Polo se précipita pour informer son maître, le gouverneur Kola II, à propos de la situation critique qui prévalait. Il rencontra celui-ci dans ses appartements privés. Le dirigeant d'Okundé était assis derrière son mobilier de bureau en bambou et lisait ses notes.
"Pardonnez-moi, Votre Excellence ! Nous faisons face à une catastrophe et je viens vous en donner les premiers détails. La mission d'espionnage s'est soldée par un échec. Un des émissaires n'est pas revenu de la montagne interdite et il s'agit du jeunot. Par les sanglots à n'en plus finir de son compagnon, le bûcheron, qui est dans un état de choc et donc incapable de parler, j'ai déduit que le jeune combattant est décédé, probablement tué par le nouveau monstre. Quoi qu'il en soit, le malheur nous a frappés." Polo partagea la mauvaise nouvelle avec le commandant en chef de la région.
"Bon sang ! Comment cela a-t-il pu arriver ?" réagit Kola 2 en grondant.
"Emmenez-moi ce bûcheron sans tarder!" ordonna-t-il à son homme de main.
Polo fut désemparé, sachant à quel point son maître pouvait être impitoyable lorsqu'il était courroucé. L'aide de camp instruisit aussitôt les deux gardes impériaux qu'il avait chargés d'accompagner Babida dans sa tente, d'aller le chercher et de l'emmener dans le bureau du gouverneur.
Les sentinelles se hâtèrent vers le logis de l'élagueur. Il était profondément endormi et ne détecta pas la présence des visiteurs. Ces derniers le regardèrent et se sentirent mal d'avoir à déranger le sommeil d'un récipiendaire de la plus haute médaille d'honneur et de mérite.
Cependant, ils avaient reçu un ordre de la plus puissante autorité de la région et ne pouvaient pas se défausser au risque de payer le prix de la violation de leur serment de servir fidèlement l'empereur ainsi que ses délégués dûment nommés.
"Camarade, nous te prions de te lever," chuchota un des gardes impériaux à l'oreille de l'élagueur tout en secouant légèrement son épaule.
Babida ouvrit lentement les yeux et fut hagard en voyant les sentinelles. Il s'était à peine rétabli de son traumatisme relatif à la mort du jeune Bodo.
"Son Excellence te demande dans ses quartiers. Viens avec nous s'il te plaît !" lui dit le garde impérial.
Babida se mit sur ses jambes et suivit son escorte. Seulement, dans une forme piteuse, il oublia sa hache dans la tente. Il avait l'esprit brouillé et était sale et barbu.
Les troupes et les résidents de la zone jasèrent alors que les sentinelles et le bûcheron traversaient le jardin d'Okundé et se dirigeaient vers le quartier général du gouverneur.
Ils entrèrent dans le hall des locaux administratifs puis montèrent dans l'espace privé de Kola II. Ce dernier était debout et avait le dos tourné à la porte. Il s'extasiait devant le portrait de l'empereur Batang V.
Ses mains étaient croisées et pendaient juste au-dessus de son postérieur.
Son aide de camp Polo était positionné à sa gauche et avait vue sur tout l'appartement.
"Votre Excellence, le bûcheron est là." L'assistant attira l'attention de son maître sur le visiteur.
Kola 2 interrompit la contemplation de la peinture de Sa Majesté. Il se retourna et avait l'air serein. Il semblait avoir digéré sa colère.
"Camarade, il m'a été relaté les premiers échos de votre mission à la montagne interdite. Il paraît que les choses ont tourné au vinaigre et j'aimerais en savoir davantage," déclara-t-il à Babida.
L'élagueur garda le silence pendant quelques secondes. Sa tête était piquée vers le sol et ses yeux étaient somnolents. Il se mit à bégayer et ses mots étaient inaudibles.
"Votre Ex…Nous….taqués...le….treee," répondit-il au gouverneur.
Kola 2 fut embarrassé par la locution inarticulée du bûcheron et le sermonna.
"Vas-tu enfin t'exprimer convenablement pour l'amour de nos ancêtres ?" cria le commandant en chef sur Babida qui resta malgré tout enfermé dans sa bulle.
Le coup d'éclat de l'autorité impériale ne produisit aucun effet sur l'élagueur. Vexé par l'attitude inchangée de son élément, Kola 2 se sentit forcé de prendre une mesure draconienne contre lui.
"Gardes, arrêtez cet homme et jetez-le au cachot pour quelque temps ! Vivement qu'il y recouvre ses sens !" ordonna-t-il.