La musique résonnait dans l'auberge.
« Encore ! Encore ! Encore ! » cria un client avant de s'écrouler au sol, complètement ivre, sous les rires des autres.
Nous, on restait dans notre coin, tranquilles. Ciri observait les autres clients avec envie, comme si elle rêvait de les rejoindre, mais Geralt n'avait pas l'air de vouloir la laisser faire.
« Mais Geralt, s'il te plaît ! » insista-t-elle.
« Non, c'est non, » répondit-il calmement. « Et ta coiffure attire déjà bien assez l'attention. On reste discrets jusqu'à Kaer Morhen. »
Ciri se tourna vers moi, espérant un soutien.
« Aiden, dis quelque chose ! »
Surpris, je levai les yeux de mon livre. « De quoi vous parlez ? »
« T'écoutais même pas… » grogna Ciri.
« Désolé, Ciri. J'étais plongé dans le livre d'alchimie que Geralt m'a passé. »
Geralt intervint, presque amusé. « Laisse Aiden tranquille, il est en train d'apprendre. »
« Oui, mais… » Elle soupira, changeant de sujet. « On arrive quand, à Kaer Morhen ? »
« Si tout se passe bien, dans deux semaines, juste avant l'hiver. » Puis Geralt me regarda, les yeux plissés comme s'il remarquait quelque chose d'étrange. « Aiden, je me demandais… pourquoi est-ce que tu ne sembles jamais avoir froid ? »
La question me prit de court. Je ne frissonnais peut-être pas comme les autres, mais je sentais bien le froid sur ma peau.
Geralt expliqua, pensif. « Quand la température baisse, on produit tous de la chaleur pour se réchauffer, et c'est pour ça qu'on voit notre souffle dans l'air froid. Toi… rien. Comme si ton corps ne réagissait pas. »
Ciri, visiblement inquiète, prit ma main et la toucha plusieurs fois, comme pour vérifier. Puis elle se tourna vers Geralt.
« N'importe quoi, il est bien chaud ! »
Je ris doucement. « Tu pensais que j'étais mort ou quoi, Ciri ? »
« Non, enfin… tais-toi ! » répliqua-t-elle en se replongeant dans son chocolat chaud, boudant un peu.
Je comprenais pourquoi elle réagissait comme ça. Depuis qu'elle commençait à se remettre de sa perte, elle restait souvent près de moi, comme si elle avait peur que je disparaisse. Et je savais ce qu'elle ressentait. La solitude, c'est quelque chose de terrible. Quand j'étais à l'hôpital, je rêvais de vivre une vie normale, de pouvoir partager des moments simples avec mes parents, comme une vraie famille. Mais tout ça me semblait si lointain, comme un monde que je ne pouvais qu'imaginer, sans jamais pouvoir le rejoindre.
J'avais parlé de l'attitude de Ciri à Geralt, et il m'avait assuré qu'il aborderait la question une fois à Kaer Morhen.
Geralt rompit le silence. « Une partie de Gwynt, ça vous dit ? »
« Oui ! » s'écria Ciri, retrouvant tout de suite le sourire.
« Ça marche, » ajoutai-je, content de passer à autre chose.
Plusieurs parties de Gwynt s'enchaînèrent. Je jouais la faction Scoia'tael, tandis que Ciri et Geralt prenaient les Royaumes du Nord. (Perso, j'ai toujours aimé la Scoia'tael pour ses combos de cartes enchaînées !)
Après avoir fini nos verres, on retrouva Roach et reprit la route.
-------------------------
« Pfiou. »
« Bien joué, Aiden. Tu fais encore quelques gestes inutiles, mais ton état d'esprit s'améliore, » déclara Geralt en me lançant un regard approbateur.
Je hochai la tête, tentant de me concentrer sur la tâche que je devais encore finir. Devant moi, les deux noyeurs que j'avais abattus étaient étendus dans la neige, leurs formes étranges et tordues éclairées par la lumière faiblissante de l'après-midi. Les noyeurs étaient des créatures aquatiques, avec leurs yeux blancs et vitreux, leurs longues griffes empoisonnées, et leurs bondissements imprévisibles pour attaquer leurs proies. J'essayais de ne pas y penser alors que je m'approchai de l'un d'eux pour en extraire le cerveau.
À l'idée de manipuler cette masse gélatineuse, un léger dégoût me gagna, mais j'essayais de ne pas le montrer. C'était un entraînement, et je savais que Geralt m'observait, évaluant chaque mouvement.
« Va doucement, » dit-il en se rapprochant. « Le cerveau de noyeur est fragile. Si tu l'abîmes, ta potion d'Hirondelle pourrait bien se transformer en poison. »
Je déglutis et tentai de me concentrer. À l'aide de mon couteau, je découpai lentement autour de la tête, élargissant doucement la zone pour éviter de presser trop fort. L'odeur légèrement putride du noyeur me donnait la nausée, et chaque fois que je jetais un coup d'œil au cerveau visqueux, j'avais l'impression de voir quelque chose que personne ne devrait jamais voir. Mais, sous le regard attentif de Geralt, je devais tenir bon. Je retirai finalement le cerveau, le déposant avec soin dans un bocal d'eau pour le conserver.
Je me redressai, les mains couvertes de sang, et partis les laver rapidement. Quand je revins vers le campement, j'aperçus Geralt et Ciri en train de discuter, ou plutôt… de se disputer.
« Je te dis qu'on doit d'abord faire cuire la viande, et ensuite mettre la sauce ! » disait Ciri, les sourcils froncés d'un air sérieux.
« N'importe quoi, » répliqua Geralt en croisant les bras. « Il faut d'abord mettre la sauce, pour que la viande s'imprègne bien. »
J'eus un sourire en voyant leurs expressions. Ciri, avec son regard de défi, et Geralt, d'habitude si stoïque, qui semblait pour une fois… détendu. C'était étrange et, en même temps, ça réchauffait quelque chose en moi. L'espace d'un instant, mon esprit s'échappa du campement, et une image floue me traversa : une table, des voix qui riaient, un foyer chaleureux. J'avais l'impression que Geralt et Ciri, juste devant moi, prenaient la place de mes parents, comme si cette scène dans l'auberge pouvait vraiment être ma réalité.
Le froid me ramena à la réalité, et je relevai les yeux vers le ciel. Des flocons de neige tombaient doucement autour de nous, recouvrant le sol d'une fine couche blanche. Le crépitement du feu du campement réchauffait un peu l'air, et l'odeur de viande en train de cuire se mêlait à la fraîcheur de l'hiver. Je restai immobile un instant, et sans le réaliser, mes yeux se mirent à briller faiblement, diffusant une lueur étrange dans l'obscurité qui tombait.
Si quelqu'un s'était tenu tout près, il aurait senti un souffle glacial émaner de moi.
Je me rapprochai de Geralt et Ciri, toujours en train de débattre. Sans rien dire, je pris la viande et la sauce, et les ajoutai tous les deux en même temps dans la marmite. Les deux s'arrêtèrent net, me fixant comme si j'avais commis la pire des erreurs.
« Hé ! C'est pas comme ça qu'on fait ! » protesta Ciri, croisant les bras.
Geralt leva les yeux au ciel, une lueur d'amusement passant furtivement dans son regard. « Décidément, la cuisine d'un sorceleur en formation… »
Je haussai les épaules. « Eh bien, comme ça, tout le monde est content. »
Ciri me jeta un regard faussement outré, avant de sourire malgré elle. Elle n'avait que onze ans, et ses joues rougies par le froid la rendaient encore plus expressive. Je savais qu'elle tenait beaucoup à ces moments où on était ensemble, comme une vraie famille.
Geralt observa la marmite, puis moi, avant de lâcher : « La prochaine fois, laisse la cuisine à ceux qui savent s'y prendre. »
Je ne pus m'empêcher de rire. Geralt, ce sorceleur toujours sérieux et silencieux, qui s'amusait à se disputer avec une enfant… Cette ambiance faisait naître en moi un sentiment de chaleur, comme si, pour une fois, j'avais trouvé un endroit où je pouvais vraiment être moi-même.
-----------------------------------
La tempête de neige faisait rage autour de nous. Le vent glacé nous frappait en plein visage, et chaque pas dans la neige profonde demandait un effort presque surhumain. J'essayais de suivre Geralt, mais c'était difficile de le voir à travers les tourbillons de neige.
« GERALT, OÙ ALLONS-NOUS ? » criai-je pour me faire entendre.
« IL Y A UN VILLAGE PAS LOIN ! J'AI UN AMI QUI ME DOIT LA VIE, IL NOUS HÉBERGERA ! »
Chaque pas était de plus en plus difficile, et je glissai plusieurs fois sur la neige. Ciri, elle, avait encore plus de mal. Elle luttait pour avancer, ses pieds s'enfonçant dans la neige épaisse. Elle serrait les dents, déterminée, mais chaque rafale de vent semblait l'emporter un peu plus. Finalement, je la soulevai par les épaules et la fis monter sur Ablette. Elle s'accrocha fermement au cheval, ses doigts crispés sur les rênes, et je voyais qu'elle tremblait de froid.
Ce qui m'intriguait, c'était la façon dont mon corps réagissait. Je sentais bien la neige et le vent contre ma peau, mais ce froid ne m'atteignait pas comme il le devrait. Je ne frissonnais pas, je n'avais pas besoin de serrer les dents ou de replier mes bras pour me réchauffer. Et plus étrange encore, j'avais comme une certitude sur la direction à prendre, presque comme si je pouvais voir le chemin à travers la tempête. Ce n'était pas une vision normale, ni quelque chose de magique, mais je savais que là où le froid était le plus intense, là où la neige semblait s'accumuler le plus, je trouverais le bon chemin. La tempête me paraissait familière, presque apaisante. La neige qui se déposait sur moi ressemblait à une couverture, et le vent glacial me semblait presque agréable, comme un vieil ami.
Bientôt, nous atteignîmes un village. À travers la neige, je pouvais apercevoir des maisons, leurs contours flous et sombres dans la lumière grise de la tempête. Juste avant d'entrer, Geralt leva la main pour nous faire signe de nous arrêter. Nous restâmes là, immobiles, tandis que la neige continuait de tomber autour de nous, assourdissant les sons.
Les minutes passaient, et le silence devenait de plus en plus étrange. Ciri, la voix tremblante, finit par briser ce silence.
« Qu'est-ce qui se passe ? »
Geralt, concentré, ne répondit pas. Il scrutait l'obscurité du village, ses yeux plissés et méfiants. Avant que Ciri puisse insister, je murmurai doucement :
« Ciri, chut. Écoute… il n'y a aucun bruit. »
Elle regarda autour d'elle, et je sentis qu'elle comprenait. Le village était étrangement silencieux. Aucun son, aucune voix, pas même un feu qui crépite. Seulement le vent qui soufflait et le grincement de quelques volets qui claquaient au loin, comme dans un village abandonné.
En avançant vers les premières maisons, je remarquai des empreintes dans la neige, à peine visibles, comme si quelqu'un était passé ici avant nous. Mais les traces s'arrêtaient brutalement, laissant un vide étrange et soudain. Les volets de certaines maisons battaient au rythme du vent, donnant à l'endroit un air abandonné, comme si les habitants avaient fui précipitamment.
Geralt, toujours attentif, murmura plus pour lui-même que pour nous : « Ce village ne devrait pas être aussi calme. Restez près de moi. »