Les sentinelles impériales exécutèrent la sentence du gouverneur à l'immédiat. Elles agrippèrent Babida par les bras. Celui-ci n'opposa aucune résistance et se laissa faire.
Les gardes impériaux le conduisirent dans une cellule logée au sous-sol du quartier général. Ils enlevèrent le verrou à l'entrée de la cave. Elle était peu éclairée et peu aérée.
Les geôliers descendirent les escaliers avec leur prisonnier. Ils ouvrirent la porte de la cellule et poussèrent le bûcheron à l'intérieur.
Un des gardes impériaux manifesta de la compassion pour Babida.
"Camarade, nous prions pour que tu ailles bien au plus vite. Si cela ne dépendait que de nous, tu serais en ce moment libre de tes mouvements. Mais hélas, un ordre est un ordre," lui dit-il.
Sur ce, ils barricadèrent la cellule et abandonnèrent l'élagueur dans la pénombre.
Les nouvelles de l'emprisonnement du bûcheron se propagèrent comme une traînée de poudre. Avant la fin de l'après-midi, tout Okundé en avait eu vent et transmis le popotin aux villages voisins, Okala et Ékulé.
Suzie faisait frire des œufs de canard pour le déjeuner. Sa grand-mère était vautrée sur sa chaise en rotin et écoutait la radio locale.
"Et à présent chers auditeurs, nous avons des informations fraîches qui nous parviennent de notre correspondant sur le théâtre des opérations de l'expédition impériale à Okundé. Babida le bûcheron a été embastillé sur ordre du gouverneur Kola 2 pour une raison que nous ne sommes pas à mesure de fournir pour le moment. Mais les premiers éléments de réponse que nous avons, lient l'emprisonnement de l'élagueur à une mission d'espionnage à la montagne interdite à laquelle il avait pris part accompagné d'un jeune soldat de seize ans. L'adolescent y laissa sa vie dans des circonstances qui restent encore à élucider. La mission ainsi capota et Babida revint dans les casernes seul et éploré." Le journaliste rapporta.
Grande mamie n'en crut pas ses oreilles. Elle hurla : "Oh mon Dieu ! Suzie, viens vite au salon !"
La petite-fille stoppa la préparation du repas de midi et courut jusqu'à sa grand-mère.
"Que y a-t-il ?" Elle interrogea la vieille femme.
"On vient juste d'annoncer au journal que le bûcheron a été fait prisonnier par le gouverneur Kola 2 pour un motif jusqu'à lors inconnu. Apparemment, Babida est rentré d'une mission spéciale à cette montagne maudite, laquelle s'est terminée en un échec cuisant. Et le jeune camarade qui était avec lui, est mort dans des circonstances à éclaircir," lui révéla grande mamie.
Le cœur de Suzie se mit à battre la chamade. Elle fit un malaise. Son état empira du fait d'une migraine qui se saisit d'elle.
"Il faut que je m'asseye," se confia-t-elle à sa grand-mère qui fut prise au dépourvu et ne savait comment gérer le mal-être de sa petite-fille.
Suzie tira vers elle le banc en bois qui était près de la radio et contre le mur. Elle le plaça à côté de la grand-mère, s'assit et s'affala sur la matriarche.
Cette dernière appliqua en douceur ses mains expertes sur les tempes de sa petite-fille. Suzie commença à aller de mieux en mieux.
Au bout d'un certain temps, la thérapie de grande mamie la remit sur pied complètement. Elle se leva du banc et à la grande stupéfaction de la vieille dame, s'exclama : "Je m'en vais à Okundé pour délivrer le bûcheron."
"C'est injuste d'être enfermé alors qu'on a risqué sa vie pour la patrie. C'est vraiment dommage que son camarade de lutte ait péri mais il n'a été mentionné nulle part que ce fut sa faute. Ils étaient en mission hautement périlleuse et le gouverneur le savait," se défendit-elle.
Grande mamie regardait Suzie et était sans voix. Toutefois elle ne désapprouva pas la décision de sa petite-fille. Elle la laissa dérouler ses pensées.
"Je m'en vais voir oncle Bibi dans la maison jumelle pour lui demander son aide. Vivement qu'il accepte d'aller avec moi à Okundé pour libérer le bûcheron !" dit-elle en rangeant le banc.
Suzie avait pratiquement oublié les œufs de canard qu'elle avait frits pour le déjeuner. Alors qu'elle sortait de la maison, elle s'en souvint.
"Oh, oh, les omelettes !" cria-t-elle.
"Désolée, grande mamie ! Je te sers rapidement," s'excusa-t-elle ensuite.
"Tu les veux avec du pain plat ou des bâtons de manioc ?" questionna-t-elle la vieille dame.
"Peu importe ce que tu mettras dans mon assiette ! Je le mangerai allègrement, mon petit ange. Ne t'en fais pas !" lui répondit grande mamie.
Suzie retourna dans la cuisine et coupa une grosse part d'omelettes qu'elle déposa dans le plat de la grand-mère. Elle l'amena à la salle à manger et d'une voix haute s'exclama : "Grande mamie, à table !"
"Merci, mon petit ange !" répliqua la grand-mère.
"Mais avant que tu t'en ailles, tu ferais mieux de changer ta tenue et d'en porter une autre avec un foulard de préférence afin de dissimuler ton visage. Au cas où tu serais sur le point de te faire prendre, peut-être tu aurais une chance de t'échapper sans être identifiée," conseilla-t-elle à sa petite-fille.
"Tu as tout à fait raison, grande mamie. Je le fais tout de suite." Suzie approuva.
Elle monta dans sa chambre à l'étage pour mettre un nouvel habit et en redescendit avec une robe Abaya bleue en Wax hollandais qui la couvrait du cou jusqu'à la cheville.
Sa tête était enveloppée d'un foulard de la même couleur et du même matériau que la robe. Seuls ses yeux étaient visibles. Aux pieds, elle avait enfilé des sandales ordinaires pour femme de couleur marron.
La grand-mère la passa au scanner et déclara : "C'est mieux ainsi. Sois vigilante, mon petit ange !"
"Je le serai. Ne t'inquiète pas, grande mamie !" Suzie la rassura puis quitta la maison.