S'il y avait bien une chose qui horripilait Sora au plus haut point, c'était de se retrouver face à des personnes manquant de civilité, ce genre de personnes qui profitaient d'un état de supériorité pour écraser les autres et se sentir exister.
Par ailleurs, ce qui empirait son sentiment d'énervement était le fait de ne pas être en mesure de faire redescendre ces personnes de leur piédestal en leur bouclant le clapet.
En toute honnêteté, si on lui avait dit, il y a quelques heures à peine, qu'il penserait un jour à sermonner ses assaillants, il en aurait ri. Sora se savait être du genre à se moquer ouvertement des autres – d'antan il utilisait cela comme mécanisme de défense, dorénavant cela lui était devenu aussi naturel et spontané que de boire de l'eau –, en particulier quand ces derniers avaient aussi peu de charisme que le leader de ce gang. Pourtant, son ironie naturelle avait du mal à pointer le bout de son nez quand il était incapable de saisir la raison pour laquelle on le ciblait.
Voilà où il en était : dans une situation qu'il était le premier à ne pas saisir, à la merci d'un groupuscule de personnes, bâties pour plusieurs d'entre eux comme des tanks, et aux ambitions de toute évidence sulfureuses – impliquant visiblement sa famille.
'Génial.'
Il affala le dos sur son siège, une chaise en bois grinçante et inconfortable sur laquelle on l'avait balancé et ficelé sans scrupules, en serrant les dents.
Lorsqu'il avait enfin recouvré conscience, le décor de pluie, de gars aux muscles saillants et de boue qu'il avait aperçu avant de perdre connaissance avait laissé place à une obscurité opaque. Quelques secondes avaient été nécessaires pour comprendre qu'on lui avait bâillonné les yeux avec un tissu, car Sora ne distinguait absolument rien de son environnement. Il s'était ensuite aperçu qu'en plus d'être ligoté au point d'en avoir les poignets et les chevilles endoloris, il devait être retenu dans une pièce mal chauffée. Des salves de frissons redressaient les poils de ses bras.
Voilà bien une trentaine de minutes – ou une heure peut-être ? Il n'en savait trop rien, il avait perdu la notion du temps – qu'il avait rouvert les yeux. Les événements dans lesquels il avait été malgré lui embrigadé avaient mis du temps à lui revenir. Il ne s'était d'abord souvenu que de bribes ; sa soirée devant un livre, l'instant où il avait décidé de se mettre au lit, son passage dans le coffre de la voiture, ses efforts infructueux pour ouvrir ce dernier, la force et la violence avec laquelle il avait été décollé du coffre puis jeté sur l'épaule d'un homme qu'il n'avait jamais vu une seule fois dans sa vie. Puis c'était la conversation entière échangée entre ses ravisseurs qui lui était revenue, durant laquelle son nom de famille et son père avaient tous deux été évoqués.
Laissant à son cerveau le temps de comprendre les tenants et les aboutissants de sa situation, il avait attendu que les relents de nausées ne se dissipent avant de vraiment tenter d'expliquer ce qui lui arrivait. Ses entrailles lui donnaient la désagréable sensation d'être coincé dans une attraction forte.
Sora renâcla.
Plus il réfléchissait, moins il comprenait.
Les minutes qui avaient suivi l'instant où il avait rouvert les yeux, et surtout après avoir cherché sans succès à se débarrasser de ce qui lui obstruait la vue, il les avait passé à réfléchir avec un calme dont il fut le premier surpris. Les rouages de son cerveau carburaient à plein régime, des séries de tremblements ébranlaient ses bras et ses jambes, mais lui, d'une manière assez folle, demeurait serein. À défaut d'un corps en parfaite condition (au minimum, il devait bien avoir une ou deux côtes fêlées, une flopée d'hématomes, la lèvre fendue et peut-être même un cocard à l'œil droit), le fil de ses pensées était clair comme de l'eau de roche.
Il se demandait, au fond, si c'était cela que l'on appelait le « mode survie ». Sora avait appris l'existence de ce mécanisme de survie dans un reportage. Cet état de transe était également parfois décrit dans les livres qu'il lisait. En cas d'extrême stress, certaines personnes se figeaient sur place, choisissaient de se recroqueviller sur elles-mêmes en patientant que le danger ne s'estompe. D'autres, à contrario, parvenaient à garder leur sang-froid dans une situation supposée désespérée et à agir en conséquence.
Cela devait être son cas.
Son corps, cette chose si fichtrement bien foutue, se mouvait tel un automate pour garantir sa propre sécurité. Ses sens s'étaient affûtés, son cœur cognait tambours battants sous sa cage thoracique, son pouls percutait ses tempes. Il ne ressentait même plus le froid lui mordre les bras ; il ne ressentait rien.
Sora n'avait pas peur. Son côté rationnel avait depuis bien longtemps repris le dessus sur les appréhensions qu'il aurait pu développer. Il lui en fallait davantage pour ne serait-ce qu'être intimidé. Il était purement et simplement exaspéré de ne pas savoir pour quelle raison il se trouvait dans cette situation absurde.
Il claqua la langue.
Il s'apprêtait à pestiférer contre la personne qui avait eu la brillante – pardon, stupide, qu'on s'entende sur ce point – idée de mettre en place cette mascarade pour espérer l'angoisser, mais un bruit – non, une voix – sur sa droite rompit le silence et manqua de le faire sursauter.
- Jeune maître Sora ?
Sur le qui-vive, Sora eut le réflexe de se rabattre sur le dossier de sa chaise bancale. Cette voix…
- Irina ? s'entendit-il demander.
- C'est vraiment vous ?!, se réjouit sa servante. Vous êtes réveillé, je suis si soulagée !
La voix fluette d'Irina laissait en effet transparaître un soulagement sincère.
- Je ne savais pas ce qu'ils avaient pu vous faire, continua Irina. Est-ce que vous allez bien ? Ils vous ont frappé, n'est-ce pas ?
- Je vais bien, prit-il la peine de lui répondre devant ce flot de paroles ininterrompu. Et toi ?
- Sans ces liens aux mains, je serais parfaitement en état de les cogner.
Sora ne put contenir un léger pouffement. Quand bien même il ne pouvait la voir, son habituelle véhémence témoignait qu'elle allait effectivement bien.
- Comment va votre tête ? l'interrogea une fois de plus Irina. Ils vous ont frappé avec une barre de fer juste sous mes yeux.
Sora grimaça en se replaçant sur son siège.
- À part une migraine du feu de dieu, je pense pouvoir survivre.
- Je suis tellement désolée, Jeune maître, hoqueta Irina, la voix étrangement enrouée. Je n'ai rien pu faire.
- Ce n'est pas de ta faute, Irina. Je ne sais même pas ce qui est arrivé. Ni même comment va Yoshi. Ils l'ont emmené ici, aussi ?
La servante hésita.
- Vous... Vous voulez dire que vous ne vous souvenez de rien ?
Sora eut un rictus amer.
- Rien, non. Mes derniers souvenirs remontent à quand je me suis réveillé dans le coffre d'une voiture sans même savoir comment j'ai fait pour atterrir là.
Il y eut un silence, que la voix légèrement traînante et fatiguée de la servante rompit au bout de quelques secondes.
- Alors... Vous ne vous souvenez vraiment de rien ?
Irina avait insisté sur le mot "vraiment" ; Sora comprit qu'elle devait chercher à se convaincre elle-même en reposant la question.
- Il semblerait.
- Je commence à craindre que votre blessure à la tête soit plus sérieuse qu'il n'y paraît, Jeune maître. Si seulement je pouvais enlever ces liens, j'y regarderais tout de suite.
Sora préférait éviter de lui avouer que depuis son réveil, il sentait un endroit légèrement poisseux dans ses cheveux. S'il s'y risquait, la panique s'emparerait véritablement de sa servante et c'était la dernière chose qu'il voulait voir se produire. Pour noyer le poisson, il estima bon de revenir à leur précédent sujet de conversation : la raison de toute cette mascarade.
- Irina… Qu'est-ce qu'il s'est passé, exactement ? Tu le sais ?
- Oui, approuva-t-elle. Je me souviens de tout. Ce sont ces enflures, ils nous ont attaqué après que l'on se soit mis au lit ! Yoshi a essayé de nous protéger mais ils étaient plusieurs.
Entendre cette voix si douce, qui depuis tout à l'heure lui parlait sur un ton respectueux, prononcer de telles injures avec condescendance eut pour mérite de donner un coup de fouet à Sora. Entendre Irina proférer des injures alors qu'elle était toujours si prévenante avec lui eut pour mérite de lui rappeler qu'elle aussi faisait partie du monde de la nuit, quand bien même son rôle au sein de celui-ci était de moindre mesure qu'une grande pompe du clan.
- Ils ont osé s'en prendre à vous ! Ils vont payer cher pour avoir osé vous agresser. Je vais moi-même me charger de leur cas quand j'aurai réussi à enlever ces stupides liens !
Pendant que sa fidèle servante s'agitait comme une forcenée à ses côtés, Sora fut soudain traversé par une sombre pensée. Et si…
Il s'efforça à se racler la gorge avant d'enfin oser poser la question qui lui brûlait les lèvres.
- Irina…
La susnommée cessa de se débattre. Si Sora ne la voyait pas, il savait néanmoins qu'elle lui prêtait une oreille attentive.
- Tu penses que c'est de ma faute ?
De longues moments de flottement s'installèrent entre eux à la suite de sa question. Durant ces interminables instants, Sora ne put que se mordre nerveusement la lèvre inférieure. L'idée qu'elle puisse rejeter cela sur lui n'était pas le genre d'Irina, Sora la connaissait trop pour encore douter d'elle. Toutefois… Il ne pouvait nier que le timing était trop parfait pour ne pas ne serait-ce que se poser la question.
La fête d'anniversaire de son frère, l'acquisition d'un nouveau pachinko par son père, sa balade dans le quartier malgré les réticences d'Irina… Sora n'était en mesure de nier que ce « Et si… », que cette possibilité infime puisse exister, lui retournait l'estomac.
- Il est encore trop tôt pour se poser ce genre de question, Jeune maître. Et selon moi, cela me semble trop peu probable.
Irina avait répondu à ses doutes sur un ton qui se voulait rassurant, pourtant Sora pouvait entendre un léger soubresaut secouer ses mots. Au fond, il préférait cette réponse détournée, car il ne se pensait pas assez robuste, en l'instant présent, pour l'entendre lui rejeter la faute.
- Tu as raison, fut-il obligé d'admettre, malgré l'étau qui lui enserrait la gorge. Ce n'est pas le moment de penser à ça.
Comment ces gars avaient-ils pu savoir pour… lui, tout simplement ? Son existence n'était connue que par de rares personnes. Si cette omerta avait pu être douloureuse pour lui fut un temps, Sora avait appris, de par ses différents accrochages avec les racailles de son quartier, qu'il était parfois préférable d'être discret. Voilà pourquoi il n'avait plus cherché à se faire remarquer après cela.
- Tu as une idée de qui est derrière tout ça, pas vrai ?
Quand bien même il n'avait aucune idée de l'endroit où il était ni de ce que ces gars leur voulaient à tous les deux, Irina avait l'air plus au courant de la situation que lui.
- Sans doute un des gangs mineurs de la région.
Il entendit Irina s'agiter sur sa chaise, qui grinçait tout aussi fort que la sienne, si ce n'est plus.
- J'ai entendu dire, poursuivit-elle que le clan en gardait à l'œil depuis plusieurs semaines. Ce groupe-là a l'air d'être du genre violent.
À ses côtés, Irina s'était tue. Sora aurait voulu lui poser davantage de questions, mais il fut coupé net par un grincement, qui fut vite remplacé par le bruit de semelles de chaussures claquant sur du béton.
- Eh, tonna soudain une voix rappeuse qui évoquait celle d'un fumeur de longue date. Vous êtes trop bruyants là-dedans !
Sora déglutit avec difficulté. Dans sa bouche, sa salive transportait un arrière-goût de fer. Les pas de l'individu se rapprochaient. Il percevait chaque froissement de tissu provoqué par ses vêtements, chaque respiration, l'espèce de bourdonnement mécontent qui grondait depuis la gorge de l'homme. Encore cinq pas, il compta, et celui qui devait faire partie de ses agresseurs se tenait debout devant sa chaise. Il ne percevait à présent plus que son souffle dans ce silence pesant.
Son instinct parlait pour lui ; le nouveau venu n'annonçait rien de bon.
Il grimaça de douleur quand ses cheveux furent brusquement empoignés. Il renversa la tête vers l'arrière. Le tissu qui lui barrait les yeux s'échoua sur ses genoux.
- Qu'est-ce que vous lui faites, espèce de brute ?!
Le cri d'Irina claqua contre les murs froids de la pièce.
Sora pinça du nez et papillonna des paupières. La seule source de lumière de la pièce, provenant d'au-dessus de lui, de ce qui devait être un vieux néon, attaquait ses rétines.
- Alors c'est ce gars chétif qui va hériter de ce clan en déclin ?
Sora parvint à ouvrir une paupière. Il se retrouva nez à nez avec le visage bourru d'un homme à la mâchoire marquée qui lui donnait une aura de méchanceté. Il se rappelait l'avoir entrevu parmi les hommes de main du chef du gang. L'homme le surplombait de toute sa hauteur.
- Je savais qu'ils s'étaient affaiblis, mais de là à laisser ce gars maigrichon prendre le relais, le clan Ryūno n'est qu'un ramassis de cas désespérés.
Au lieu de prêter gare à ce que le membre du gang disait, le regard du prisonnier balaya autour de lui. L'haleine de l'homme lui frôlait les cheveux ; il préférait encore détourner la tête que d'avoir à supporter de se faire regarder de haut plus longtemps.
Ce qu'il distingua fut une pièce relativement étroite aux allures de cave et qui sentait l'humidité à plein nez. La peinture sur les murs de briques s'écaillait de ci de là. Le sol ne se résumait qu'à un béton coulé, habillé de cartons de déménagements non repliés, et des marches d'escalier menaient à une porte en bois.
- Eh, gamin, le héla son ravisseur.
Sora tiqua.
- C'est à moi qu'il parle, le colosse ?
Les doigts du mur de muscles empoignèrent derechef ses cheveux. La tête rejetée vers l'arrière, Sora ravala son geignement.
- Jeune maître !! Ne le touchez pas !!
Du coin de l'œil, Sora distinguait la silhouette mince de Irina, qui s'évertuait à se débattre sur sa chaise. Ses mèches brunes foncées étaient en bataille et son kimono n'était plus qu'un amas de tissu sale et froissé.
- Tu t'y crois un peu trop, gamin, parla avec une voix sourde l'homme en face de lui. Tu faisais moins le malin quand on t'a jeté dans le coffre.
L'agacement de Sora grimpait en flèche. Il planta ses prunelles dans celles incendiaires et injectés de sang de son assaillant.
- Ne le maltraite pas trop, on a encore besoin de lui.
Une nouvelle voix s'était élevée depuis les marches du fond.
- Boss !
Le subordonné du gang relâcha sa poigne. Il s'écarta ensuite d'un pas. Le menton de Sora retomba contre le haut de son torse ; se faire tirer sur les cheveux avec une telle force avait réveillé sa migraine. Il se força néanmoins à redresser le menton vers celui que le subordonné avait appelé "boss". Il vit alors un homme dans la mi vingtaine, avec des piercings au nez et sur une oreille.
Le nouvel arrivé s'était avancé jusqu'à ne se tenir qu'à deux mètres de lui. Il le toisait avec un intérêt malsain, les mains dans les poches de son veston flashy. Il transpirait le dédain.
- Yo, « Jeune maître ».
Il pointa tour à tour du doigt Sora et Irina.
- On va prendre soin de toi et de ta petite servante jusqu'à ce que ton papounet nous rende ce qu'il nous a injustement pris.
Sora roula des yeux au ciel.
- Oh le cliché de la racaille ayant mal grandi, parfait. Pour votre information, à toi et tes sous-fifres, je ne suis pas le successeur des Ryūno.
Cette réponse se récolta un rire moqueur du chef du gang et de son subalterne. Sora eut soudain la très forte envie de lui faire ravaler la couche de laque qui maintenait vers l'arrière ses courts cheveux teints en blond.
- Alors comment tu expliques qu'on t'ait retrouvé dans la maison secondaire des Ryūno si tu n'étais pas un héritier du clan que ton père cherchait à protéger ?
- Dans ce cas, comment vous expliquez que je ne me trouve pas dans la maison principale si je suis si important ? Ça aurait été plus simple pour me protéger, non ? rétorqua Sora, avec toujours beaucoup de sarcasme. Vous vous êtes trompés de cible, point final. Sur l'échelle de la préméditation, je vous octroie un deux pour l'effort. Rien que cette méprise mérite un oscar.
Une veine apparut dans le cou du chef du gang. Son visage avait viré au rouge.
Sora refoula la vague de contentement qu'il en récolta. Jamais il n'avait eu peur des racailles. Côtoyer des yakuzas à longueur du temps forgeait votre caractère, ce n'était donc pas un groupe de gars aussi mal organisé qui allait l'intimider.
- Je pense qu'on peut revoir un peu certains détails de notre plan, concéda le chef, en désignant ses deux prisonniers d'un signe du menton.
Son acolyte se mit aussitôt en mouvements. D'un grand coup de pied, il faucha la chaise de Irina, qui fermement maintenue sur celle-ci s'écrasa sur le flanc par terre. Elle n'eut pas le temps de se remettre de sa violente chute que, déjà, un second coup de pied lancé à la volée lui coupait le souffle. Irina ne fut même pas capable d'émettre ne serait-ce qu'un son ; le coup fut si brutal et bien placé dans son plexus que ses yeux ambrés se voilèrent aussitôt.
Tout s'était déroulé si vite que le cerveau de Sora mis une bonne seconde à encaisser les événements. Ses oreilles se mirent à siffler, tandis qu'une brusque bouffée d'adrénaline lui électrifiait l'intégralité du corps.
- Alors c'est à ça que vous vous résumez ? Un gang qui s'en prend à une femme sans défense ?
La vision d'Irina à moitié consciente avait éveillé une colère sourde du fond de ses entrailles. S'il n'avait pas été aussi dévoré par la rage, Sora se serait demandé à qui appartenait cette voix rauque et menaçante qui était sorti de sa gorge tel le venin d'un serpent.
- Parfaitement, siffla le chef, en s'accroupissant à la hauteur des yeux de Sora.
- Je suis celui qui vous tient tête, pas elle. Laissez-la en dehors de ça.
- Ne me donne pas d'ordre, gamin.
Le ton de l'homme était glacial. Sora plissa les paupières, ce gars éructait la méchanceté et l'égocentrisme.
- Ici c'est pas comme dans ton petit palace où tu as juste à commander pour qu'on subvienne à tes besoins, intervint le subordonné.
Les bras croisés sur son torse, il s'était placé en retrait de son chef.
- On a une certaine réputation dans les environs, et crois-moi que t'es pas dans la meilleure des postures.
- Nous nous en prenons aux personnes qui se mettent en travers de notre route. Et ça équivaut aussi pour les membres de ton clan. Ton père n'a pas tenu correctement en laisse ses hommes, et aujourd'hui c'est trois des miens qui sont derrière les barreaux. Donc on s'est dit qu'on allait que lui prendre quelque chose de précieux en échange ne serait que justice, et qu'il se débrouillerait en jouant de ses relations pour payer sa part. Ta vie contre la liberté des miens. C'est un marché équitable, tu ne penses pas ?
Au fil de ses mots, il avait comblé la distance qui le séparait du visage de Sora, jusqu'à ce que leurs nez soient assez proches pour que celui-ci puisse distinguer les irrégularités de la peau de ses joues, dernier vestige d'un acné d'adolescence.
Il n'en fallu pas plus pour que l'adolescent, que le chef du clan observait avec un dédain certain, ne riposte. La seconde qui suivit, un cri étouffé de douleur s'envolait de la bouche du chef du gang, qui tomba à la renverse sur les fesses. Un filet de sang s'écoulait de ses narines ; en dépit de sa migraine, Sora venait de le gratifier de son meilleur coup de tête.
- Je ne comprends rien à ce que vous racontez, et je vous répète encore une fois que vous vous méprenez. Si vous voulez régler des comptes, faites-le avec les personnes concernées. Irina et moi on a rien avoir dans cette fichue histoire ! Et ça, c'était pour tous les coups que vous nous avez porté à tous les deux. Bande de bâtards ! Ne vous avisez plus jamais de poser la main sur une femme sans défense devant moi.
À la suite de ses mots, s'il y réfléchissait, il devait avoir de nouveau été frappé, car ce furent ses derniers souvenirs avant de sombrer à nouveau dans une noirceur froide et abyssale.