Chereads / J'ai prétendu être la Mort, mais elle m'a tenu tête. / Chapter 38 - Autrefois, je préférais l’ignorer.

Chapter 38 - Autrefois, je préférais l’ignorer.

Hana resta immobile sur la chaise où elle avait pris place, de l'autre côté d'une grande table longue habituellement réservée aux réunions du personnel de direction. Les neuf autres chaises de son côté étaient inoccupées, tout comme les dix autres chaises en face d'elle.

Elle pouvait voir à travers les parois vitrées allant du sol au plafond des employés passer, seuls ou en groupes, les mains vides ou chargées de documents, sans que personne ne lui prête attention.

Cela faisait déjà dix minutes qu'elle avait été amenée dans cette pièce, et ne savait toujours pas pourquoi on l'avait convoquée.

De temps en temps, quelqu'un s'arrêtait devant la porte - elle aussi vitrée – de la salle de réunion, sans pour autant y entrer.

Il sembla à la jeune femme qu'elle était seule au monde, oubliée de tous. Peut-être était-elle aussi transparente que ces vitres, et que personne ne la voyait. C'était une sensation plutôt habituelle pour elle, et dont elle ne s'était pas vraiment détachée depuis le temps.

Cette situation ne lui était que trop familière, tout comme le sentiment écrasant de solitude qu'elle ressentait, et cela lui rappela certains souvenirs.

Six ans en arrière, elle commençait sa dernière année au lycée, et la situation était déjà difficile.

Elle ne se souvenait pas avoir qui que ce soit de son côté, mis à part une personne.

Une personne qui s'était plus imposée à elle qu'autre chose.

« Hé, soyons amis ! » Dit le garçon en tendant une main vers elle.

Sur le moment, elle crut qu'elle avait mal entendu. Plus personne ne lui parlait depuis bien longtemps, que ce soit dans sa classe ou dans la cour. Même les professeurs semblaient l'ignorer et faire comme si elle n'existait pas.

Pourtant, la main était toujours tendue vers elle.

Elle regarda furtivement cette main, sans pour autant chercher à apercevoir le visage de son propriétaire. C'était inutile, ce ne serait pas quelqu'un dont elle se souviendrait. Pour elle, cela était encore une autre moquerie. Cette personne faisait semblant, et dès l'instant où Hana ferait mine de se saisir de cette main tendue, le jeune homme la retirerait sûrement, avant d'éclater de rire. La classe entière – ou du moins les personnes présentes pendant la pause du matin – se mettraient aussi à rire. Elle avait donc plus à perdre en prenant cette main, qu'en l'ignorant.

Les yeux à nouveau baissés vers son repas – une brique de jus de pomme et une brioche – elle fit mine de ne pas avoir entendu, quitte à se prendre des coups.

« Soyons amis ! » Répéta le jeune homme, toujours avec la même confiance.

Elle ne prit pas la peine de lever les yeux, même si elle se doutait que la main était toujours tendue vers elle.

« Qu'est-ce que tu fais Jun ? » Dit une autre voix de garçon.

« Ah, j'essaie de devenir ami avec Hana, » répondit-il avec entrain.

« Avec… Elle ? » Dit l'autre garçon, sa voix soudainement pleine de doutes.

« Quoi ? Je devrais pas ? » Demanda le garçon du nom de Jun.

Inconsciemment, Hana serra les dents. Prête à entendre ce que tout le monde disait à son sujet.

« Tu sais pas qui c'est ? C'est une mythomane qui vole les petits amis des autres, parce qu'elle se croit meilleure que tout le monde. » Révéla l'autre garçon. « En plus de ça, elle accuse des gens juste pour leur attirer des ennuis avec les professeurs. Tu devrais vraiment l'éviter. »

C'est vrai. Ils avaient tellement de choses à dire à son sujet, et ce n'était pas comme si quelqu'un allait l'écouter elle, même si elle plaidait le contraire. Plus personne n'accordait d'importance à ses paroles depuis bien longtemps. Alors elle aussi, elle ne voyait plus ces ragots comme étant importants. Ce n'était qu'un mauvais moment à passer, et rien d'autre.

« Hum, tu dis qu'elle ment sans arrêt ? Comment tu sais ça ? » Demanda Jun.

« Comment je sais ça ? » Répéta avec confusion l'autre garçon. « C'est ce que tout le monde dit, alors ça doit être vrai. »

« Mais est-ce que tu lui as demandé à elle, si c'était vrai ? » Lui fit remarquer Jun.

Il y eut un silence gêné, et le bruit de pas s'éloignant. Hana se concentra pour éviter d'avaler de travers sa brioche malgré la boule de nervosité s'étant formée dans sa gorge.

« Qu'est-ce que tu en dis toi, Takeuchi-san ? » Demanda la voix de garçon.

À la mention de son nom de famille, Hana leva les yeux, surprise.

Ce garçon était d'une autre classe, et elle ne l'avait jamais vu avant, alors comment connaissait-il son nom de famille ?

Elle savait que les rumeurs s'étaient probablement répandues dans tout l'établissement scolaire, et que tout le monde la connaissait sans vraiment l'avoir rencontrée ; mais les gens n'avaient que faire de l'appeler par son nom de famille. D'habitude, tout le monde l'appelait avec des insultes ou des méchancetés, quand elle n'était pas juste ignorée et laissée dans un coin pendant que les gens parlaient dans son dos.

Cette question directe, formulée avec politesse, avait momentanément laissé Hana sans voix.

« Hein ? Qu'est-ce que t'en dis ? C'est vrai ce qu'on dit à ton sujet ? » Insista Jun.

Hana fronça légèrement les sourcils, ne sachant pas trop ce que ce garçon voulait. Il devait probablement avoir été transféré dans l'établissement récemment, pour en savoir aussi peu au sujet des rumeurs. S'il ne savait rien, ça ne servait à rien de lui parler. Il finirait bien par se rendre compte lui-même de la situation.

« Dans ce cas, soyons amis ! » Répéta-t-il.

C'était plus un ordre qu'une proposition, vu le ton employé et comment il insistait. C'était une décision déjà prise pour lui, sans même avoir à demander à la jeune fille son avis.

Elle entendit derrière elle des ricanements, et sut sans même se retourner qu'ils lui étaient destinés. Si elle osait dire quoi que ce soit, les gens auraient un nouveau sujet de moquerie à son sujet.

Le bruit de chaussons en plastique s'éloignant lui indiqua que le garçon était sûrement parti, lassé à attendre une réaction de sa part, et un coup de pied bien placé dans sa chaise la fit hoqueter et avaler de travers.

« Hé, tu comptes encore mettre la main sur un autre garçon ? » S'éleva une voix de fille. « T'es vraiment une traînée qui saute sur tout ce qui bouge ! »

Encore une fois, Hana ne répondit rien. Les gens avaient déjà leur opinion toute faite sur elle et n'en changeraient sûrement pas.

Même les gens de sa classe ne se mêlaient plus de ce qui pouvait lui arriver, préférant faire comme s'ils n'avaient rien vu du tout. C'était sûrement plus facile que de perdre du temps à défendre quelqu'un qu'ils connaissaient à peine.

Hana les comprenait un peu. Elle-même, elle n'aurait sûrement pas pris la peine de se défendre.

La sonnerie à la délicate mélodie retentit, signe que les cours allaient reprendre ; les élèves repartant chacun vers leur classe ou entrant dans la salle pour regagner leur place. Hana rangea rapidement le reste de son repas et les emballages vides dans son sac pour éviter de devoir se lever et se déplacer jusqu'à la poubelle au devant de la classe. Elle en avait assez de se prendre ses croche-pattes ou des pelures de gomme.

La porte vitrée de la salle de réunion de Marline s'ouvrit, ramenant Hana au moment présent.

Un homme aux traits aussi sévères que Ren, mais avec des cheveux encore plus courts et un regard acéré entra dans la pièce avec un ordinateur portable plié sous le bras.

« Shinohara-san ? » S'assura-t-il.

« Oui, c'est moi... » Confirma-t-elle.

L'homme prit alors place en face d'elle pour occuper l'un des dix sièges restés vides, et ouvrant son ordinateur portable, le mit en route pour ensuite commencer à taper quelques mots.

« Je suis Serizawa, agent de liaison du Service Juridique de Marline, » se présenta-t-il. « Savez-vous pourquoi vous avez été convoquée ? »

Hana secoua la tête. Elle ne savait pas, non.

« Vendredi soir, il y aurait eu un incident entre vous et un autre employé du nom de Kubo Touma, ça vous dit quelque chose ? » L'interrogea-t-il.

« Pas vraiment... » Répondit-elle. « Je ne me souviens pas de grand-chose. »

« Dans ce cas, laissez-moi vous faire un point sur la situation, » commença Serizawa. « Kubo-san vous accuse de l'avoir frappé sans raison en plein visage, ce qui a résulté en des soins aux urgences ainsi qu'un arrêt maladie. »

Hana, déstabilisée par cette révélation, écarquilla les yeux. C'était quoi cette histoire d'agression ? Qu'est-ce que Nana avait bien pu faire pour que la situation dégénère à ce point ?!

« Vous reconnaissez les faits ? » Continua Serizawa.

« N… Non... » Parvint à balbutier Hana.

« Dans ce cas, laissez-moi vous parler des sanctions encourues. Même si vous convenez d'un arrangement à l'amiable avec Kubo-san, nous ne pouvons tolérer au sein de l'entreprise un comportement aussi violent. »

« A… Attendez… Vous voulez dire quoi, par là ? » L'interrompit-elle.

Au même moment, plusieurs étages plus bas, Takao sortit de l'ascenseur pour entrer dans le Département Catastrophes Naturelles. Il espérait trouver Hana pour la prévenir de sa convocation, et n'ayant pas pu se libérer avant, il chercha frénétiquement du regard la jeune femme.

À sa surprise, il vit que son bureau était vide, et se rapprochant des collègues travaillant juste à côté, leur demanda où était la jeune interne.

« Hana-chan ? Elle est montée à l'administration, » lui répondit Mari. « Pourquoi ? »

« Le Chef lui a dit que le Service Juridique voulait la voir, mec… Elle pas des ennuis, au moins ? » Demanda Yuuto, ignorant toujours que l'homme à ses côtés était son supérieur hiérarchique.

Oh non. Takao était arrivé trop tard. S'il n'agissait pas rapidement, la jeune femme risquait d'être considérée coupable sans même avoir pu se défendre.

Lançant un regard assassin à Shinsuke, qui lui renvoya une expression confuse, le jeune homme se dirigea en vitesse vers l'ascenseur et se mit à appuyer frénétiquement sur le bouton d'appel.

« Il se passe quoi ? » S'interrogea Yuuto.

« Je ne sais pas, » répondit Ren. « Mais ça a l'air sérieux. »

« Shinohara-chan a besoin d'aide ? » Demanda Yuuto, inquiet.

Ren secoua la tête.

« Même si elle a besoin d'aide, je pense qu'on sera superflus... » Dit-il.

Les trois employés levèrent tous ensemble la tête au-dessus de leurs cloisons de séparation, et tournèrent le regard vers l'ascenseur.

« Il semble qu'elle se soit trouvé un allié de poids... » Observa l'homme au visage strict.