L'armée chaotique n'eut que le temps d'apercevoir la silhouette du forgeron. D'un coup, le chaman relâcha la pression et abattit l'orbe d'énergie terrestre pure sur le sol en clamant :
─ RASH'ANGUE GAÏA !!
Le sol explosa dans un fracas assourdissant, des piques de pierre jaillirent sous l'effet de la force tectonique colossale. La secousse fit trembler la plaine ravagée. Les soldats à pied furent balayés comme des fétus de paille ou empalés. Les cavaliers furent, quant à eux, engloutis par les crevasses creusées pas le séisme.
Udiir ne laissa pas à ses ennemis le temps de se ressaisir, il dégaina Gal 'Rash et fonça dans la mêlée en poussant un rugissement bestial qui retentit dans tout le marécage. Il fit appel à la foudre, son marteau s'imprégna de la force de Bal'Ash et se mit à briller comme une étoile. Alka franchit la crevasse d'un bond, et Udiir abattit Gal 'Rash sur le crâne du premier démon qui passa à sa portée. La tête de la créature fut broyée et un éclair balaya le champ de bataille, grillant tout sur son passage. Alka saisit une amazone entre ses mâchoires et lui broya l'échine d'un coup de dents avant de balayer un démon cornu à la peau noire d'un coup de patte.
Udiir poursuivit sa charge pendant quelques secondes avant de se dégager de la mêlée pour franchir à nouveau la crevasse. Le chaman invoqua une fois encore le pouvoir de la reine de la terre ; les piliers de pierres se multiplièrent, donnant naissance à un mur de dix mètres de haut. En quelques secondes, la troupe ennemie fut piégée dans un enclos d'un rayon de plus de deux-cents mètres. La seule sortie constituait en un passage large d'à peine plus de deux mètres dans lequel se tenait l'architecte de l'enclos et sa monture.
Udiir mit pied à terre. L'adrénaline étant retombée, il profita de ces quelques secondes de lucidité pour observer les ennemis qui lui faisait face. Les démons étaient cornus, leurs langues semblables à celles des serpents. Leurs mâchoires étaient garnies de crocs aussi effilés que des pointes de lances et des épées.
Certains étaient de vrais mastodontes, haut de trois mètres, aux muscles saillants et armés de puissantes masses ou d'espadons à lame large. D'autres à l'inverse étaient sveltes et ne dépassaient pas le mètre quarante. Leur peau allait du rouge sang au bleu pâle. S'étant remis de l'assaut éclair du jeune homme, l'ennemi se rassembla. Très remontées, les amazones étaient les premières à vouloir en découdre. L'une d'entre elles, une guerrière aux cheveux argentés, armée d'une hallebarde, s'avança. Tout comme Udiir, elle mesurait dans les deux mètres. Elle arborait une armure légère en maille et en cuir qui ne couvrait que sa poitrine modeste et ses épaules, son torse musclé n'était couvert que d'une tunique. Ses jambes étaient protégées par des bandes de cuir reliées par des genouillères en plaques.
Le jeune forgeron se retint de lever les yeux au ciel à la vue de cet équipement dépourvu de la protection la plus élémentaire. Il connaissait la force hors norme des Amazones ainsi que leur résistance qui dépassaient l'entendement. Mais le maître forgeron qui était en lui ne pouvait ignorer l'inconscience dont faisaient preuve certains artisans et combattantes qui choisissaient de mettre en avant le physique avant de penser à leur survie au combat.
Il n'arrivait pas à croire à l'excuse fumeuse selon laquelle ce genre de design minimaliste était nécessaire pour permettre une bonne liberté de mouvements aux combattantes. L'amazone qui se trouvait en face de lui n'avait comme protection à la tête qu'un simple serre tête en bronze. Cette dernière se lécha les lèvres comme un fauve devant une belle pièce de viande. Après une poignée de secondes, la guerrière prit la parole :
─ Qui es-tu, petit mâle insolent, pour t'opposer à nous ?
Udiir ayant gardé sa pelisse d'ours sur le visage, l'amazone ne pouvait pas voir son visage. Le jeune chaman garda le silence, il n'avait aucune envie de fanfaronner ni de tailler une bavette avec cette harpie.
Ladite harpie se retourna vers ses camarades, l'une d'elles qui était visiblement sa supérieure dit et tendant la main :
─ Je t'en prie.
Le sourire de requin de l'amazone s'élargit davantage. Elle empoigna sa hallebarde à deux mains et s'élança droit vers sa cible, Udiir se mit en garde. Son adversaire se déplaça si vite que son corps devint flou aux yeux de beaucoup des spectateurs. Mais pas pour lui, il voyait parfaitement les mouvements de l'amazone. Il la vit armer son coup et exécuter une frappe verticale de bas en haut. D'un revers de son marteau Udiir repoussa l'arme de son ennemi, l'amazone perdit son équilibre et le chaman saisit l'occasion.
Il plaqua la paume de sa main sur l'abdomen de l'amazone :
─ AHR'ANGUE IGNIS !!
Une violente déflagration éclata, la balayant comme une plume soufflée par le vent. Elle effectua un vol plané d'une dizaine de mètres, puis rebondit plusieurs fois avant de finalement s'effondrer au sol, le ventre carbonisé. Elle se mit à convulser alors que ses camarades l'entouraient.
Si certains ennemis restèrent médusés devant le tour de force d'Udiir d'autres étaient plus que déterminés à lui faire mordre la poussière. Déjà trois démons et deux amazones se lançaient à leur tour. Le premier démon, svelte et agile à la peau ocre, lui fonça dessus, un poignard acéré dans chaque main.
Un rictus malfaisant aux lèvres, il s'élança avec la célérité du vent, bavant à l'idée de dévorer la chair du chaman, mais son crâne rencontra l'acier de Gal 'Rash. Un écœurant son d'os et de chairs broyés suivit le choc, la mâchoire et la moitié du visage de la créature avait été fracassés comme une coquille d'œuf.
Un immonde sang noirâtre gicla avec force de la blessure de la créature alors que sa tête s'enfonçait dans la boue et que sa cervelle se mêlait à l'eau du marais.
Le second à attaquer, fut un ünbolck, le monstre mi- homme mi- bouc voulut décapiter son adversaire d'un coup de hache bien placé. Mais le fer de son arme rencontra celui du marteau du chaman. Hurlant de colère, le monstre réitéra son attaque, une fois, deux fois, trois fois.
Une gerbe d'étincelles accompagnait chaque choc entre les deux armes, l'ünbolck frappa une quatrième fois et la hache se brisa. À la vue de son arme brisée, l'homme bouc enragea de plus belle et voulut encorner Udiir, mais ce dernier lui enfonça le crâne d'un coup de Gal 'Rash. La tête du monstre, réduit à l'état de bouillis d'os et de sang, s'enfonça entre ses épaules avant qu'il n'expire dans un immonde gargouillis.
Le troisième démon, à la peau sombre et mesurant trois mètres de haut, tenta de broyer le chaman d'un coup de massue. Mais Alka s'interposa et plaqua l'assaillant au sol de toute sa masse, avant de l'égorger d'un vif coup de mâchoire à la jugulaire. Le colosse mourut sur coup.
Il ne restait plus que les deux amazones, l'une était armée d'un espadon à lame large, l'autre maniait une hache à double tranchant. Udiir saisit Gal 'Rash des deux mains et invoqua la foudre.
─ BRAH'ZISH BAL'ASH !!
Des éclairs jaillirent du marteau, d'un coup bien placé Udiir l'abattit sur ses assaillantes. Une onde de choc foudroyante balaya les amazones, les repoussant de plusieurs mètres. Mais contrairement à leur consœur, elles retrouvèrent leur équilibre.
─ Ne nous confond pas avec cette idiote, dit l'amazone à la hache en désignant sa comparse dont Udiir avait carbonisé l'abdomen.
La guerrière à la hache avait des cheveux blonds presque blancs, coupés courts, sa partenaire quant à elle de longs cheveux noirs, coiffés en une multitude de tresses fines. Les deux se relevèrent de concert avant de prendre une étrange posture : elles joignirent leurs mains comme pour prier, Udiir crut les entendre murmurer quelque chose.
Puis soudain, tous ses sens se mirent en alerte ! Des sueurs froides lui coulèrent le long du dos, il eut la chair de poule ! Les amazones invoquaient un pouvoir divin et sans trop comprendre comment il le savait !
D'un coup, les deux combattantes disparurent dans un éclair de lumière sanglante ! Le chaman eut tout juste le temps de lever son marteau par réflexe avant que l'énorme hache ne le décapite. Le choc fut tel que Udiir fut éjecté plusieurs mètres en arrière.
Alors qu'il planait dans les airs, la seconde amazone bondit, pris appui sur la paroi de pierre et se propulsa d'un puissant coup de pied. Le corps de la guerrière devint flou sous l'effet de la vitesse, elle fonça droit sur lui et enfonça ses talons dans l'abdomen du chaman, le plaquant violemment au sol.
Les poumons d'Udiir se vidèrent d'un coup, un goût cuivré lui emplit la bouche, du sang. Une douleur sourde enflamma sa poitrine : deux côtes s'étaient brisées. La situation dérapait, il n'arrivait plus à respirer et sa vision s'assombrissait peu à peu. L'amazone, à présent à cheval sur lui, se pencha et agrippa sa capuche en peau d'ours.
─ Voyons à quoi tu ressembles bel ours.
Elle avait dit ça en se léchant les lèvres, comme si Udiir était une pièce de viande. Une odeur enivrante et terrifiante à la fois emplissait les narines du jeune guerrier. Il s'agrippa de toute son âme à tout ce qu'il pouvait trouver en lui. Et là, il le sentit ou plutôt, il l'entendit, le rugissement d'Ursun, le rugissement d'Alka.
Une vague de puissance bestiale parcourut son corps comme une décharge électrique. D'une main, il saisit le bras de l'amazone et de l'autre lui décrocha un violent crochet dans la mâchoire. Sentant la prise de son adversaire se relâcher, il invoqua Bal'Ash et déclencha une déferlante de foudre dans un rugissement digne d'Ursun en personne.
L'amazone fut éjectée dans la seconde, à une dizaine de mètres. Sa camarade voulut charger, mais sa course fut stoppée par une tonne de fourrure et de muscle purs. Alka balaya la guerrière d'un puissant revers de griffe. La diablesse alla rejoindre sa comparse dans la boue.
Udiir se releva, empoignant fermement son marteau. Ses yeux irradiaient d'électricité pures et la rage lui brûlait le ventre. À présent debout, Udiir, sentit quelque chose d'humide sur sa cuisse. Il voulut porter la main à la tâche d'humidité, mais à l'instant où il en sentit l'odeur, un profond sentiment de malaise et de dégoût envahi son esprit.
Udiir croisa un instant le regard de l'amazone et y vit une lueur malsaine. Les Amazones étaient connues pour leurs mœurs sexuelles libérées. Cela était indirectement dû au fait qu'elle ne donnait naissance qu'à des filles. Elles avaient donc appris à ne pas se formaliser comme la plupart des autres races. Mais cela les avait conduites à développer un système esclavagiste puis à l'escalade de la guerre contre Erganane. Mais depuis plusieurs générations, les deux peuples tâchaient de trouver un équilibre.
Les traitresses ayant rejoint les cultistes de Djinn'Rha en revanche avaient totalement succombé à cette part sombre. Le pouvoir du dieu démon les avait pervertis. Udiir connaissait les rumeurs sur les sévices sexuels qu'elles faisaient subir à leurs prises de guerre, mais en entendre parler et les voir dans les yeux de l'une des responsables de ses crimes étaient deux choses bien distinctes.
À présent debout, Udiir put alors, voire distinctement ses adversaires. Les deux amazones étaient nimbées d'une aura rouge sang. En voyant ça, l'instinct de survie du chaman hurla en lui, il connaissait l'origine de ce pouvoir, il venait de Djinn'Rha le roi démon.
Les amazones alliées à Erganane avaient recours à un pouvoir similaire provenant de Kali, leur déesse tutélaire. Cette aura décuplait la force et la vitesse de son utilisatrice. Le fait d'avoir mordu la poussière ne l'étonnait guère.
Udiir réfléchit à toute allure. Son duel avec les amazones ne pourrait s'éterniser et il savait que cette stratégie arrivait à ses limites. Derrière ses deux adversaires, les troupes ennemies commençaient à perdre patience. Bientôt, elles chargeraient en nombre, droit sur lui et il serait submergé par la vague de chair et d'acier.
Une évidence se fit rapidement dans l'esprit du jeune homme : il allait devoir en éliminer le plus possible dans le plus court laps de temps. La cacophonie provoquée par ses prouesses avait dû alerter les forces erganiennes, et ainsi les pousser à se mobiliser. Ce qu'il pouvait faire de mieux était donc de gagner du temps et de tuer le plus d'ennemis possible.
Il invoqua le pouvoir de Gaïa et referma l'enceinte de pierres, le piégeant ainsi avec les forces ennemies.
Il en appela à Ursun, son totem, il sentit la fureur bestiale de l'esprit emplir son corps. Il serra fort Gal 'Rash dans ses mains calleuses, se focalisant sur le poids de l'arme afin de ne pas être emporté par la fureur guerrière de l'ours. Ses muscles se tendirent brutalement et ses yeux se tintèrent d'une couleur sanguine.