Tout ça remonte à mes années de lycée. J'étais une élève modèle, qui faisait ce qu'on attendait d'elle. Mes rêves étaient encore intacts, je voulais devenir médecin, partir sauver des vies dans les pays défavorisés. J'avais l'ambition de me rendre utile à la société. Il s'agissait de ma raison de vivre, c'était ce qui me guidait, et je suivais le chemin que je m'étais fixé avec une confiance inébranlable.
Il est difficile de vivre sa vie sans s'accrocher à un objectif, une voie, j'ai toujours eu cette difficulté, cette incapacité à trouver du sens dans l'action en elle-même, mais dans ce qu'elle permet. Tout ce que je faisais, je le faisais pour remplir les objectifs que je m'étais fixé, jusqu'à ce que je fasse cette rencontre.
Il y a des fois où le destin est inéluctable, où, peu importe nos efforts, on ne peut pas l'empêcher de nous amener là où il faut qu'on aille. Pourtant, je ne comprends toujours pas comment c'est possible. Rien n'aurait pu nous rapprocher. Rien n'aurait dû nous rapprocher.
Deux univers se heurtent, et la collision fragilise les deux, et détruit la limite qui les séparait.
24 juin 20XX - Chambre d'adolescente
Quand je m'étais penchée à la fenêtre, je ne pensais pas voir une femme manipuler l'eau avec des gestes amples de la main. Elle ressemblait à une fée venue tout droit des légendes pour enfant. Que faisait-elle ? Suivant l'eau, j'avais pu identifier une créature qui ressemblait à un loup, seulement plus massif, couvert de marques rouges qui brillaient dans la nuit. Étais-je en train de rêver ? Cela paraissait irréel, pourtant je pouvais sentir l'air frais sur mes joues. Je crois me souvenir que j'étais restée éveillée un peu plus tard que d'habitude. Je travaillais beaucoup, mais ça m'arrivait rarement de ne pas être couchée à minuit passé. Cette fois, j'étais debout quand la lune était à mi-chemin, et mon regard s'était porté seul à la fenêtre ouverte. Les premières journées chaudes de l'été rendaient les nuits plus fraîches très agréables.
Le loup se jetta sur la magicienne de l'eau. Je vis sa tête arrachée par la créature. Le sang jaillissant du corps qui s'écroule, inanimé.
Moi : Non !
Les mains sur la bordure de la fenêtre, j'avais crié de tous mes poumons à l'intention de la magicienne. Une sueur froide me parcourut, le sang bouillait dans mes veines, mon cœur battait comme jamais il n'avait battu. Je clignai des yeux un instant, je ne pouvais pas en croire mes yeux.
— Voulez-vous que [inconnue] meure ? —
- Non
- Non
Sa tête n'avait jamais quitté son buste. Mon imagination m'avait joué des tours. C'était elle qui avait battu la bête, et mon cri l'avait alertée. Comme si j'avais brisé un interdit, je me suis empressée de fermer les volets de ma chambre, et je me suis mise au lit. L'émotion me faisait encore transpirer. Qu'est-ce que j'avais vu ce soir ? À quoi venais-je d'assister ? Je mettais de côté cette expérience particulière, puisque plus rien ne m'y fit penser jusqu'en Septembre.
1er septembre 20XX - Lycée de campagne.
Rentrée scolaire, une année que j'ai préparée avec motivation pendant ces vacances.
Je ne pensais pas y revoir ce visage. Quand j'ai aperçu cette fille, mes souvenirs de cette soirée se sont ravivés. Tout mon corps s'écriait : "La magicienne !" Elle devait m'avoir reconnue aussi. En tout cas, c'est ce que j'ai déduit de ce qui m'est arrivé dans l'après-midi. Me retrouvant seule dans un coin de la cour, je sentis une main me saisir l'épaule. Aussitôt, je me retrouvai embarquée dans un bâtiment, où l'on me jetta par terre.
Moi : Aïe ! Mais qu'est-ce qui vous prend ?
La personne qui m'avait saisi était un garçon aux yeux noirs, avec des cheveux en bataille, qui portait une sorte de cage en fer autour du visage. Son regard sombre me faisait froid dans le dos, mais il ne disait rien. Il se contentait de me regarder avec un air sauvage. Il ne réagit pas non plus quand je me suis relevée.
Moi : Qu'est-ce que vous me voulez ?
Garçon à la cage : Va savoir.
Moi : Hein, qu'est-ce que ça veut dire ?
Le garçon haussa les épaules.
??? : Ça veut dire qu'il faut qu'on discute.
La personne qui entrait dans le bâtiment n'était autre que la magicienne, qui m'avait l'air levée du mauvais pied. Son attitude semblait plutôt négative. Quelque chose devait lui causer souci. Cette chose, ce devait être moi. J'avais alors réalisé que la seule chose qui pouvait faire l'objet d'une discussion à ce moment-là était ce soir où je l'avais vue manipuler l'eau.
Moi : Je suis désolée. Je ne saisis pas…
La magicienne : Pas besoin de saisir. Je vais effacer tes souvenirs de cette soirée, et tu continueras à vivre ta vie sans te soucier de nous.
Elle s'approcha de moi et me saisit par l'épaule. Je ne comprenais pas ce qui m'arrivait, mais ayant vu ce dont elle était capable, j'avais le sentiment que c'était dit sérieusement. Mon esprit commença à vaciller, mes souvenirs furent embrumés un instant et…
— Voulez-vous perdre vos souvenirs ? —
- Oui Non
- Non
Sans que je ne sache pourquoi, une lumière éclaira la brume qui obscurcissait mes souvenirs. La magicienne fut comme repoussée par une force. Elle trébucha en arrière et finit par tomber au sol.
La magicienne : Qu'est-ce que c'était que ça ?
Le garçon à la cage semblait lui aussi dans l'incompréhension, et son regard sauvage semblait même un peu teinté d'inquiétude.
La magicienne : Je comprends pas c'est quoi le souci, mais j'ai pas pu effacer tes souvenirs.
Moi : …
Quant à moi, je ne comprenais pas pour quelles raisons ils voulaient effacer mes souvenirs. L'expérience était loin d'être agréable, c'était comme si on avait essayé d'extirper quelque chose directement de mon cœur. Je relève les yeux vers la magicienne, cette dernière détourne le regard.
La magicienne : Le temps que je trouve une solution, ne parle de nous à personne. Estime-toi heureuse qu'on s'arrête là.
Le garçon se curait le nez en regardant ailleurs, comme s'il n'était pas vraiment concerné. Ils partirent tous les deux, me laissant seule dans le local.
Une fois relevée, j'entendis la porte s'ouvrir à nouveau, dévoilant une jeune lycéenne aux cheveux blancs comme la neige. Elle avait l'air inquiète.
Lycéenne : Ils t'ont harcelé ? Je les ai vu t'emmener dans ce bâtiment, je trouvais ça bizarre de les voir sortir sans toi…
Moi : Non, ça va.
Je ne voulais pas me mettre en danger en divulguant quelque chose que la magicienne ne voulait pas que je révèle. Cette fille que je ne connaissais pas sembla boire mes paroles.
Lycéenne : Je m'appelle Fleur-du-Kranou, si jamais tu as d'autres problèmes, n'hésite pas à venir me voir. C'est ma dernière année ici, alors je maîtrise un peu tout ce qu'il y a à savoir.
Elle avait l'air vraiment gentille, peut-être trop pour son propre bien. Je me suis présentée en retour. Fleur-du-Kranou et moi sommes restées ensemble jusqu'à ce que les cours reprennent. Grâce à son chaperonnage, mon inclusion dans cet établissement fut plus chaleureuse.
Fin de l'Acte 1