Le lendemain de leur terrible affrontement contre Endalia, la géomancienne adepte de la nécromancie, avec la faim galopante causée par ce dernier, une auberge modeste s'offrit aux trois aventuriers. Rajik dévora une foison de plats à base de viandes mijotées et très peu de légumes, pas assez nourriciers pour lui. Yoru se contenta d'un bouillon, d'une demi-miche de pain au seigle et d'une infusion de plantes issues de sa collection. Rai fit un mélange équilibré entre les deux. Le seul absolument pas ravi de ce succulent repas n'est d'autre que la besace amaigrie de l'Enijiakku. Il ne reste plus rien sur les assiettes.
« Moi plus faim ! Ça être trop bon ! » s'exclame Rajik, en se basculant en arrière sur sa chaise, la main gauche sur le ventre.
« Pourrais-tu prolonger le plaisir en mangeant plus lentement et arrêter de faire le goinfre ? »
« Pourquoi ? Moi avoir horreur d'un repas froid. »
« Et toi Rai, qu'est-ce que tu en dis ? »
« J'ai trouvé ça délicieux. » affirme ce dernier, grand sourire.
Leurs assiettes vidées de tout contenu, le serveur, conscient que ces trois-là incarnent une véritable poule aux œufs d'or, désireux d'accroître la fortune de son établissement, s'approche d'eux.
« Ces messieurs ont-ils bien mangé ? » engage-t-il.
« Un régal. Les carottes et navets étaient fondants à souhait. J'apprécie plus particulièrement le léger goût sucré. » complimente Yoru.
« Viande être bonne ! »
La vive voix de Rajik en dérange plus d'un parmi les clients présents.
« Désirez-vous autre chose ? »
« Oui ! Encore ! »
Afin de couper court à l'appétit vorace de son ami, Yoru lui donne un léger coup de pied sous la table.
« L'addition, s'il vous plaît. » réclame-t-il poliment.
« Le total s'élève à cinquante-deux fairos. »
L'aquamancien, satisfait du montant annoncé, loin de ses prédictions malgré le gouffre que représente l'estomac de l'adepte au corps-à-corps, fouille dans sa besace, commence à sortir la monnaie tout en la comptant avec attention. Une fois la somme atteinte scrupuleusement, il lui donne son dû.
« L'auberge du patrouilleur heureux vous remercie de votre visite. Nous espérons votre revoir bientôt. »
Sur ce beau salut, le serveur se retire en marchant à reculons, le dos légèrement courbé.
Excédé par l'inconscience et le comportement désinvolte de son compagnon de longue date, l'Enijiakku bascule un peu en arrière, tête dirigée vers le plafond et yeux fermés. La gêne occasionnée une fois hors de ses pensées, il reprend ses esprits et se remet droit.
« Sur ce, je pense sincèrement qu'il est temps de repartir. Il ne faut pas qu'une mauvaise réputation vienne s'ancrer ici. »
« Bonne idée ! Moi vouloir encore plus d'action ! »
Poussés par cette initiative, les amis se lèvent et sortent. Tout en partant, Yoru se tourne vers les clients et leur fait comprendre par un geste qu'il est sincèrement désolé.
« Où nous aller alors ? »
« Nous sommes tout proches de Kigen, la capitale Shirenai. » indique sobrement l'aquamancien.
« Il y a un endroit uniquement peuplé de personnes comme moi ? Emmène-moi ! » s'excite Rai.
« Oh ! Du calme ! Je peux te confirmer que Kigen est connu pour être l'endroit où sont rassemblés les principales forces Shirenais. Certains d'entre eux, les patrouilleurs, circulent dans tout Faironne pour s'assurer de la bonne tenue des populations. Là-bas réside le Conseil, un duo de dirigeants qui répartit les différents Shirenais sur tout le territoire central. Je le sais grâce à mon maître qui m'a beaucoup parlé d'eux. »
« Peut-être qu'on me connaît alors ! » répond-il.
« Ce n'est pas faux mais... Je suis un Enijiakku. Et donc, je n'ai pas le droit d'y entrer. »
Ce détail, loin d'être anodin dans le monde dans lequel tous évoluent, interpelle grandement le nouvellement nommé. Quelle serait la raison pour laquelle des êtres exceptionnels comme lui sont rejetés ? Décidément, il ne peut accepter intérieurement une telle règle.
« C'est comme ça depuis deux cents ans. Même mon maître n'y était pas autorisé. » poursuit Yoru.
« Dommage... Mais Rajik peut venir lui ! »
Cette affirmation dresse les oreilles de l'évoqué. Malgré la justesse de cette dernière, l'aquamancien hésite.
« Ce serait une bonne occasion pour moi d'en savoir plus ! Oh je t'en prie. »
Les deux seuls capables de se battre au corps-à-corps fixent Yoru avec des yeux remplis de fausse pitié. Pourtant imperméable face au chantage sentimental, leur approche parvient à briser le mur de raison qu'il incarne.
« Bon, c'est d'accord. Mais soyez prudents. Ne vous faîtes pas remarquer, considérez ça comme juste de la cueillette d'informations. Rai, tu as une capuche, mets-la, au cas où. Si Rajik enclenche un problème, je ne veux pas qu'on nous pourchasse parce qu'ils vous auront reconnus. Compris ? »
Ils acquiescent d'un simple mouvement de tête.
« Rai, donne-moi ton katana. Nous ignorons encore pourquoi nous t'avons trouvé dans cet état ce jour-là. Imaginons que, dans le pire des cas, tu sois complice de quelque chose de grave. Tu étais peut-être sur la piste d'un criminel, vous vous êtes affrontés et, je ne sais comment il aurait pu faire, il est sans doute la cause de ton amnésie. Si tu es reconnu, à cause de ça, ils seront confus. Ils enquêteront. S'ils savent que je t'ai accompagné, vu comment moi et les miens sommes affichés là-bas, je pourrais finir en prison ou pire. Je vais vous accompagner jusqu'à l'entrée. »
Convaincu par ses explications, il lui donne son arme et met sa capuche. Une fois cette préparation terminée et les conseils une ultime fois répétés, ils partent. Quelques instants plus tard, après s'être retranchés derrière des arbres, ils aperçoivent la capitale Shirenai. L'entrée est entourée de deux grands arcs concaves en marbre blanc de dix mètres de haut. La muraille délimitant la cité est uniquement définie par un mur s'élevant jusqu'à cinq mètres. Rai en est ébahi. Un garde est posté devant.
« Voici Kigen. » déclare l'aquamancien.
Rajik ne semble pas impressionné par l'architecture si particulière se dressant fièrement devant eux.
« Je doute que cet homme vous laisse passer sans une bonne raison valable. Que pouvons-nous inventer ? »
« Nous dire qu'une invocatrice avoir attaqué nous ! »
« Et que nous aimerions nous entretenir avec quelqu'un. » complète Rai.
« Pas bête. Dîtes ça. Je vous attendrais ici. Encore une fois, pas de castagne, juste du renseignement. Rai, cache bien ton visage. »
En signe de ralliement, Rajik leur tend un poing. Les deux affiliés aux éléments posent les leurs contre le sien. L'Enijiakku est laissé seul.
« Bonjour, monsieur. Pouvons-nous entrer ? » engage le manieur de foudre.
« Négatif. Pour toute demande, veuillez décliner vos noms. »
« Nous venons d'être attaqués par une Enijiakku ! »
« Vraiment ? Où est-il ? »
« Malheureusement, nous n'avons pas rien pu faire. Nous avons donné tout notre argent. Par contre, s'il y a moyen pour nous d'entrer, nous pouvons vous en faire une description. »
L'improvisation en urgence de son ami impressionne l'homme baraqué.
« Attendez ici. Je vais voir ça avec mon supérieur. Veuillez excuser ma méfiance mais c'est que, en ce moment, nous sommes tous en alerte, à la traque d'un déserteur enrôlé par un Enijiakku. Nous avons des consignes à respecter, vous comprenez. Un instant je vous prie. »
Afin de savoir s'il est autorisé à laisser passer de parfaits inconnus avec une piste tangible pour les individus qu'ils recherchent, le garde entre seul dans Kigen.
« Toi être malin. » complimente Rajik.
« J'espère que celui qui a quitté ce haut lieu de Faironne n'est pas moi et que celui qui l'a soit-disant retourné contre eux n'est pas Yoru. »
« Pas possible. Lui et moi voyager ensemble. Lui avoir fait rien de mal. Du moins, depuis rencontre »
Le garde revient.
« Vous pouvez entrer. Un mercenaire va s'entretenir avec vous. Veuillez ne pas déranger toutes les personnes que vous verrez. Restez sur la place principale. Par mesure de sécurité, aucune démarche directe vis à vis du Conseil n'est autorisée. »
Sur ces règles très strictes, ils entrent dans le village. Des Shirenais discutent et marchent. Les maisons ont des fondations plutôt anciennes, présentent une façade à la normande. Le long de la voirie, se trouvent des colonnes, quelques unes sont cassées. Ils arrivent sur la place principale. Le peuple local est entièrement consacré aux tâches ménagères, agricoles ou autres, peu intéressé par le duo. Rai observe le décor, émerveillé par ce qu'il voit jusqu'à poser les yeux sur une grande statue d'un Shirenai avec son épée lourde plantée devant lui, d'environ 8 mètres de haut.
« Waoh... Rajik, viens voir ! Regarde cette beauté ! Ça doit représenter quelqu'un de vraiment important ! »
Contrairement au manieur de foudre, son ami n'éprouve aucun intérêt envers elle, déjà bien irrité d'attendre. Le sabreur continue à admirer la statue sur tous ses traits. Sur le piédestal, il peut y apercevoir des symboles. Incapable de les reconnaître dans son état, sa première réflexion est de se demander ce qu'ils peuvent bien signifier. Soudain, il voit à côté d'elle un autre promontoire sur lequel on peut voir les pieds d'une autre statue qui trônait sans doute là avant. Son état plus que déplorable touche profondément l'amnésique. Un combat de puissants guerriers l'aurait mis dans cet état ? Point le temps d'y trouver une réponse qu'un
autre épéiste, vêtu d'un habit bleu ciel, fortement inspiré d'un hakama, arrive à leur hauteur.
« C'est vous qui avez été attaqués par un Enijiakku ? »
« Oui, c'est bien nous. »
« Veuillez me suivre s'il vous plaît. »
Il les escorte jusqu'à arriver dans une petite bâtisse. Un mercenaire, debout derrière une table, vêtu quant à lui d'un hakama à motifs de vagues, bleu marine et blanc, fièrement souligné par une longue cape, les attendait. La forme de son fourreau, plus courbé que celui de Rai, évoque un sabre oriental.
« Installez-vous. » les invite-t-il.
Rai et Rajik s'assoient avant lui.
« Avant de me raconter votre histoire, je me présente. Mercenaire Shipé. »
Rajik, à l'entente de son nom, se retient de rire. Son compagnon lui met un coup de coude discret pour lui dire de se calmer.
« Normalement, j'aurais dû appliquer ce foutu protocole mais le temps presse particulièrement ces derniers temps. Donc, pardon d'avance pour le manquement de politesse. Alors comme ça, vous avez été attaqués par un Enijiakku... Bien... Sachez que vous êtes des privilégiés ici, normalement nous ne faisons jamais entrés des non-Shirenais. »
« Mais mon ami être un[...] »
« Inquiet ! Je suis inquiet. Nous avons été surpris. J'ai cru que nous allions y passer. Heureusement, seul notre argent l'intéressait. »
« Classique pour ce type d'individus... Tous aussi vicieux les uns les autres ! Croyez-moi ! Ne vous approchez pas d'eux ! »
En entendant ceci, Rai tire une drôle de tête, à mi-chemin entre la stupéfaction et l'interrogation. Comprenant qu'il insulte son ami, Rajik commence à lancer un regard méchant envers le gradé. L'amnésique le calme en tapant sa jambe avec son pied.
« Depuis ce qu'il s'est passé peu avant la mort du grand Densetsu, les problèmes se multiplient. Ces Enijiakkus de malheur ne sont habités que par une envie de vengeance et rien d'autre. Ils représentent de vrais dangers pour notre monde ! Si je pouvais gouverner, je mettrais un terme à tout ça une bonne fois pour toutes !... Ces gens... N'auraient jamais dû avoir accès aux éléments... » poursuit Shipé, d'un air un peu dépité.
Ce discours, assez évocateur sur les ambitions réelles du gradé, interpelle particulièrement Rai, craignant un peu pour Yoru. Lorsqu'il évoquait l'importance d'éviter les problèmes, tout lui donnait raison. Cependant, son envie débordante d'enfin savoir qui il est vraiment le pousse à enfreindre les règles dictées par son ami aquamancien.
« J'ai cru comprendre que, selon votre garde, un Enijiakku était recherché. Cependant, nous avons été attaqués par une femme. » engage-t-il.
« Une femme ?! Elles s'y mettent aussi ?! Décidément, le monde tourne mal... Ce n'est pas la même personne que nous recherchons. »
« Vraiment ? Oh... J'espère que vous trouverez qui vous cherchez... Excusez mon indiscrétion mais... Pourquoi vous êtes à sa recherche ? »
« Affaire confidentielle. Pour votre Enijiakku féminin, je vais m'en charger personnellement. Il ne faut pas qu'ils gagnent en puissance. Ces gens sont mauvais, perfides, fourbes, nocifs. Ce sont des parasites. Ils seront prêts à n'importe quoi pour nous renverser et faire régner le chaos. Nous devons les éliminer. »
A ses mots, Rajik commence à serrer les poings. Le remarquant, son compagnon de voyage Shirenai met un second coup de coude discrètement.
« Décrivez-la. »
« Une peau foncée... De moyenne taille... »
« Et forte ! » crie Rajik.
« Vous voulez dire... Grosse ? »
« Non non ! Du tout !... Cheveux noirs aussi... » reprend Rai.
« Et son Obujepawa ? »
« Euh... Je ne me souviens plus... »
« Moi souvenir ! Elle appeler types bizarres ! »
Le mercenaire, à cause du langage de Rajik, se retient de rire, ce qui énerve l'homme baraqué qui serre encore plus les poings.
« Excusez le langage approximatif de mon ami. Ce qu'il veut dire par là, c'est que les complices ne semblaient pas agir d'eux-mêmes... Comme s'ils étaient possédés. »
« Des invocations ? Attendez un instant. »
Shipé sort un parchemin sur lequel est inscrite une liste.
« Une de ses monstruosités recherchés ayant cette propriété se nomme « La Griffe Fossoyeuse ». Il a été aperçu pour la dernière fois dans le Continent du Nord... Bien. Je vais faire parvenir les détails que vous venez de me donner. Nous la retrouverons. Le Conseil décidera de sa sentence. Le jour venu, assurez-vous d'être présents pour confirmer que c'est bien elle. Je ne tiens pas à être responsable d'un énième bourde. Vos noms s'il vous plaît. »
« Rai. »
« Moi Rajik ! Avec un K ! »
Ce prénom, à la consonance barbare et ridicule, laisse échapper un léger rictus sur le visage du mercenaire. Aussitôt, un échange de regards s'installe entre eux. La profonde envie d'en découdre avec lui brûle dans les entrailles de Rajik. Quand à Shipé, il n'attend qu'une chose : que ce minable bondisse sur lui pour qu'il le corrige immédiatement, extrêmement confiant sur ces capacités.
« Mais... Dîtes-moi. Que fait cet objet ? »
« Pourquoi vous voulez le savoir ? »
« Nous réalisons un... Un répertoire global de Faironne ! »
Le nouvelle improvisation du manieur de foudre met fin à la tension palpable entre les deux hommes au sentiment belliqueux.
« Après ce que nous venons de vivre, il est normal pour nous de comprendre un certain nombre de choses. On note tout. Alors, si nous pouvons, après avoir compris tout ça, vous aider à trouver ces Enijiakkus... Violents comme vous dîtes... Nous serons comme soulagés. Vous voyez ? »
Face à ces propos plus que pertinents, Rajik ne sait que dire, totalement stupéfait du sens si naturel de la diplomatie de l'amnésique, comme si, à travers ses mots, il entendait Yoru parler. A partir de ce moment, pour tout le reste de l'échange, il se promet de suivre les indications à la lettre.
« Vous êtes curieux vous... Je veux bien vous divulguer des informations pour vous aider à compléter votre répertoire. Vous avez l'air d'être des gens dignes de confiance et vous comprenez notre démarche. J'aime ça. La Griffe Fossoyeuse fait partie des objets interdits. Elle porte ce nom à cause de l'origine des invocations. »
Reviennent alors dans la tête des deux infiltrés les paroles prononcées par Endalia.
« La personne possédant cet objet peut convertir les énergies présentes, s'il y en a une, dans les corps de ses victimes pour créer des entités en tout point ressemblant à un être humain, modeler leurs apparences à volonté. Elle peut les contrôler mais doit céder une partie de son énergie pour leur donner vie. Cet objet défie les lois de la vie et de la mort, voilà pourquoi il est interdit d'utilisation. Comme toutes ces saloperies qu'ils fabriquent à foison. »
Est-ce que le grimoire si précieux de Yoru en serait un lui aussi ? Vu la quantité d'informations confinées à l'intérieur, il pourrait constituer un danger potentiel envers la hiérarchie de Kigen, voir même envers le peuple natif de l'aquamancien. Tout dépend du point de vue. Shipé se lève.
« Gardez ces informations confidentielles. Si vous croisez encore cette personne, le mieux est de la signaler à la patrouille Shirenai la plus proche. N'intervenez pas. Ne vous faîtes pas attraper. Nous procéderons alors à son arrestation sur le champ. Sur ce, je vous remercie de votre coopération, vous pouvez disposer. »
Rai et Rajik quittent la table. Ne pouvant s'en empêcher, vu dans quelle condition il se trouve, le manieur de foudre s'incline, comme le ferait n'importe quelle membre du corps armé auquel il est sensé appartenir.
« Merci beaucoup, Mercenaire Shipé. » ajoute-t-il.
En réentendant son nom, Rajik se retient à nouveau de rire. Son ami l'empoigne par le bras et l'emporte avec lui hors de la pièce, sous le regard transpirant un peu la mesquinerie sur les bords.
« Cette idée de répertoire... Toi avoir trouvé ça où ? »
« Je me suis inspiré de ce que ferait Yoru. Je voulais en savoir plus, surtout sur cette invocatrice qui semblait avoir le bras long sur moi. Comme ça, si on la croise, on sera mieux renseigné et Yoru pourra peut-être trouvé un moyen de la contrer le jour où ça arrivera. »
« Toi être futé. »
Ils quittent le quartier général du peuple Shirenai. Évidemment, Rai porte un dernier regard, mêlé de déception et de bonheur. Cette impression d'être réellement chez lui. Il aurait tellement voulu rester plus longtemps. Quelques instants plus tard, ils retrouvent l'homme au grimoire.
« Alors ? Vous avez pu aller au Conseil ? » leur demande-t-il.
« Non, nous avons eu un mercenaire à la place. » répond Rai.
« Avec un drôle de nom ! »
Cette fois-ci, il peut se permettre de s'esclaffer de rire, déclenchant l'incompréhension totale chez l'Enijiakku. Gênés, les deux seuls à savoir être sérieux s'écartent un peu, histoire de pouvoir échanger plus tranquillement. Yoru en profite pour lui rendre son arme.
« Qu'as-tu appris d'intéressant ? » engage-t-il.
« Oui. Concernant l'Obujepawa utilisée par cette Endalia, celui qui nous a accueilli a mentionné que ce gant bizarre a une contrepartie. L'utilisateur doit céder une partie de son énergie vitale ou de sa force pour générer ses hommes de terre. »
« Intéressant. Cela pourra nous être utile si nous la recroisons. Surtout si personne n'est en mesure de nous venir en aide comme cette femme. »
Le mélange informe d'émotions suite à son voyage dans le paradis Shirenai s'exprime librement sur le visage de l'amnésique. Ceci n'échappe pas à l'œil avisé du propriétaire actuel du grimoire de Kigzir.
« Yoru, il y a quelque chose que j'aimerai comprendre. Rajik et moi avons fait face à un mercenaire qui semble avoir une haine profonde envers les tiens. Il a notamment dit qu'il préférerait qu'aucune maîtrise d'élément ne vous soit accessible. »
Cette affirmation, allant en contradiction avec tous les enseignements prodigués dans son enfance, blesse profondément le concerné. Voilà la preuve ultime qu'il avait finalement raison, lui, qui, à de nombreuses reprises, tentait de raisonner son mentor, pour le bien du peuple Enijiakku.
« Penserais-tu qu'il y aurait une raison valable pour qu'un être comme lui, sensé protéger Faironne, en arrive là ? » poursuit Rai.
« Oui. Autrefois, il y eut une guerre entre les Shirenais et les ancêtres de ceux qu'on appelle aujourd'hui les Enijiakkus. Le résultat, tu peux le deviner facilement, j'imagine. Je n'en sais pas beaucoup plus. » avoue-t-il, un goût amer en bouche.
Mais, après mûre réflexion, sachant maintenant que, quoiqu'il fasse, une haine perpétuelle semble se transmettre à Kigen. Se rebeller ne servirait donc à rien. Une acceptation à contre cœur remplace désormais l'ambition qui l'animait enfant.
« Et... Ça ne te fait rien ? » ajoute le sabreur.
« Non. Car j'estime que je n'y suis pour rien. Tant que ça n'entrave pas mon envie de connaissances, j'accepte cette situation. Après tout, qui porte les armes ? Qui semble le plus compétent face à des dangers encore insoupçonnés ? »
Se sentant visé, Rai pose la main sur son fourreau. Avec cette culture équivoque, il doute s'il doit récupérer sa mémoire ou non, pris par une peur de considérer Yoru comme un ennemi ou d'entretenir à son tour ce genre de propos toxiques. Limite lui vient l'envie de se séparer de son katana, si imbibé de sang pas encore versé, ou encore de remercier intérieurement ce qui a causé son amnésie. Qu'est-ce qui lui a pris de vouloir intégrer lui aussi une armée semblablement loin des idéaux qu'elle est sensée incarner ?
« Bon, nous n'avons plus rien à faire ici. Je propose qu'on s'en aille. » engage Yoru, en rejoignant Rajik.
Rai repense à tout ce qu'il a dit. Suivra-t-il tout ce qu'il a évoqué jusqu'au bout ? Comment peut-on accepter tout ceci sans entretenir le rêve de voir tout changer ? Lui vient alors l'envie de l'aider comme il peut, dans la crainte qu'il tourne mal.
« C'est bon ? Tu as fini ? » demande l'Enijiakku à Rajik.
« Oui oui... Désolé, ça être trop marrant. »
« Nous partons. »
« Moi être d'accord ! Moi avoir besoin d'action ! Surtout après tout ce que nous voir, moi devoir être plus fort ! Et si moi croiser autre type aux habits bleus, moi lui prouver qui doit se remettre en question. Lui avoir dit choses sales sur toi. »
« Je sais. Rai m'a tout expliqué. Ne t'inquiète pas. Je vais bien. Et si notre chemin vient s'entrechoquer avec celui de l'invocatrice, nous serons mieux préparés. Tu pourras aller la cogner sans être gêné. »
« Oh, moi aimer quand toi parler comme ça. »
Tous les deux se retournent vers le Shirenai. Pour l'adepte de la castagne, il est indéniable qu'il est différent de tout ce qu'il a pu constaté à Kigen. Il sait qu'il peut avoir confiance en lui. Même Yoru, convaincu par sa sincérité naturelle, arrive à ce raisonnement. Voilà l'exception à la règle.
« Hé Rai ! Toi venir ? »
Son nouvel objectif en tête, la main gauche tenant fermement le fourreau orné de son katana, le pas confiant, le nouvellement nommé rejoint ses compagnons. Tous joignent leurs poings. Un geste distinctif devenu un code entre eux. Emprunts d'ambitions, le trio quitte les lieux.