture avec une lenteur calculée, ses pieds rencontrant le sol rugueux du chemin, une texture bien différente des pavés familiers de la ville.
Devant lui, le camion attendait, semblable à un monstre aux mâchoires béantes, sa remorque sombre ponctuée de silhouettes enfantines. Certains enfants pleuraient, d'autres murmuraient à voix basse, leurs visages dissimulés derrière des mèches sales ou des bras tremblants.
Un homme robuste, vêtu d'un uniforme similaire à celui de l'accompagnateur de Tanza, se tenait près de la rampe d'accès. Il fit signe à Tanza d'avancer.
« Monte. »
L'odeur de peur et de métal envahit les narines de Tanza alors qu'il franchissait les premiers pas. Il grimpa dans la remorque sans un mot, ses yeux noirs glissant sur chaque enfant qu'il croisait. Ils étaient tous différents – des âges variés, des vêtements dépareillés, mais tous marqués par la même expression : un mélange de désespoir et d'incompréhension.
Tanza s'assit dans un coin, adossé contre une paroi métallique. Il observa en silence, tandis que les portes se refermaient derrière lui dans un bruit sourd. L'obscurité les enveloppa presque complètement, à l'exception de quelques rayons de lumière filtrant par des ouvertures au plafond.
Le camion se mit en mouvement dans un grincement assourdissant. L'espace était exigu, et les secousses faisaient tanguer les corps entassés les uns contre les autres. Tanza, lui, restait immobile, le dos droit et les yeux fixés sur un point invisible devant lui.
« T-tu sais où ils nous emmènent ? » demanda une petite voix tremblante à sa droite.
Il tourna lentement la tête pour voir un garçon d'environ son âge, plus petit et aux cheveux en bataille. Ses mains tremblaient alors qu'il serrait un morceau de tissu usé contre lui.
Tanza le fixa un instant, la main toujours posée sur son ventre, avant de répondre d'une voix calme :
« Non. Mais ce ne sera pas un endroit agréable. »
Le garçon déglutit difficilement, détournant le regard comme s'il regrettait d'avoir posé la question.
Autour d'eux, les murmures s'éteignirent peu à peu. La peur les avait tous rattrapés, et le bruit du camion se mêlait à leurs respirations saccadées. Tanza, lui, ne tremblait pas. Pas parce qu'il n'avait pas peur, mais parce qu'il savait que cela ne changerait rien.
Le camion roulait sans relâche, chaque secousse du véhicule faisant vibrer les corps entassés les uns contre les autres. Tanza resta immobile, les yeux rivés sur un point invisible devant lui, ses pensées dérivant comme une mer calme en pleine tempête. Autour de lui, les murmures des autres enfants s'éteignirent peu à peu, remplacés par la respiration haletante et nerveuse de ceux qui n'osaient pas briser le silence. Le poids du doute, de l'inconnu, semblait être un fardeau de plus en plus lourd à porter. Et pourtant, Tanza n'était pas sûr de ce qui le perturbait le plus : l'incertitude de ce qui allait se passer, ou le fait qu'il se sentait étrangement détaché, comme un simple spectateur de son propre malheur.
Il est trop tard pour revenir en arrière, n'est-ce pas ?
La question flottait dans son esprit, mais il la chassa presque aussitôt. Ce qui comptait, c'était l'instant présent, la réalité de cette remorque crasseuse, de ces enfants apeurés et de l'inconfort palpable qui pesait sur lui. À côté de lui, le garçon aux cheveux en bataille était toujours là, le regard fuyant, les mains tremblantes autour d'un vieux morceau de tissu qu'il serrait contre lui.
Tanza tourna lentement la tête, rencontrant son regard pour la première fois. Le garçon sembla se figer sous la froideur de ses yeux noirs, avant de détourner les siens, murmurant d'une voix tremblante :
« D-d'où viens-tu ? »
Tanza hésita un instant. Sa voix, habituellement calme, semblait être une épaisse brume, difficile à saisir.
« Je viens de là où personne ne veut être. »
La réponse, froide et distante, fit naître un léger frisson sur le corps du garçon, mais il n'insista pas. Dans ce silence, seul le bruit du moteur, grincé par les secousses, continuait d'assourdir tout. Le temps semblait suspendu dans cette remorque, figé dans un entre-deux où l'angoisse se mêlait à l'attente.
Soudain, Tanza aperçut un changement dans l'attitude des autres enfants. Certains se raidissaient, d'autres semblaient s'agiter plus nerveusement. L'un d'eux se leva brusquement, se frayant un chemin parmi les corps entassés. Un regard furtif sur l'extérieur à travers une fente minuscule lui apprit pourquoi : la lumière devenait plus forte, plus dure, comme si le soleil frappait de plein fouet le sol. Le camion ralentissait, sa vitesse s'amenuisant pour une raison inconnue.
Où allons-nous ?
Tanza serra les poings, son ventre toujours douloureux, mais son esprit se concentrant sur la situation présente. Il chercha des indices dans le comportement des autres enfants, dans les gestes des hommes en uniforme qui les accompagnaient. Chaque mouvement semblait aussi calculé que mécanique, comme si tout avait été orchestré à l'avance.
Puis, les portes du camion s'ouvrirent dans un fracas, laissant pénétrer une lumière aveuglante. Le sol était pavé de gravier, et un vent sec balayait l'air. Les autres enfants se précipitèrent dehors, certains presque en courant, d'autres trainant les pieds, d'autres encore hésitant à franchir le seuil.
L'un des hommes en uniforme, plus imposant que les autres, se tenait près de la rampe d'accès, les bras croisés, l'air indifférent. Il fit un signe à Tanza de monter.
« Descends. »
Tanza ne bougea pas immédiatement. Il analysait le nouveau lieu où il venait de poser les pieds. Le sol était inégal, pavé de gravier brut, un décor totalement différent de tout ce qu'il avait pu connaître. Devant lui, des bâtiments aux façades bétonnées se dessinaient dans une brume épaisse, l'air lourd d'une froideur presque métallique. Pas un bruit, mis à part le souffle du vent. Il n'y avait aucune vie dans les environs, à part les enfants, tous regroupés dans une zone délimitée par des grillages.
Soudain, un cri perça l'air. Un des plus jeunes, un enfant à peine plus âgé que cinq ans, s'était égaré et était tombé. Les autres, accroupis ou cachés dans l'ombre des bâtiments, ne réagirent pas. L'homme qui accompagnait Tanza tourna la tête, son regard glacial se posant brièvement sur l'enfant avant de revenir vers Tanza.
« Il vaut mieux rester en silence ici. »
Tanza fronça les sourcils, un frisson désagréable parcourant son échine. Il savait déjà que cet endroit était bien plus que ce qu'il semblait être à première vue. Mais il n'avait pas encore les clés pour en comprendre la véritable nature.
L'homme en uniforme commença à marcher en direction d'un bâtiment imposant, les autres enfants se traînant derrière lui. Tanza suivit, non par obéissance mais par instinct, une étrange sensation dans la gorge comme s'il avalait une lame froide.
À mesure qu'ils approchaient du bâtiment, une silhouette se dessina sur le seuil de la porte : un homme plus âgé, au regard sévère, vêtu d'une robe noire. Ses yeux perçaient la foule d'enfants, se posant un instant sur Tanza, avant de lui faire un signe de tête.
Un directeur ?
Tanza sentit une vague de méfiance s'emparer de lui, un instinct qu'il n'avait jamais totalement perdu, même dans cette situation où tout semblait se jouer bien plus grand que lui. Il suivit l'homme dans le bâtiment, silencieux, scrutant chaque détail, chaque mouvement autour de lui.
Cela ne fait que commencer, n'est-ce pas ?
Et moi, dans mon coin, me contentais d'observer, gardant mes réflexions pour moi, prêt à agir lorsque ce sera vraiment nécessaire.