Avant l'aube, une personne se faufilait autour de la demeure de Kimyōmaru.
… Bien. Une fois là-bas, ce ne sera plus qu'une ligne droite jusqu'à la porte.
Cette personne était Kimyōmaru lui-même. Il y avait une raison derrière ses actions.
Il avait révélé sa véritable identité à Shizuko lorsqu'il avait souffert d'une toux.
Comme cela allait à l'encontre des ordres de Nobunaga, il avait été mis en maison d'arrêt pendant quelques jours histoire de se calmer.
Du point de vue d'une personne du monde moderne, cela pouvait sembler étrange que quelqu'un soit suspendu rien que pour avoir révélé son identité, ignorant ainsi des ordres, mais sous le système patriarcal de l'époque Sengoku, l'autorité du chef du clan était absolue.
Par conséquent, qu'il s'agisse de la femme, des enfants, ou des autres membres de la famille, il était de leur devoir d'obéir fidèlement aux ordres du chef du clan. S'ils lui désobéissaient, le chef du clan pouvait aller jusqu'à les exécuter.
Et ce, même si leurs actions étaient raisonnables ou dans le juste.
Je sais que j'ai eu tort d'ignorer la volonté de mon père, mais c'est quelque chose de différent.
En vérité, la suspension imposée par Nobunaga avait déjà été levée, mais malgré cela, il lui était toujours difficile de sortir.
Cela était un mystère pour Kimyōmaru tandis que l'enthousiasme de son tuteur pour son éducation avait été ravivé.
Par conséquent, il était forcé d'étudier du matin au soir. Nobunaga ne voyait pas cela comme un problème, au contraire, il avait encouragé le vieil homme en disant [Ce sera un bon traitement pour Kimyōmaru].
Dès que je serais sorti―
"Où allez-vous, Kimyōmaru-sama ?"
Alors que la sortie était juste sous ses yeux et que Kimyōmaru était sur le point de courir, une voix retentit derrière lui.
Kimyōmaru se redressa et tourna lentement la tête comme une machine rouillée.
Un vieil homme le regardait fixement.
"Euh, je me dirigeais vers… les toilettes."
"Les toilettes sont de ce côté."
Le vieil homme répondit calmement tout en montrant le chemin que Kimyōmaru avait parcouru.
"Ah, euh… vraiment ?"
Kimyōmaru, transpirant à grosses gouttes, essaya de se trouver une excuse.
Mais de par son mensonge évident, ses paroles n'avaient plus aucune crédibilité.
"Alors, où allez-vous ?"
"Euh… ah ! Je pensais étudier chez Shizuko aujourd'hui !"
"Le seigneur n'a-t-il pas dit que vous n'avez pas besoin de rendre visite à Shizuko-sama pendant quelques temps ? En outre, Shizuko-sama avait également déclaré, je cite : [La connaissance s'obtient en recherchant et comparant des informations provenant de multiples sources et en écoutant les enseignements de ses aînés. N'écouter que mes histoires te biaisera dangereusement, et quelqu'un qui ne sait que réciter des livres est pire qu'un idiot.]"
"Urgh."
"Elle avait également ajouté : [La connaissance ne devient de la sagesse que lorsqu'elle a été appliquée]. Aujourd'hui, après le petit-déjeuner, nous ferons des leçons de tir à l'arc et d'équitation. Je vais me retirer pour faire les préparatifs. N'oubliez pas cela, Kimyōmaru-sama."
Bouche bée face à ses arguments solides, Kimyōmaru ne put que hocher la tête face au vieil homme.
***
Shizuko avait décidé de laisser Nobunaga s'occuper de la réponse à donner à Tadakatsu.
Plutôt que de l'écrire elle-même et de laisser Nobunaga l'inspecter, elle pensait qu'il serait préférable qu'elle laisse Nobunaga ordonner à un subordonné d'écrire la réponse afin d'éviter toute impolitesse.
La lettre, dont le contenu se résumait à décliner l'invitation le plus poliment possible, fut remise à Tadakatsu quelques jours après que Shizuko ait laissé Nobunaga s'occuper de cette tâche.
Shizuko avait pensé que cela se terminerait ici, mais elle avait sous-estimé Honda Heihachirō Tadakatsu.
Le 8 mai, Shizuko fut appelée par Niwa et se rendit chez lui.
Shizuko ne comprenait pas pourquoi Niwa, qui la voyait en face-à-face le plus souvent, lui avait ordonné de venir chez lui plutôt que de venir chez elle.
Mais s'inquiéter à ce sujet ne servait à rien. Elle n'eut d'autre choix que de se rendre chez lui.
Comme c'était sa première fois, il lui avait fallu du temps, mais elle était arrivée à la demeure de Niwa en temps et en heure.
Cette demeure était davantage un manoir qu'une maison. Elle était bien plus vaste que celle de Shizuko, environ dix fois plus grande.
Alors que Shizuko était submergée par la taille du manoir, une domestique qui lui servait de guide l'appela. Être appelée de manière courtoise lui avait donné des frissons dans le dos, mais Shizuko la suivit docilement.
Si elle avait fait plus attention à ce moment-là, elle aurait remarqué la présence d'un groupe inconnu.
Mais elle était si bouleversée par la taille du domaine qu'elle passait tout ses efforts à se calmer.
"Shizuko-sama est arrivée."
"Faites-la venir."
La servante avait parlé face à la porte coulissante et une réponse lui était parvenue de l'autre côté.
Cela semblait être la permission pour Shizuko d'entrer car la domestique avait ouvert la porte coulissante. Une fois la porte ouverte, elle s'inclina devant son maître de l'autre côté.
Après sa révérence, la domestique s'écarta pour que Shizuko puisse passer.
Shizuko entra timidement dans la pièce et vit Niwa assis à sa gauche.
"Désolé de vous avoir appelée si soudainement."
Et à droite se trouvaient Honda Tadakatsu et deux hommes qu'elle n'avait jamais vus auparavant. Sous les signes de Niwa, Shizuko s'assit à côté de lui.
"Je suis un vassal du seigneur Tokugawa Jūgoige Mikawa-no-Kami, mon nom est Honda Heihachirō.
"Je suis Sakakibara Koheita, moi aussi un vassal."
"Je suis Honda Sanyazaemon, un autre vassal."
Après avoir confirmé que Shizuko s'était assise, Tadakatsu se présenta, suivi des deux autres hommes.
Des vassaux de Tokugawa Jūgoige Mikawa-no-Kami… des serviteurs du clan Tokugawa… c'est le trio, Honda Tadakatsu, Sakakibara Yasumasa et Honda Masashige…
Honda Tadakatsu et Sakakibara Yasumasa faisaient partie des trois grands guerriers de Tokugawa. Honda Masashige était surnommé le plus valeureux guerriers des routes de Tokugawa.
Chacun d'entre eux allait devenir un célèbre commandant qui laisserait ses traces dans les livres d'histoire, mais pour l'instant, ils étaient à la tête d'un hatamoto et dirigeaient des unités de 50 yoriki.
Cependant, Shizuko n'avait aucune idée de la raison de leur visite au manoir de Niwa.
"Je vous avais grandement dérangée auparavant. C'est pourquoi je vous suis reconnaissant d'avoir accepté ma demande. Permettez-moi encore une fois de vous remercier et de m'excuser."
Parallèlement à ces mots, Tadakatsu baissa profondément la tête.
Shizuko ne savait ce qu'il était advenu de Tadakatsu après son départ et la sentence qui lui avait été attribué, mais d'après ces mots, elle comprit qu'il ne s'était rien passé de mal et soupira de soulagement.
"Les deux sont acceptés."
"J'ai également dérangé cette femme… puis-je avoir votre nom ?"
Bien qu'elle fut légèrement surprise par la question soudaine, Shizuko se redressa et lui répondit.
"O-Oui. Je m'appelle Shizuko."
Elle ne s'était pas désignée comme vassale du seigneur Oda Owari-no-Kami car elle savait que se désigner comme une vassale du clan Oda alors qu'elle était une femme pourrait apporter des problèmes.
"Shizuko-dono, c'est un joli nom."
Sur ces mots, Tadakatsu prit le furoshiki derrière lui et le posa devant Shizuko.
Niwa et Shizuko ignoraient pourquoi le sac était aussi large et étaient sur le point de s'enquérir de son contenu.
Mais avant qu'ils ne puissent le faire, Tadakatsu dénoua l'emballage et son contenu fut révélé.
"Oooh…"
Niwa s'exclama d'admiration en voyant le contenu : une fleur.
C'était une fleur majoritairement blanche, mais avec des touches de couleurs rose et crème par-ci par-là, lui donnant une beauté fantastique.
"C'est une fleur appelée le coton, elle a récemment été introduite dans notre province de Mikawa. C'est une fleur exigeante, mais j'ai réussi à en obtenir une en floraison."
Du coton… ? Je crois me souvenir que ça éclot vers juillet ou en août…
Le coton était généralement semé en mai ou en début juin et fleurissait en juillet ou en août, du moins, c'était ce que pensait Shizuko.
Par conséquent, elle trouvait étrange de voir une fleur de coton qui avait déjà fleuri et pensa que les graines avaient été semées trop tôt et avaient germé par pur hasard.
En l'an 7 de l'ère Eishō (1510), selon le [Eishō nenchū-ki], préservé dans le Daijō-in du Kōfuku-ji, du [coton de Mikawa] avait fait partie d'un impôt annuel de 180 mon.
On raconte qu'en 1530, les marchands de Mikawa avaient désespérément tenté d'établir une route commerciale vers Kyōto.
Mais même à Mikawa, seuls quelques marchands avaient réalisé la valeur du coton, faisant qu'ils n'avaient pas pu établir de marché à grande échelle.
Le commun peuple était satisfait de leurs vêtements en chanvre tandis que les nobles et les locaux portaient de la soie.
Une autre complication pour les marchands de Mikawa était que le Ming (Chine) exportait son coton au Japon.
En conséquence, personne n'avait prêté attention au coton local jusqu'à la fin de l'époque Sengoku.
Hum, si je m'y prends bien, je devrais pouvoir réussir mon coup. Est-ce que ce serait suspect si je leur disais que la fleur me plaît et que j'aimerais avoir des graines… ?
Bien que Shizuko savait que les graines de coton avaient actuellement peu de valeur, elle n'avait pas tenté d'en obtenir.
Précisément à cause de leur faible valeur.
Que se passerait-il si Nobunaga, qui n'était pas du genre à apprécier les fleurs, voulait soudainement mettre la main sur du coton, quelque chose que seuls quelques marchands de Mikawa prêtaient attention ?
Ce comportement serait clairement suspect.
Par conséquent, Shizuko avait cherché un moyen d'obtenir les graines de coton de la manière la plus naturelle possible.
"Je ne suis pas un connaisseur, mais je… vous―"
Tadakatsu parla à intermittences, Yasumasa et Masashige, à ses côtés, le regardèrent avec exaspération.
Cependant, Shizuko ne prêtait aucune attention à eux et continuait de réfléchir. Elle réfléchissait à des moyens de faire pousser du coton et de convaincre Nobunaga.
Quand je suis arrivée ici… je suis sûre que je portais un T-shirt en coton. Un échantillon vaut mille discours, alors peut-être que je pourrais m'en servir pour le convaincre ? Non, ça n'ira pas. Si je montrais une couture aussi avancée, j'aurais l'air suspecte. Du coup, j'ai besoin d'une autre façon de faire savoir aux gens la qualité du coton…
"… Je, euh… Shi, Shizuko-dono ?!"
Tirée du tourbillon de ses pensées par la voix légèrement forte de Tadakatsu, Shizuko le regarda avec une expression surprise.
Les joues légèrement rougies, il tendit le sac et dit :
"A-Accepteriez-vous… que nous fassions pousser cette fleur ensemble ?!"
Shizuko analysa les mots qu'elle avait entendus et répondit :
"Oui, j'en serais ravie."
Le cœur de Tadakatsu monta au septième ciel.
En revanche, Masashige sourit amèrement et Yasumasa se couvrit le visage avec sa main.
La raison à leurs réactions diamétralement opposées était simple.
"Il nous faudra la permission du seigneur pour que nous puissions faire une culture conjointe, mais cela ne devrait pas être difficile de le convaincre. Par contre, cultiver dans une seule province pourrait donner des complications. Niwa-sama, est-ce qu'il serait difficile d'obtenir un terrain près de la frontière ?"
Tadakatsu voulait demander Shizuko en mariage et faire pousser des fleurs avec elle dans un champ personnel.
Shizuko, de son côté, avait pris cela pour une offre de culture conjointe de coton entre Mikawa et Owari.
Et Yasumasa et Masashige avaient tout de suite compris la manière dont Shizuko avait compris la proposition.
C'est pourquoi ils avaient soupiré d'exaspération. Face à leur réaction, accompagnée des mots de Shizuko, Tadakatsu réalisa tardivement à son tour.
Il avait omis le vif du sujet et l'autre parti avait mésinterprêté ses mots.
"Ah, ha ha…"
Le visage de Tadakatsu perdit toute émotion.
Il passa immédiatement de la joie au désespoir.
"Euh, Honda Heihachirō-sama, serait-il possible de vous donner une réponse plus tard ?"
"Oui."
"Si nous pouvons mettre en place cette culture conjointe, cela serait bénéfique pour nous deux."
"Oui."
Tadakatsu, complètement déprimé, se contenta de dire oui sans réellement écouter Shizuko.
Ayant pitié de lui, Yasumasa le tapota sur le côté, prenant soin de ne pas être remarqué par Niwa et les autres.
"Je t'avais prévenu. Tu es trop évasif, ça provoque des malentendus. Tu dois être plus direct."
"M-Mais… c'est embarrassant…"
"La fleur de coton avait été une bonne idée pour attirer l'attention d'une femme. Je te félicite d'avoir pensé à ça parce que j'ai dit que les femmes aimaient les jolies choses. Mais tu t'es raté sur la fin. Tu lui as juste proposé de faire pousser des fleurs ensemble !"
"Urgh… non, attends. Quand on y réfléchit, ça aussi, c'est une étape. Ce coton va me donner plus d'occasions de rencontrer Shizuko-dono. Alors c'est bon !"
"… Si cela te suffit…"
Pendant ce temps, Niwa murmurait lui aussi dans l'oreille de Shizuko.
"Shizuko-dono, ces fleurs de coton ont-elles vraiment autant de valeur ?"
"Ce ne sont pas les fleurs qui ont de la valeur, c'est le fruit."
"Je vois… pouvez-vous m'expliquer leur valeur, si cela ne vous dérange pas ?"
"La fibre que l'on peut extraire du coton est légère, résiste bien à l'humidité et on respire facilement dedans. Ça ne coûte pas cher et on peut facilement le produire en masse, alors le coton est très apprécié par le peuple (Historiquement parlant, ça arrivera plus tard… mais c'est juste un détail). Du côté du Nanban, la culture du coton est si lucrative que l'empire britannique contrôle un pays appelé l'Inde qui le produit en masse."
"S'il est si profitable, pourquoi est-ce que Mikawa ne le cultive pas déjà ?"
"Il est déjà exporté par le Ming, alors les marchands de Sakai et des autres provinces ne prêtent pas attention au coton local. De plus, je pense que seules quelques personnes à Mikawa ont réalisé la valeur du coton. Peu importe le nombre de vendeurs et de marchandises, une entreprise ne fonctionne pas s'il n'y a pas d'acheteurs."
"Je vois… mais si cela ne vaut rien, ne pouvons-nous pas obtenir ces graines facilement ? Pourquoi utiliser une excuse telle que la culture conjointe ?"
"Vous ne trouveriez pas ça étrange si notre seigneur rationaliste décidait soudainement de vouloir quelque chose qui n'a aucune valeur ?"
"… Alors vous dites que ce serait plus naturel si vous utilisiez cette opportunité comme excuse et vous serviez de la culture conjointe pour introduire les graines en Owari."
Shizuko hocha légèrement la tête.
Il était préférable de l'introduire à Owari de manière naturelle avant de démarrer une production à grande échelle.
La précipitation est mauvaise conseillère. S'ils introduisaient trop hâtivement le coton et s'attiraient la suspicion des autres, cela résulterait en une perte.
"Honda Heihachirō-dono, je dois transmettre votre proposition à notre seigneur. Par conséquent, je dois vous demander d'attendre notre réponse à une date ultérieure."
"Je comprends. Je m'excuse d'avoir proposé cela si soudainement."
Tadakatsu baissa la tête en disant cela, et Niwa baissa la tête à son tour.