Un silence gênant plana entre elles. Le visage d'Aya n'avait pas changé, mais elle semblait légèrement maussade.
Shizuko, ne pouvant supporter le silence, fut la première à parler.
"T-Tu étais là depuis quand ?"
"Depuis le moment où vous aviez parlé d'un [problème]."
"C'est quasiment depuis le début ! Pourquoi tu ne m'as pas appelée ?!"
"Vous sembliez plongée dans vos pensées, j'ai pensé qu'il serait malvenu de vous interrompre et attendu que vous ayez terminé."
"J'ai pas besoin de ce genre de considération ! La prochaine fois, appelle-moi tout de suite !"
Shizuko cria en se tenant la tête, Aya, le visage toujours calme, fit la révérence.
"Chamaru-sama est venu. Si vous avez le temps de parler de tout incendier, je vous demanderais de le recevoir."
Dans une démonstration brutale de courtoisie sarcastique, Aya dit ouvertement à Shizuko de faire son travail sans crier des absurdités avant de se retourner et de s'éloigner.
"… Ça va, j'ai compris."
Peu importe ce que Shizuko pouvait dire, Aya réfuterait calmement tous ses arguments et lui causerait plus de dégâts.
Consciente de cela, Shizuko suivit Aya en baissant la tête.
"Hé, Shizuko. *Tousse*… J'étais fatigué d'attendre."
De retour chez elle, Shizuko vit Kimyōmaru en train de se prélasser dans sa maison.
Le thé et les collations qu'il consommait avaient probablement été apportés par Aya.
"Désolée, j'inspectais les champs… ça va ? Tu es tout pâle."
Allongé sur le sol, Kimyōmaru semblait légèrement fiévreux aux yeux de Shizuko.
Kimyōmaru lui répondit avant qu'elle ne lui demande s'il avait attrapé un rhume.
"Hum. C'est une petite toux. *Tousse*… ce sera vite guéri."
"Vraiment ? Ne te surmène pas. Reste au chaud et dors jusqu'à ce que ça passe."
"Je sais."
Légèrement inquiète pour lui, Shizuko tint compagnie à Kimyōmaru.
Au final, sa visite se passa comme d'habitude et il rentra chez lui.
Mais contrairement à d'habitude, ses visites presque quotidiennes avaient soudainement cessé.
***
Une semaine s'était écoulée depuis la dernière visite de Kimyōmaru.
Shizuko s'était inquiétée durant les premiers jours, mais ses tâches quotidiennes l'avaient occupée au point de ne plus y prêter attention.
Mais une semaine après la dernière visite de Kimyōmaru, une certaine personne visita la maison de Shizuko.
"Est-ce que Shizuko-dono est ici ?"
C'était un homme bien habillé qui était dans la cinquantaine. Mais Shizuko ne le connaissait pas.
Pour commencer, les personnes qui communiquaient avec elle étaient généralement Mori Yoshinari ou Niwa Nagahide, ou plutôt leurs messagers.
Elle n'avait jamais rencontré ce vieil homme qui avait l'allure d'un éducateur.
Alors qu'elle se demandait qui il était, le vieil homme baissa légèrement la tête et se présenta.
"Je suis un serviteur du clan Oda et le responsable de l'éducation de Kimyōmaru-sama."
"E-Enchantée… (Kimyōmaru, c'est le nom d'enfance d'Oda Nobutada, je crois…). Qu'est-ce qui amène une personne de cette position chez moi ?"
Shizuko ne savait pas que la véritable identité de Chamaru était Kimyōmaru.
De ce fait, elle ignorait pourquoi l'éducateur de Kimyōmaru lui rendait visite.
"La toux qui afflige Kimyōmaru-sama s'est aggravée et il est maintenant alité. Il a commencé à craindre le pire et a demandé à passer ses derniers instants à vous voir."
"J-Je vois…"
"Je sais que c'est soudain, mais pouvez-vous venir avec moi immédiatement ?"
Naturellement, Shizuko n'aurait jamais refusé, mais l'éducateur l'avait suppliée en baissant la tête.
Kimyōmaru devait être très important pour lui, et cela était suffisant pour Shizuko.
"Relevez la tête. Je n'avais pas l'intention de refuser. On dirait que le temps presse, alors allons-y tout de suite."
"Merci. Partons."
Après cela, Shizuko laissa Aya s'occuper de la maison et se prépara rapidement avant de partir.
L'éducateur était arrivé chez Shizuko à cheval, mais il fit le chemin du retour à pied pour se mettre au rythme de Shizuko et lui expliqua la situation.
Lorsqu'ils arrivèrent au manoir de Kimyōmaru, un garde prit le cheval et l'éducateur se rendit directement à la chambre de Kimyōmaru.
Alors qu'elle le suivait, Shizuko ne put s'empêcher d'avoir une sensation étrange.
Je sais pas pourquoi… mais on dirait que j'ai déjà vu cet endroit…
Elle était complètement envahie par un sentiment de déjà-vu.
Et elle découvrit rapidement la raison de cette sensation.
"Kimyōmaru-sama, j'ai amené Shizuko-sama."
"*Tousse*… faites-la entrer."
Sur ces mots, la porte coulissante s'ouvrit lentement.
"Merci d'être venue, Shizuko."
La personne qui l'avait appelée de l'autre côté de la porte, bien que légèrement hagarde, n'était autre que Chamaru.
Voyant que Shizuko était confuse, Kimyōmaru se força à sourire et lui expliqua.
"Désolé de t'avoir menti. Mon vrai nom est Kimyōmaru…"
Bien que toujours incapable de saisir la situation, Shizuko fut poussée à entrer dans la chambre par l'éducateur.
Alors qu'elle s'asseyait à côté de son lit, Kimyōmaru se força à se redresser.
Mais la maladie lui avait fait perdre ses forces et il ne put que faire tortiller son corps.
"Chamaru-kun est… Kimyōmaru-sama ? Le fils aîné du seigneur… ?"
"Tu as bien compris… *Tousse* ! Désolé de m'être présenté avec un faux nom."
"Ça va, c'est rien, ça."
Il était courant pour les personnes puissantes et leurs héritiers d'utiliser délibérément des faux noms à l'allure peu importante pour se protéger des assassinats.
Durant l'époque Sengoku, les personnalités célèbres et leurs enfants avaient des noms d'enfance étranges car ils pensaient que donner un nom important raccourcissait l'espérance de vie.
Cela servait également à éviter de former un attachement qui obscurcirait leur jugement lorsqu'ils avaient besoin d'envoyer leur enfant en otage afin de former une alliance avec une autre région.
"Comme tu peux le voir, mon corps est ravagé par la maladie. Je suis resté au chaud comme tu m'a dis, mais il n'y a aucun signe d'amélioration."
"…"
"C'est vraiment frustrant… je n'aurais jamais crû que je serais impuissant face à quelque chose comme une maladie."
Kimyōmaru marmonna avec un rire sec.
Il ne restait plus rien de sa confiance habituelle. Son visage montrait qu'il était désespéré et avait tout abandonné.
Shizuko ne dit rien. Toutes les informations continuaient de tourbillonner dans sa tête, la faisant manquer de répondre Kimyōmaru.
"Mon rêve de suivre les traces de mon père et de devenir un grand seigneur—"
"Hé !"
Shizuko, ayant rattrapé son retard, donna un coup à la tête de Kimyōmaru qui marmonnait dans sa barbe.
Un son satisfaisant se fit entendre. Le vieil éducateur eut le souffle coupé en voyant cela.
Kimyōmaru, se tenant la tête de douleur, essaya de dire quelque chose, mais Shizuko l'en empêcha.
"Tu parles comme si c'était la fin du monde. Depuis quand tu abandonnes aussi vite, Chamaru-kun ?"
"M-Mais… *tousse*… Ma tête tourne, ma gorge me brûle et la toux ne s'arrête pas. Ça fait déjà un demi-mois que ça dure."
Certes, même Shizuko serait déprimée si elle souffrait d'une maladie pendant deux semaines, mais il y avait une différence cruciale entre Kimyōmaru et Shizuko.
La différence était entre [connaître] et [ne pas connaître] une méthode de traitement efficace.
Et Shizuko en connaissait une. Et en plus de la méthode qu'elle avait en tête, elle avait également un processus qu'elle avait apporté du monde moderne et qu'elle n'aurait jamais crû s'en servir un jour.
J'aurais crû que je me servirai un jour de ce truc qu'ils nous ont forcés à acheter comme matériel pédagogique supplémentaire pour les cours de santé et d'EPS.
Dans le monde moderne, il était plus rapide et plus sûr d'aller à l'hôpital que de se reposer sur cette méthode.
Jusqu'à présent, Shizuko n'avait jamais accordé d'importance à cette méthode et voyait son apprentissage comme un fardeau.
Mais en voyant le comportement de Kimyōmaru, Shizuko réalisa à quel point les domaines de recherche avaient progressé en 400 ans.
"Écoute-moi, Chamaru-kun. La santé, ça commence par l'esprit. Oui, ça fait mal, mais c'est pas le moment d'être faible. Au contraire, tu dois te jeter sur la maladie en disant « Amène-toi, enfoiré ! »."
"Ne, ne demande pas l'impossible. Même l'eau médicinale préparée par l'apothicaire… *Tousse*, n'a eu aucun effet. Qu'est-ce que je pourrais faire de plus ?"
"Oublie ces trucs bizarres. J'ai une arme secrète avec moi. Je dois juste aller la chercher, alors tiens-toi tranquille jusqu'à mon retour."
Shizuko dit cela en passant son index sur le front de Kimyōmaru.
Le vieil éducateur derrière elle semblait sur le point de s'évanouir, la bouche remplie d'écume, mais Shizuko ne prêta pas attention à lui.
"Ma, ma maladie sera vraiment… guérie ?"
Kimyōmaru posa cette question avec une légère attente, comme s'il s'était remis à s'accrocher à l'espoir, et Shizuko lui répondit avec un air joyeux.
"Laisse faire Shizuko-oneesan !"
***
Shizuko emprunta un cheval pour rentrer rapidement, et dès qu'elle entra dans sa maison, elle lança des ordres à Aya sans lui expliquer les circonstances.
Bien que Shizuko voyageait généralement à pied, elle savait monter à cheval ; mais elle n'avait pas appris cela par hobby, elle avait été formée par Niwa.
Niwa lui avait appris l'équitation en prévision du pire, et Shizuko avait accepté d'apprendre sans connaître ses intentions.
"J'ai apporté du daïkon, du miel, de la ciboule et du gingembre l'autre jour, pas vrai ? Apporte-moi tout ça avec du charbon. Et emballe-les dans le sac."
Elle jeta le sac en cuir qu'elle portait habituellement sur Aya et se rendit dans sa chambre sans attendre de réponse.
Lorsqu'elle entra à l'intérieur, Adelheit, Ritter et Lutz étaient recroquevillés ensemble.
Ils avaient été surpris d'entendre la porte coulissante s'ouvrir rapidement et tourné la tête avec perplexité.
Lorsqu'ils réalisèrent que c'était Shizuko, ils s'approchèrent d'elle en remuant la queue. Elle les caressa un par un et alla chercher quelque chose au coin de sa chambre.
… Voyons voir…
C'était la boîte en bois hermétiquement fermée qu'Aya avait voulu ouvrir. À l'intérieur se trouvaient les choses que Shizuko avait sur elle lorsqu'elle avait voyagé dans le temps.
En plus des objets du monde moderne, il contenait également des choses qu'elle cachait à Nobunaga.
Après avoir défait le sceau, Shizuko ouvrit lentement la boîte.
À l'intérieur, la première chose qui attirait l'attention était un livre intitulé [Catalogue des Armes des Temps Anciens aux Temps Modernes]. Malgré son nom, il était aussi épais qu'une encyclopédie et pouvait facilement battre quelqu'un à mort s'il était utilisé comme une arme.
Cependant, il y avait un autre livre qui était tout aussi épais. C'était un livre entièrement rouge qui contenait des petites méthodes médicinales inaptes à être enseignées à l'école.
Il couvrait un grand nombre de maladies et de blessures, décrivait les symptômes et des méthodes de traitement qui ne nécessitaient pas de connaissances spécialisées.
En outre, il abordait des sujets d'intérêt général tels que l'autodiagnostic des maladies et des blessures et avait même des outils médicaux simples comme un thermomètre ; il était difficile de savoir quel était le public cible de ce livre.
Les élèves du lycée de Shizuko pensaient qu'ils avaient été forcés de l'acheter en raison de l'influence de quelqu'un qui avait investi dans le livre.
Comme il était aussi lourd qu'épais et qu'il était plus simple d'aller à l'hôpital, les élèves n'avaient pas beaucoup d'estime pour ce livre.
Il y avait également une autre raison. À l'époque de Shizuko, les e-books étaient très répandus, les livres papier étaient devenus très rares.
Seuls les matériels scolaires et certains livres continuaient d'être en format papier afin de préserver les technologies d'imprimerie et de reliure.
Tout le reste, qu'il s'agisse de journaux, de dépliants publicitaires, de mangas, de romans, de magazines, d'ouvrages pratiques, littéraires ou photographiques publiés par des entreprises privées, était publié uniquement sous forme numérique.
Shizuko s'y était habituée et avait de nombreux e-books dans son smartphone.
Mais entre Shizuko qui ajoutait des choses juste parce qu'ils avaient attiré son attention et sa sœur Kyōko qui achetait des e-books avec son compte, qui sait ce qu'il avait dans son smartphone.
Ah… je peux plus rien acheter maintenant, j'imagine que je vais pouvoir commencer à faire une liste.
Alors qu'elle avait pris le livre rouge et fut sur le point de fermer la boîte, son smartphone attira son attention et elle eut cette pensée.
Elle le prit inconsciemment et se mit à tapoter l'écran et à regarder les données à l'intérieur sans but particulier.
Il semble que deux ans ne suffisent pas à guérir une fille des temps modernes comme Shizuko de son habitude d'inspecter son téléphone.
Cette manie avait fait qu'elle pouvait tranquillement lire les articles qu'elle avait sauvegardés. À l'origine, elle voulait simplement trifouiller son smartphone avant de le ranger.
Mais son doigt s'arrêta soudainement lorsqu'elle vit un certain article.
"…"
C'était un article sur quelque chose qui était banal dans le monde moderne.
C'était [quelque chose] qui entrait toujours en jeu lors de la reconstruction d'une ville, mais malgré sa banalité, c'était un matériau miraculeux qui était fabriqué en combinant diverses choses.
De plus, l'article indiquait comment le fabriquer de manière peu coûteuse et écologique.
Mais ce qui avait vraiment attiré l'attention de Shizuko, c'étaient les matériaux nécessaires à [sa] fabrication.
Shizuko ne put s'empêcher de sourire en voyant la liste de matériaux.
"Je m'attendais pas à avoir stocké un si bon article. Hé hé hé, je ne peux absolument pas ne pas m'en servir."
Après avoir relu l'article, Shizuko éteignit son smartphone et le rangea dans la boîte.
Puis elle remit le couvercle sur la boîte et la verrouilla fermement.
Elle avait d'abord eu l'intention de retourner immédiatement chez Kimyōmaru, mais il y a quelque chose qu'elle devait faire avant.
Comme elle manquait de temps, elle écrivit rapidement la liste sur une feuille avec du charbon, la plia en quatre et sortit de sa chambre.
Lorsqu'elle arriva à l'entrée, Aya était en train de l'attendre, ayant terminé les préparatifs.
Shizuko prit le paquet qu'elle avait demandé et tendit la liste à Aya.
"Prépare ces matériaux pour moi. Rassemble-en le plus possible."
"Compris. Soyez prudente sur la route."
"T'en fais pas, je vais juste aller guérir un rhume. Je serais rentrée demain matin."
Shizuko quitta la maison sous un air joyeux afin de ne pas inquiéter Aya.
Aya, en revanche, soupira face à l'insouciance de Shizuko. Malgré cela, son visage souriait.
Aya, sous l'impression de veiller sur un fauteur de trouble, fit ses au revoirs à Shizuko et ouvrit la feuille qu'elle avait reçue.
"… Elle veut fabriquer du plâtre ?"
Aya marmonna inconsciemment ces mots lorsqu'elle vit le contenu de la liste.