Le clocher de Najycima sonna douze fois : il était tout juste minuit. Dans la chambre de Zaÿsha, l'amazone, une atmosphère moite et l'odeur de la sueur y flottaient. Entièrement nue, assise sur son lit, la séduisante guerrière était en proie à une profonde réflexion. Dans le lit non loin d'elle, dormait d'un sommeil de plomb, enivré par un orgasme encore frais, une jeune femme aux cheveux blonds et courts. Elle avait une petite poitrine, mais une musculature développée. Zaÿsha n'avait retenu que le prénom et la profession de son amante : Moyra, étudiante à l'académie militaire.
La nuit précédente, la princesse impériale avait couché avec un étudiant en magie dont elle n'arrivait pas à retenir le nom de famille. Zaÿsha vivait une relation libre entre ses deux amants qui ne s'en formalisaient pas. Les mœurs sexuelles des Amazones étaient très libres, par conséquent avoir des partenaires multiples était dans leurs habitudes. Cependant lorsque cette race de guerrières trouvait un ou une partenaire permanent, c'était pour l'aimer d'un feu aussi ardent que le magma d'un volcan. Zaÿsha n'avait pas encore trouvé une personne qui lui fasse ressentir cela. Elle pensait d'ailleurs, ne jamais le ou la trouver.
Toutefois en cette nuit d'automne ce n'est pas cette affaire qui occupait l'esprit de la princesse impériale. Ce soir, l'esprit et le corps allégés par l'acte charnel, Zaÿsha faisait un bilan de la situation actuelle et à venir. Les informations de sa mère étaient sans appel : Udiir serait à la capitale dans trois jours et rejoindrait l'académie.
Tout le monde allait le voir et il serait exposé. Elle allait le voir, mais la jeune amazone ne savait absolument pas comment l'aborder. Ni elle ni sa mère ne savaient quelle était l'opinion du fils perdu vis-à-vis de leur peuple. Là résidait la plus grande incertitude et le plus gros problème de l'opération. Pourtant elle devrait lui parler. Il le fallait. Aussi bien pour Inguadia que pour Udiir, oui il le fallait. Zaÿsha se secoua, elle avait livré combat sur le champ de bataille après tout, elle pouvait bien parler avec un inconnu et mener des négociations avec lui.
Alors que la princesse impériale reprenait confiance, sa compagne s'agita dans leur couche.
– Hum…Zaÿsha ? Tu ne dors pas chérie ?
Tout en parlant, Moyra se redressa et passa un bras autour du cou de la belle amazone.
– Tu as encore envie de faire l'amour ?
En disant cela, la jeune militaire souffla dans l'oreille de Zaÿsha, avant de l'embrasser dans le cou. Cette mise en bouche réveilla le désir sexuel ardent de la guerrière. Elle se retourna et embrassa Moyra à pleine bouche. Les langues des deux femmes s'entremêlèrent. Cet acte diffusa un feu ardent dans le corps de Zaÿsha.
Elle prit les seins de son amante entre ses mains et les caressa en rapprochant graduellement ses caresses vers les tétons de Moyra. La jeune femme gémit de plaisir en sentant les doigts chatouiller cette partie si sensible de son anatomie qui durcissait déjà sous le plaisir.
– Zaÿsha…j'adore ce que tu me fais, souffla Moyra.
Pour toute réponse, l'amazone multiplia ses caresses. Sa compagne eut l'impression de fondre de plaisir sous ses baisers, alors que son bas ventre, puis son entre-jambes se mettait à palpiter. Zaÿsha concentra peu à peu ses coups de langue et ses baisers vers le sexe de la militaire. Le contact de la langue avec son intimité fit se cabrer Moyra sous le coup du plaisir qui la parcourut.
L'amazone poursuivit avec ses doigts. Elle en introduisit deux dans le sexe de sa compagne et avec une adresse presque surnaturelle les mit en action. Les gémissements de Moyra se firent plus forts et plus rapides. Le feu de ses entrailles enfla et se propagea à tout son corps jusqu'à exploser en un orgasme déflagrateur. La jouissance de la guerrière fut accompagnée d'une complainte de plaisir plus longue que les autres. Face à son amante essoufflée et luisante de sueur, Zaÿsha n'était cependant pas satisfaite et s'allongea sur elle. Les cris de plaisir montèrent alors dans la chambre, ils furent bien plus forts et longs que les précédents. Les deux compagnes ne s'arrêtèrent que tard dans la nuit quelques heures seulement avant l'aube.
***
Udiir huma l'air marin charrié par le vent. C'était la première fois que le jeune chaman sentait l'odeur marine. Ce n'était pas très agréable, mais il trouva l'expérience intéressante. Depuis son départ du village, Udiir n'avait pas manqué de dépaysement. Il avait pu voir les forêts d'Arguane, les montagnes alentour et surtout les plaines du centre du Royaume. Le fleuve que lui et le convoi descendaient était magnifique lui aussi. Un immense cours d'eau serpentant dans la plaine constellée de collines.
L'embarcation transportant le convoi royal descendait le fleuve à bonne allure. La barge était grande et richement décorée. Faite dans un bois brun peint aux couleurs de la famille royale. La figure de proue représentait une magnifique sirène en armure, armée d'un trident et d'un bouclier frappé de l'héraldique d'Erganane.
À l'horizon, les murs et les tours de Najycima la capitale commençait à apparaître. L'appréhension d'Udiir ne l'avait pas quitté de tout le voyage. Certes, il avait apprécié les paysages et quitter sa montagne lui faisait du bien. Mais la réaction de la population l'inquiétait toujours autant.
Le bruit de pas sur le pont du bateau le tira de sa réflexion. Arya s'approchait de lui. À l'instar de son frère, la magicienne était inquiète.
─ Tu ne veux vraiment pas dissimuler ton visage ? demanda-t-elle.
─ Ça ne m'empêcherait pas d'être au centre de l'attention, par conséquent, même si je n'aime pas beaucoup ma trogne autant y aller à visage découvert.
Malgré ses paroles, Udiir ne pouvait cacher sa peur. La boule d'anxiété qui pesait dans son ventre croissait dangereusement à présent.
─ Restez sereins tous les deux.
C'était la voix de la reine Artha, qui venait de se faire entendre. La sang bleu arrivait depuis la poupe de l'embarcation. Elle avait délaissé son armure pour une tunique de luxe décorée du blason du royaume, son trident en main.
─ Aussi longtemps que tu seras sous ma juridiction Udiir, je ferai le maximum pour assurer ta protection. Reste prudent tout de même, jeune homme.
─ Oui Votre Majesté, répondit le jeune chaman.
La question du logement avait déjà été réglée : Arya et Kiara avaient pris un appartement en périphérie de l'académie. Udiir y emménagerait avec elles. Cela lui éviterait d'éventuels ennuis nocturnes dans l'un des dortoirs de l'académie.
─ Avant d'aller à l'académie et de prendre tes quartiers, il faudra que vous m'accompagniez au palais. Il y a quelques éléments à vérifier, ainsi que quelques personnes à présenter.
Un frisson parcourut l'échine du chaman. Udiir redoutait ce qui pouvait se tramer dans le palais à son sujet. Si la reine était de son côté, rien ne laissait entendre que tous les puissants du royaume partageaient son avis. À ce sujet, Artha n'avait pas dit un mot. Remarquant l'anxiété d'Udiir, elle lui donna une petite tape dans le dos et ajouta le sourire aux lèvres :
─ Respire à fond, jeune homme, tout se passera bien.
Malgré tout, le chaman sentant qu'il allait au-devant d'une période difficile et incertaine.
***
Le voyage en bateau dura un peu plus d'une heure avant que le convoi n'entre dans la ville. En approchant des murs, Udiir fut ébahi : les murailles de la cité étaient faites d'une pierre blanche striée de veines bleu turquoise. Cette construction s'élevait à plusieurs dizaines de mètres de haut, surplombée par plusieurs tours de guet. Les tours étaient occupées par plusieurs soldats en armes qui semblaient toujours sur le qui-vive.
La barge entra dans la ville par une large porte bloquée par plusieurs herses, qui s'ouvrirent dans un bruit de chaînes et de rouages. En franchissant la porte, des cris et un brouhaha parvinrent aux oreilles d'Udiir et il comprit que l'embarcation de la reine était attendue. Et en effet, la barge royale fut accueillie en grande pompe. Une foule compacte s'était rassemblée sur l'esplanade et le balcon entourant le quai. Les citoyens étaient bien décidés à recevoir leur souveraine pour son retour à la capitale. Udiir contempla la foule depuis le pont et fut surpris par la diversité ethnique de la population : il y avait des elfes des nains, des tériants d'une multitude de formes et de types. Certains avec des traits de félidés, de canidés et même d'oiseaux.
L'accès au quai était contrôlé par des soldats afin de permettre un débarquement sécurisé.
Les montures furent guidées à terre. Artha se plaça devant la foule et salua son peuple :
─ Oyez peuple de Najycima, je suis revenu et je ramène avec moi un allié de poids.
Alors qu'elle parlait, Udiir et ses sœurs descendirent. Malgré le charisme de la souveraine d'Erganane, les badauds remarquèrent Alka, ainsi que les trois individus qui marchaient aux côtés de l'ursidé. Kiara et Arya avaient tenté de convaincre leur petit-frère et la reine de dissimuler le visage du chaman. Mais Artha avait soutenu que cela ne ferait qu'attiser la curiosité et l'inquiétude du peuple au sujet du jeune Arginane. Malgré les paroles de la reine, Udiir évita les regards de la foule, alors qu'il sellait Alka.
Cramponné à la rambarde du balcon, Walter était à peine conscient du boucan et de la foule. Il ne voyait qu'une chose : la haute silhouette coiffée d'une peau d'ours qui venait de descendre du bateau royal. Cet individu évitait les yeux de la foule. Ses yeux. Dans l'esprit du journaliste, une chose tournait sans cesse depuis des jours : qui était cet inconnu qui avait déboulé et neutralisé une escouade ennemie entière. Qui, mais qui ?
Walter était un thérian loup : un lycan. Son odorat surpassait largement celui des humains. Et l'odeur qui émanait de l'inconnu n'appartenait à aucune des races qu'il connaissait.
La curiosité latente qui couvait en Walter menaçait de prendre le dessus sur son bon sens, comme cela lui arrivait souvent dans ses recherches. Mais il avait préparé son coup dès qu'il avait appris le départ de la reine pour le fief Arginane. Portant son regard sur sa main, il inspecta l'anneau qu'il portait. Ce bijou enchanté lui avait coûté une petite fortune. Heureusement que son fournisseur était une personne de confiance.
Le journaliste inspira profondément avant de sauter par-dessus la rambarde. Avant même qu'il ait touché le sol, les gardes avaient déjà commencé à converger vers lui. Walter prononça un mot de pouvoir et l'anneau à son doigt brilla. Le lycan s'évapora dans un éclair de lumière bleue. Il réapparut à moins dix mètres de son objectif. Usant de son agilité canine, il franchit la distance restante en quelques bonds.
─ Halte ! lancèrent les deux jeunes femmes qui étaient aux côtés de sa cible.
Walter les ignora, qu'avait-il à faire des protestations d'une bande de pucelles ? Il était à portée de main de l'inconnu à présent. Walter empoigna l'épaule de son prochain sujet d'article, mais c'est alors qu'il sentit plusieurs bras cuirassés le saisir et le maîtriser. Le trentenaire tira sur l'épaule noueuse du guerrier mystérieux de toutes ses forces. Il déploya toute sa force, mais l'inconnu ne bougea pas, aussi immuable qu'une montagne. Les griffes du lycan se plantèrent dans la peau rêche semblable à du cuir. L'inconnu ne bougea pas.
─ Montre ton visage étranger ! hurla le lycan. Le peuple d'Erganane mérite de connaître l'identité de ceux qui vivent clandestinement sur son territoire !
Extérieurement Udiir était resté de marbre face à la poigne de l'intrus, ainsi qu'à son injonction. Mais en son for intérieur, le chaman bouillonnait. De colère, de peur et d'indignation. Il mourrait d'envie de briser le bras de ce lycan, de lire la peur et la douleur dans le regard de cet individu à la morale plus que douteuse et profondément stupide.
Mais ce n'était pas ce qu'on lui avait enseigné, ce n'était pas la voie qu'il voulait suivre. Udiir inspira profondément, canalisant ses émotions. Autour de lui, la foule avait fait silence, attendant de voir sa réaction. Lentement il saisit la main griffue qui demeurait accrochée à son épaule et dit :
─ Je vous demande respectueusement de me lâcher monsieur.
En prononçant ces mots, le chaman appliqua une force mesurée sur le poignet du lycan. Ce dernier finit par lâcher-prise et fut écarté du groupe par les gardes. Il continua de lancer des imprécations et des insultes alors que les vigiles l'évacuaient des quais. De nombreux murmures parcouraient la foule à présent. Udiir serra les poings, il fallait qu'il mette un terme à cela. Une solution naturelle germa dans son esprit.
Il posa son regard bleu orage sur Artha. La reine se contenta de hocher la tête : elle lui laissait l'initiative. Alors le chaman acheva de seller Alka. Puis il monta sur le dos de l'ursidé. Surplombant à présent toute la foule, Udiir avança de quelques mètres. Lorsqu'il fut à portée de regard, le chaman releva sa capuche, dévoilant son visage.
À la vue de cet étrange faciès, des exclamations et des huées éclatèrent dans la foule. Alka poussa un rugissement, qui les fit taire aussi vite qu'ils avaient commencé. Le silence se fit dans l'assistance. Une fois assuré d'avoir toute leur attention, le chaman prit la parole :
─ Je vous salue, peuple de Najycima ! Mon nom est Udiir Arginane, je ne suis pas votre ennemi, déclara-t-il. Que mon visage vous étonne, ou vous effraie, je le conçois, précisa-t-il. Mais je ne suis pas votre ennemi. Je suis venu ici pour le prouver. Pour ERGANANE ! clama le guerrier en brandissant son marteau au-dessus de sa tête.
Sa déclaration fut suivie d'un nouveau rugissement de sa monture. Face au mutisme de la déclaration du chaman, Artha s'avança et renchérit :
─ Pour Erganane !
L'ovation fut alors timidement reprise par le reste de la foule, qui était toujours déstabilisée par ce nouvel arrivant fort exotique.
Puis peu à peu la foule répondit à l'appel de sa souveraine.
─ On ne peut t'enlever une chose Udiir, constata Artha, tu sais t'affirmer quand il le faut.