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Chapter 20 - Chapitre 19 : Tapis dans l’ombre (5)

Son garde du corps personnel le suivant telle son ombre, Hizashi Ryūno, chef actuel des Dragons de Shinjuku, pénétra dans les cachots du sous-sol de la maison principale du clan.

Les semelles de ses sandales de bois claquaient sur les marches de pierre à chacun de ses pas. L'odeur âcre de l'humidité s'insinuait dans ses narines tandis qu'il s'enfonçait plus profondément dans les escaliers.

Encore trois marches. Deux. Une.

La bouche fermement close, Hizashi mit pied à terre sans se dépêtrer de son allure digne de dirigeant.

Repoussant une mèche de cheveux, le chef du clan Ryūno réajusta le pan de son kimono qui s'était froissé lors de sa descente. Ses iris charbonneuses et brillantes tel de l'encre de chine brossèrent de gauche à droite les lieux.

Le calme y régnait ; un affreux mélange de silence et de pesanteur qui aurait eu don d'en faire tourner des talons plus d'un.

Même après autant de temps sans y avoir réellement mis les pieds, cet endroit n'avait connu aucun changement notable, comme figé dans le temps.

Les briques froides et fades qui flanquaient les murs rappelaient l'ambiance des vieux donjons d'occident ; un endroit érigé dans le but pur et simple d'enfermer les criminels. L'unique fragment de vie présent en ces lieux se révélait être les lumières frémissantes des flammes des chandelles suspendues aux murs. Ces dernières projetaient des ombres oscillantes sur la surface insipide et rugueuse des pierres.

Cet endroit, Hizashi n'y mettait les pieds qu'à de rares occasions ; principalement quand certains prisonniers se montraient davantage vigoureux et indomptables que la moyenne. En général, sa simple présence, celle du chef à la tête du clan ayant jadis retourné les forces de l'ordre et les autorités de la préfecture de Tokyo, suffisait à dissuader les plus téméraires de s'entêter dans le mutisme ou d'exposer ne serait-ce qu'un soupçon de rébellion.

Hizashi fixa d'un air sombre ce lieu baigné de noirceur à demi opaque.

La première fois qu'il y était descendu, dans ses lointaines années d'adolescence, Hizashi avait dû réprimer le choc qui s'était emparé de lui. L'odeur âpre du sang et l'ambiance de mort et de souffrance qui l'emplissaient l'avaient longuement tourmenté après cela. Si tant et bien qu'à sa montée au pouvoir, le second chef du clan Ryūno avait préféré mandater le rôle de l'interrogateur à des subordonnés qu'il estimait suffisamment compétents et loyaux.

La supervision de cette unité de renseignements avait ainsi été léguée à son père, Shigeru Ryūno, l'ancien chef du clan.

Faisant signe à son garde du corps de le suivre, une chandelle à la main, Hizashi débuta sa lente, prudente ascension du couloir séparant les cellules. Ses yeux s'efforcèrent de scruter avec précaution la mi pénombre à la recherche de son père, qui s'était lui-même déplacé dans ses quartiers pour le convier sans plus tarder dans les cachots.

Aux yeux du monde, ce père s'était retiré des devants de la scène et vivait paisiblement de choses simples ; s'abreuvant de thé chaud, comblant sa gourmandise de friandises onéreuses et se prélassant au soleil le reste de la journée.

Cependant, pour ceux qui le côtoyaient régulièrement, Shigeru Ryūno revêtait un visage bien plus sombre et dominant ; celui d'un homme dans l'incapacité de renier son addiction à l'adrénaline du conflit.

Shigeru Ryūno respirait la violence et ne se sentait vivre que quand les lames luisantes de ses katanas tranchaient d'un mouvement vif et précis la chair de ses opposants. Les uniques stigmates de ses chevaleresques embardées contre ses opposants prenaient la forme d'interminables estafilades pâles sur sa peau bronzée, que son kimono couteux et finement œuvré parvenait à peine à dissimuler.

Son père était l'homme parfait pour tenir le rôle du chef du département de renseignements du clan. Hizashi le savait.

Ce fut ce qui l'amena à se précipiter à son appel.

À l'aube, tel un oiseau de mauvais augure, tandis qu'Hizashi ouvrait à peine les paupières en percevant des pas dans le couloir menant à sa chambre, ce père qui constamment portait le masque de la désinvolture, s'était présenté à sa porte. D'un timbre de voix qu'Hizashi n'avait entendu qu'à de rares opportunités, ce dernier lui avait dit ces mots :

« Une surprise de taille vient de nous être offerte dans les cachots, Hizashi. Viens donc vérifier de tes propres yeux. »

Pressentant l'urgence, Hizashi avait abandonné son futon pour s'habiller à la hâte. D'un pas pressé, Toshiro et lui avaient traversé les allées de la maison sans se faire remarquer.

Imperturbable, Hizashi poursuivait sa marche. Il lui fallut s'enfoncer jusqu'à l'avant-dernière cellule sur la gauche pour déceler du mouvement.

Derrière cette grille de fer épaisse se tenaient debout trois autres silhouettes qu'il distingua sans mal malgré la pénombre. Chacune d'elles lui tournait le dos et s'attroupait autour d'une quatrième personne assise sur un siège.

Le chef du clan attendit que son garde du corps finisse de repousser la dissonante porte de la cellule pour s'y avancer. Les trois hommes présents dans la cellule tournèrent le menton dans sa direction. Les deux premiers, Genji et son subordonné Tetsu, le saluèrent en s'inclinant respectueusement.

- Veuillez nous excuser de vous avoir réveillé au beau milieu de la nuit, Oyabun, dit platement son conseiller.

Hizashi lui rendit un mouvement négatif de la tête.

- Relevez la tête. L'heure n'est pas aux excuses mais aux explications. Que se passe-t-il ?

Genji et Tetsu échangèrent un regard sombre avant de se décaler d'un pas en arrière. Hizashi put de ce fait déceler plus en détails la silhouette du dernier homme dans la pièce, celui assis sur la chaise et à côté duquel se dressait droit comme un piquet son père.

En parlant de son père, par ailleurs, celui-ci n'avait daigné lui accorder un regard que maintenant. Son seul œil valide était paré à lancer des éclairs.

- Les prisonniers…, expliqua Genji, l'air pincé. Ils ont tous été éliminés pendant la nuit.

Les yeux du chef s'écarquillèrent légèrement. Éliminés ? Malgré sa stupeur, Hizashi se força à récupérer contenance.

- Savons-nous quand cela est arrivé ? interrogea-t-il, la voix ayant perdu une octave.

- Si l'on s'en réfère à l'état des corps, répondit cette fois Tetsu, qui se décida à intervenir parce qu'il en connaissait plus sur le sujet que quiconque présent dans la cellule… Nous pouvons estimer que cela s'est passé entre une heure et deux heures du matin.

Genji acquiesça d'un hochement du menton et précisa à son tour :

- À preuve du contraire, ils sont tous morts d'un coup décisif à la gorge. La coupe a été nette et précise, presque chirurgicale.

- Maître Genji a raison, renchérit l'expert en torture. Oyabun, nous avons affaire à quelqu'un qui s'y connait en matière de meurtre rapide.

Les paupières d'Hizashi se resserrèrent.

- Pourrions-nous avoir plusieurs tueurs ?

- J'en doute fortement, nia Genji. Mon subordonné les a tous examinés avant votre arrivée et les coupures sont semblables.

Tetsu opina.

- Les entailles sont toutes au même endroit sur les trois corps, et ont toutes été réalisées de la gauche vers la droite, d'une ligne, sans la moindre hésitation.

- Si on s'en réfère à tout cela, en déduisit Hizashi, en croisant les bras sur son buste, notre suspect serait donc droitier.

- C'est très probable. Et ses compétences ne sont pas à prendre à la légère.

Cette fois, Hizashi se pinça l'arête du nez entre deux doigts.

Si Tetsu, l'homme qui maniait mieux les ustensiles de torture que quiconque dans le clan Ryūno, affirmait qu'il ne fallait pas sous-estimer l'auteur des meurtres, cela signifiait qu'il leur fallait redoubler de vigilance.

'Mais droitier…'

Hizashi émit un claquement sec de la langue. Bon nombre de ses subordonnés étaient droitiers. Réduire le champ des possibilités s'annonçait quelque peu compliqué.

- Qu'en est-il de l'arme utilisée ? A-t-elle été emmenée par le coupable ?

Puisque les meurtres avaient été perpétrés de la même manière, il était logique pour Hizashi de songer à une seule arme du crime, tout comme il était logique pour lui de penser que celle-ci avait été gardée par celui qui en était à l'origine. Cette conduite aurait été la plus rationnelle.

Cependant…

- C'est-à-dire que…, hésita Tetsu, en jetant un regard en coin à l'ancien chef du clan.

Hizashi n'eut pas le temps de l'interroger davantage, parce que ses yeux suivirent avec automatisme la ligne que traçaient ceux du subordonné de son conseiller.

Quelque chose le troublait depuis son entrée dans la cellule, un détail qui détenait toute son importance compte tenu de la situation actuelle. Depuis tout à l'heure, son père s'était abstenu d'énoncer ne serait-ce qu'une seule phrase. Le visage plongé dans l'obscurité, muet comme une tombe, il s'était contenté de fixer la dépouille sans vie et dorénavant froide du prisonnier.

Comme s'il prenait conscience de l'intérêt général qui s'était redirigé vers lui, Shigeru redressa enfin le menton. Dans sa main trônait un tissu immaculé ; Hizashi décela sur le tissu, entre les interstices laissés par les larges doigts de son père, ce qui ressemblait à des tâches sombres.

À sa droite, Toshiro, le visage grave et une main sur le manche de son arme à feu, lui présenta une chandelle qu'il avait détachée d'un des murs. Hizashi s'en empara puis s'avança jusqu'à l'homme échoué sur la chaise.

Shigeru présenta le mouchoir en tissu à son fils.

Ce fut à l'instant-même où l'arme blanche toucha sa paume que le noiraud saisit ce qui avait pu autant mettre en déroute ses subordonnés. À l'intérieur du mouchoir, brillant d'éclats d'argent, d'orangé et de cramoisi, reposait un couteau à viande. Orné d'une poignée noire, l'arme était munie de d'une lame aux petites dents aussi acérées que des lames de rasoir.

Hizashi avança la lame vers la flamme de la chandelle. Un spectacle funèbre se révéla à lui : pendant sur la lame, des restes de sang séché et de ce qu'il présuma être de la peau étaient encore visibles.

À la surprise de tous, qui s'étaient un peu malgré eux habitués à la quiétude morbide de la cellule, la voix caverneuse de l'ancien chef du clan résonna, comme si elle émergeait des profondeurs du néant.

- Notre petite souris fouineuse a un humour pour le moins intéressant, ne penses-tu pas, Hizashi ?

Derrière lui retentit le claquement d'une sandale de chaussure sur les pierres du sol. Hizashi ne s'embêta pas à vérifier ce qui avait provoqué ce bruit ; il comprenait sans mal ce qui avait fait esquisser un pas de recul à Tetsu. Il le comprenait, effectivement, car s'il n'avait pas bénéficié de l'expérience de ses nombreuses années en tant que chef, si Hizashi n'avait pas les épaules aussi solides, il n'aurait pu que se mordre avec nervosité l'intérieur de la lèvre inférieure tant l'air lui donnait la très nette impression de s'être subitement raréfié.

En dépit du ton chantonnant qui s'était dégagé de la phrase de son père, une lueur assassine vrombissait de son seul œil valide. L'ombre de l'ancien chef du clan que les flammes oscillantes des chandelles projetaient sur le mur avait doublé de volume.

À nouveau, Hizashi comprit sans grande difficulté ce qui avait éveillé cette indubitable animosité chez son paternel.

- C'est une de nos armes.

Le couteau qu'il tenait dans sa main appartenait sans conteste au clan Ryūno.

Contrairement à d'autres clans, le clan Ryūno avait une politique interne beaucoup plus stricte. Les armes n'étaient attribuées qu'en des occasions précises et à des personnes qui s'étaient montrées dignes de les manier.

Deux cas de figure se dessinaient : seuls les membres ayant prouvé leur valeur lors d'un rite initiatique, tels que les gardes du corps des hautes pointures du clan, et ceux s'étant élevés d'une manière ou d'une autre dans la hiérarchie du clan, pouvaient en bénéficier. Ainsi, les jeunes recrues arrivées depuis peu dans les rangs du clan – les kobun ayant prêté allégeance récemment –, n'étaient pas ou que peu susceptibles d'utiliser à tords ces propriétés aussi coûteuses que belles et mortelles.

Ce qui différenciait tant les lames et armes à feu ordinaires utilisées par les forces de l'ordre ou trouvables sur le marché noir, de celles utilisées par le clan Ryūno était les gravures finement élaborées qu'elles comportaient. Chacune d'entre elles, pièce d'art à elle seule, était à la fois unique en son genre et entrait dans l'uniformité du clan ; elles se voyaient apposées du sceau du clan, le kanji du dragon, sur une tranche de la lame pour une arme blanche ou sur un côté du manche pour une arme à feu, et du dessin choisi par son propriétaire de l'autre.

Mis devant les faits accomplis, une pointe d'agacement irrita les nerfs pourtant tenaces d'Hizashi. Plus personne n'osa émettre un traître son en voyant son visage se rembrunir. Plus personne, sauf une seule personne ; un sourire sans joie se dessina sur les traits de Shigeru. Un feu ardent brillait à l'intérieur de son seul œil noir.

- Il n'y a pas à dire, j'aime vraiment les fauteurs de troubles. Ils sont si distrayants !

À la lumière de la chandelle que Hizashi tenait dans sa main, la cicatrice qui fendait de haut en bas la figure de l'ancien chef du clan, accentuait l'aura de folie destructrice qui se dégageait de tout son être.

Hizashi se força à se détourner de la bombe à retardement qui se tenait debout devant lui, pour porter son attention sur son garde du corps.

- Il semblerait que le traître souhaite semer la discorde dans le clan, fit ce dernier.

Son expression, d'ordinaire si solennelle et digne de l'homme menant la troupe d'élite la plus performante du clan, témoignait à présent de son dépit.

Hizashi hocha le chef. Son garde du corps venait de mettre le doigt sur le fond du problème. Il lui fallait en avoir le cœur net. Il obliqua la tête vers son conseiller.

- Qui était de garde ?

- Mes subordonnés, répondit aussitôt Genji.

La mâchoire de Hizashi se contracta.

- Ont-ils été les premiers à les découvrir ?

- Je le crains, malheureusement, admit Genji en hochant le chef.

- Mets à l'isolement tous ceux qui ont été en contact de près ou de loin avec les prisonniers, ordonna Hizashi. Il ne faut pas que la rumeur d'un possible traitre dans nos rangs se répande.

Le père de Toshiro courba le dos.

- Ce sera fait dans les plus brefs délais, Oyabun.

Hizashi ne laissa rien transparaître de l'élan de soulagement qui le submergea à l'idée d'avoir été mis au courant de la situation dans un délai suffisamment court pour qu'il puisse prendre des mesures adaptées.

Ayant des subordonnés au sang chaud, le chef du clan préférait étouffer tout conflit interne dans l'œuf avec des mesures drastiques s'il le fallait.

Le conseiller du chef de clan, ayant fini de s'incliner avec respect, se tourna dorénavant vers l'unique subordonné qu'il avait amené avec lui à visage découvert ; Tetsu Shibata.

Personne n'aurait pu deviner que l'expert en torture n'avait en vérité même pas trente-deux ans, qu'il était d'un naturel nerveux une fois que trop d'attention lui été témoignée et que, par-dessus tout, il portait en vérité une cagoule pour cacher tant son identité, que ses flamboyants cheveux teints en vert et le piercing argenté qui pendait à sa narine gauche.

Le seul tatouage qu'il arborait n'était, contrairement à ses confrères, pas visible ; il prenait grand soin de le dissimuler sous des vêtements amples dès qu'il en avait l'opportunité.

Tetsu avait beau être un yakuza, il évitait de faire parler de lui quand il n'était pas commissionné pour un travail de renseignement – plus simplement parlant, quand il n'était pas appelé pour ses talents incontestés de bourreau. Cependant, en parfait paradoxe ambulant, cet homme de l'ombre qui se complaisait dans son anonymat le plus total attirait davantage l'œil que n'importe qui dans la maison principale.

- J'ai compris, se contenta de dire le vert à son supérieur en haussant les épaules. Je dois cacher les corps le plus rapidement possible, pas vrai ?

- Tu m'en vois navré de te demander cela, s'excusa Genji. Mais nous ne pouvons les laisser aussi exposés à la vue des curieux.

- Vous en faites pas, boss, brossa Tetsu d'un geste vague de la main. Le boulot, c'est le boulot. Commandez et j'exécute.

Sur ces mots, il enfila à nouveau les gants en cuir noir qu'il avait enfoncé dans sa poche de pantalon et s'avança vers le prisonnier inerte afin de le délester de ses entraves.

- Oyabun, fit en chuchotant Toshiro.

Il s'était avancé d'un pas pour que personne ne puisse entendre ce qu'il avait à dire.

- Qu'allez-vous faire des gardes de la maison principale ?

Hizashi lui jeta un regard en coin. Cette question ne sortait pas de nulle part ; à demi-mots, Toshiro lui demandait ce qu'il comptait faire pour débusquer et se débarrasser du traître.

- Laissons les attributions telles quelles pour l'instant. Les changer ne rendrait les choses que plus soupçonneuses. Nous devons agir avec précaution et faire croire au traître qu'il dispose toujours d'une longueur d'avance sur nous. Il ne faut sous aucun prétexte laisser cette histoire s'ébruiter.

- Très bien, Oyabun.

- Pour ce qui est de mes fils, en revanche…

Le chef du clan se mit à fixer un point non précis du sol, se souvenant de la venue de son fils Kaito la veille dans ses quartiers, et en particulier de la raison pour laquelle celui-ci s'était présenté à lui.

- Ordonne simplement la mise en exergue de la surveillance rapprochée de mes fils et de ma femme. Je veux un rapport quotidien de leurs gardes du corps respectifs.

À l'ordre donné par son chef, Toshiro pinça les lèvres, l'air préoccupé.

- Oyabun… commença-t-il. Le Jeune maître Kaito est…

Hizashi jeta un regard entendu à son garde du corps avant de souffler entre ses dents. Il savait ce qui avait poussé Toshiro à hésiter de la sorte.

Si Sora avait accepté du bout des lèvres la surveillance rapprochée qui lui avait été imposée, Kaito, à sa plus grande surprise, étant pourtant d'un naturel calme et réfléchi, s'était montré davantage réticent que son frère aîné.

En effet, la veille, son fils avait quémandé une audience pour lui faire part de son mécontentement quant aux nouvelles mesures adoptées depuis le sauvetage de son frère. Dès qu'il avait appris que son fils aîné, Sora, avait été la cible d'un gang, Hizashi avait sans attendre renforcé la surveillance de son cadet, Kaito, l'obligeant à toujours être suivi d'au moins un garde du corps dans l'enceinte de la demeure familiale.

En dépit de la déception évidente de son cadet, la décision d'Hizashi n'avait cependant pas changé pour autant. Le chef du clan était demeuré campé sur ses positions.

- J'en ai bien conscience, toutefois tant Kaito que Sora devront s'y plier jusqu'à ce que l'identité du coupable soit révélée ; ordre du chef du clan.

Toshiro s'inclina.

- Entendu.

- Comment se porte mon fils ? demanda le chef du clan, après avoir laissé planer entre eux une courte pause.

- Le jeune maître Sora ? l'interrogea Toshiro, afin de s'assurer d'à qui faisait référence son chef, avant de sourire d'un air confiant. Sa guérison semble être en bonne voie.

Le plus âgé ébaucha un hochement du menton.

- Ses besoins sont-ils bien tous assurés ?

Toshiro acquiesça.

- Oui, Oyabun. D'après les informations que nous avons pu glaner de son garde du corps, il passe ses journées devant la télévision ou en compagnie de sa servante et du fils de celle-ci.

- Rien qui ne sorte de l'ordinaire ?

Hizashi insista. Sa récente discussion avec Sora, le marché qu'ils avaient conclu et l'animosité manifeste de son aîné, lui trottaient encore dans la tête. L'attitude précédente de son fils, pourtant si calme d'ordinaire, connaissait des changements plutôt drastiques dernièrement, et Hizashi n'avait aucune idée de ce qui pouvait passer par la tête de cet enfant au tempérament plus rebelle que ce qu'il avait un jour cru possible.

- Non, Oyabun. Le Jeune maître Sora semble se tenir à carreau pour l'instant. D'après les témoins, il ne sort de ses quartiers que pour faire une petite balade dans le jardin durant l'après-midi ou dans la soirée, et se contente de se reposer le reste de la journée.

- Bien.

Hizashi accompagna sa réponse d'un hochement satisfait du menton.

- Et Kaito ?

- Le Jeune maître Kaito passe tout son temps libre dans le dojo, à s'entrainer au maniement du katana. Il semble prendre son apprentissage très à cœur.

- Très bien. Veille à ce qu'aucun d'entre eux ne quitte l'enceinte de la maison principale.

- À vos ordres.

Hizashi marqua une pause. Ses iris ténébreuses glissèrent en direction de son père et accrochèrent son seul œil valide. Shigeru l'épiait sans mots dire, les bras croisés, depuis le chevet du prisonnier décédé.

Le second chef du clan serra les dents. Le message que son père lui avait fait passer la dernière fois était clair : « Il serait temps que tu ressers la vis. »

Hizashi ne s'en priverait pas cette fois. Lui qui avait toujours tout fait pour se montrer clément envers les erreurs de ses subordonnés, il ne pouvait reproduire ce schéma dans le cas présent. La tournure qu'avait pris les événements était devenue trop extrême pour qu'il puisse pardonner aussi facilement.

Dans ce cas…

- Une dernière chose, Toshiro, reprit-il, avec fermeté.

- Chef ? fit l'interpellé, sur le ton d'une question.

- Je veux qu'un message soit également transmis à mes fils. Ils sont tous deux conviés pour une réunion d'urgence.

Hizashi se tourna ensuite vers le reste des personnes présentes dans la pièce, qui avaient toutes suivi l'échange dans le silence le plus complet, et, d'une voix portante qui témoignait qu'il n'accepterait aucun refus de leur part, il annonça :

- Cette réunion concerne tout le monde. Elle se déroulera dans la grande salle demain. Je veux que tous les subordonnés de la maison principale y participent sans aucune exception. L'heure prévue vous sera communiquée sur le tas.

Genji et Tetsu s'inclinèrent d'un même mouvement.

Hizashi ne communiquerait l'heure de la réunion que seulement quelques minutes avant que celle-ci ne commence. En faisant cela, le chef du clan espérait mettre en déroute ses subordonnés, afin de voir lequel, parmi eux, serait le plus troublé par cette annonce.

Hizashi n'espérait pas en tirer quelque chose, en vérité, pas dans l'immédiat en tout cas, mais il serait intéressant pour lui d'épier les faits et gestes de tous ceux qui seraient présents le moment venu. Le moindre malaise, le moindre changement dans leur expression, lui suffirait à restreindre la liste des possibilités sur son ardoise.

- De plus, ajouta-t-il. Ne laissez personne sortir ni entrer dans la maisonnée sans qu'il ne soit accompagné d'au moins deux autres personnes. Traquez les faits et gestes de ceux qui ont franchi la double porte d'entrée cette dernière semaine. Recherchez dans les moindres recoins cette souris. Qu'elle ne nous échappe pas.

Tandis que Genji, Tetsu et Toshiro approuvaient l'ordre en chœur, Hizashi put distinguer, malgré la pénombre de la cellule, un rictus se croquer sous la barbe drue de son père.

Hizashi ferma les poings. Son père avait raison. La discipline était de mise. Il pousserait cet invité indésirable à se trahir de lui-même.

Il était temps de faire danser jusqu'à l'épuisement cette souris fouineuse sur les braises incandescentes de la demeure du Dragon.