Lorsque Udiir quitta la caverne, l'après-midi était bien avancé. Le jeune forgeron réalisa que les troupes royales seraient là dans peu de temps. Ses sœurs et Mathias n'avaient pas bougé. En voyant leur frère approcher, Arya et Kiara se levèrent suivies par le jeune Marteau-Stellaire.
─ Udiir, dit Kiara, on redescend au village. Il vaut mieux que tu restes ici, si la situation dégénère, les soldats ne pourront pas t'atteindre.
─ Tu veux m'écarter du combat ? Demanda le chaman sur la défensive.
─ On veut éviter que tu ne sois blessé. Répondit Arya, on parle des troupes royales et de la reine en personne.
─ Quoi que tu me dises, je descends avec vous. Répliqua- t- il. Si tu veux, je ne me montrerai pas aux soldats, mais je ne resterai pas caché alors que le clan joue son existence, même pour me protéger.
Les trois jeunes gens auraient voulu le dissuader, mais ils savaient que c'était peine perdue, Udiir les suivrait dans tous les cas. Le chaman rentra dans sa forge, pour en ressortir vêtu d'une nouvelle armure composée d'une côte de mailles, d'un pourpoint et de jambières en cuir, sans oublier sa fameuse peau d'ours.
─ Autant être préparé, dit Udiir sur un ton qui se voulait drôle.
Les quatre camarades en arme se mirent en route. En dépit des protestations d'Arya, Udiir les fit tous monter sur le dos d'Alka. La force de l'ours lui permit de supporter sans problème le poids du quatuor. Une minute, plus tard, la troupe dévalait le sentier de la montagne.
Lorsque l'ours atteignit le bas du pic, le soleil commençait à se coucher. Arya sauta au sol, ravie de quitter le dos de l'ursidé, les trois autres l'imitèrent. Roy et Alyssia vinrent à leur rencontre. Réalisant la présence d'Udiir, ils jetèrent un regard réprobateur à leurs filles qui répondirent par un simple haussement d'épaules. La sorcière et le chef comprirent le message, ils connaissaient le caractère de leur fils.
Toutefois il fut convenu que Udiir reste dissimulé le plus possible, ce qu'il accepta. Rabattant sa peau d'ours sur sa tête, le chaman se plaça sur le toit d'une des tours de guet à l'arrière du village afin d'avoir une vue sur l'ensemble de la zone, tout en restant hors de vue des possibles intrus. De grands feux et des torches s'allumaient un peu partout dans le village et au-delà de ses palissades. La nuit commençait à poindre et en cette fin d'automne le froid tombait très vite. Pour Udiir, cependant, il n'y avait guère de différence.
Supportant très bien les températures extrêmes, ce froid ressemblait plus pour lui à une douce fraicheur. Il s'assit donc en tailleur sur le plancher de la tour de guet et commença à méditer.
Laissant son esprit se fondre dans la terre, il perçut peu à peu la présence et la magie de chaque être vivant aux alentours. Il y avait des paladins, des mages et bien d'autres utilisateurs de magie diverses et variées. Il dénombrait près d'une centaine de baroudeurs campant aux abords du village. Le clan comptait plus de cent- cinquante guerriers et guerrières, plus une quarante d'enfants. Ces derniers et ceux qui ne pouvaient pas se battre, s'étaient enfermés dans les maisons les plus proches de la montagne. Udiir en fut rassuré, il y aurait ainsi moins de risque qu'il n'y ait des blessés.
Tout à coup, le chaman perçut un mouvement dans le campement. De nouveaux arrivants entraient dans le périmètre : une centaine de soldats et parmi eux une aura d'une force colossale. La reine Artha et sa garde personnelle de la capitale Najyuna étaient arrivés.
Udiir se tendit. Il sentait l'hostilité des soldats royaux, mais il n'arrivait pas à savoir s'il devait s'inquiéter pour la reine. Il pouvait percevoir de la curiosité provenant du monarque, mais rien d'autre. Le chaman sortit de sa transe pour observer de ses propres yeux. Les aventuriers s'écartèrent sur le passage d'Artha, tout en se massant devant les portes du village prêts à entrer. Contre toute attente, les soldats firent reculer les baroudeurs. En dépit de leurs protestations, ils durent dégager plusieurs dizaines de mètres autour de la porte.
Artha s'avança avant de clamer d'une voix forte :
─ Chefs du clan Arginanes, je vous demande d'ouvrir les portes de votre village afin que nous parlementions entre personnes civilisées.
Un long silence suivit les paroles de la reine. Le seigneur Marteau-Stellaire prit alors la parole à son tour.
─ Votre Altesse, c'est Jayce Marteau-Stellaire qui vous parle, je suis au regret de vous informer que la présence des mercenaires rend votre entrée impossible pour les Arginanes.
─ Je vous garantis que seuls mes hommes et moi entrerons. Répondit-elle. Je laisserai une partie de ma garde pour s'en assurer.
─ Très bien. Dit Alyssia.
Les gardes s'exécutèrent et les portes de rondins s'ouvrirent bruyamment. Conformément à la promesse de la reine, les aventuriers, malgré leur mécontentement, restèrent de l'autre côté de la palissade tenus en respect par une vingtaine de soldats en armure lourde.
Montée sur un grand cheval à la robe noire comme la nuit, la reine Artha, entra sur la place pavée du village. Ses soldats, à cheval pour certains et à pied pour d'autres, la suivaient de près.
Tous les cavaliers mirent pied à terre d'un côté de la place. Le clan Arginanes s'était regroupé du côté opposé. De son perchoir, Udiir voyait toute la scène et il appréhendait le dénouement. C'était la première fois que le chaman voyait la reine d'Erganane il ne put s'empêcher de lui trouver une certaine beauté dans son apparence sévère et vêtue de son armure d'un bleu luisant. Flanqué de deux paladins, Artha s'avança.
La famille d'Udiir, le seigneur Jayce et Mathias firent de même. Les deux camps n'étaient à présent séparés que de quelques mètres. L'air se fit lourd, la tension était palpable. Les chefs des deux forces en présence se saluèrent respectueusement. La reine scruta la foule qui lui faisait face en plissant des yeux.
─ Où est-il ? Demanda-t-elle.
─ Qui ça ? Répondit Jayce, feignant la surprise.
L'expression d'Artha se durcit.
─ Ne vous moquez pas de moi Jayce, je parle de la créature qui a stoppé une troupe ennemie presque à elle seule, celle qui fissure la terre et fait pleuvoir la foudre. Voilà de qui je parle et je suis venue pour l'interroger.
La tension monta d'un cran. Dans son perchoir, Udiir, qui entendait tout, déglutit bruyamment. Les Arginanes et les soldats royaux portèrent la main à leurs armes.
─ Ne m'obligez pas à fouiller le village, Arginanes ! Dites à votre… « Animal » de se présenter devant moi.
La reine avait dit cela pensant mettre un terme à l'immobilité des villageois. Mais elle réalisa vite qu'elle avait fort mal choisi ses mots. Tout à coup, une onde de magie pure parcourut le village. Les particules d'énergie bleues et dorées emplissaient à présent l'air ambiant. Alyssia fit un pas en avant, les yeux luisant d'une lumière bleue. La femme n'était pas surnommée « la grande sorcière » par hasard, sa puissance magique était connue dans tout Erganane et tous savaient qu'il était dangereux d'irriter ce genre d'individu. La reine Artha venait de commettre une regrettable erreur.
Irradiante de rage, la mère de celui que la reine avait osé traiter d'animal, était à deux doigts de la carboniser, elle et ses gardes.
─ Retire ce que tu viens de dire Artha ! Exigea-t-elle les mains brillantes d'énergie.
La reine resta interdite, elle ne réalisait pas encore la portée de l'insulte qu'elle avait proféré.
─ Qu'ai-je dis de mal, Alyssia ?
Roy se chargea d'éclairer sa lanterne.
─ Celui que vous qualifiez d'animal est notre fils, votre « Majesté ».
La reine leva un sourcil, visiblement surprise. Les membres de sa garde le furent tout autant et ne le cachèrent pas. Certains eurent un petit rire, d'autres échangèrent des murmures. Artha se racla la gorge.
─ Je vous repose la question. Où est-il ?
Une fois encore le clan garda le silence. La Reine eut un claquement de langue désapprobateur.
─ Fouillez, le village ! ordonna-t-elle.