Ren ferma instinctivement les yeux, mais il était trop tard.
Pendant une fraction de seconde, il avait vu les trois yeux hypnotiques du crapaud.
Ses muscles commencèrent à s'engourdir.
Le coassement mélodieux s'intensifiait, maintenant il venait de toutes les directions. Il pouvait entendre le doux battement de leurs pieds qui s'approchaient, le son humide de leur peau sécrétant de l'acide...
La paralysie se répandait dans ses membres lorsque la spore, sans prévenir, fusionna avec son corps.
Ren voulait crier de frustration, 'Ce n'est pas le moment d'être têtu, une légère augmentation de force ne m'aidera pas ici !'
La faible lueur des champignons dans ses cheveux ne servirait qu'à attirer plus de prédateurs, faisant de lui une cible plus visible dans la nuit.
Les Crapauds Lune se rapprochaient.
Il pouvait entendre le battement rythmique de leurs pieds, le son humide de leur peau sécrétant de l'acide. L'odeur âcre atteignit son nez, comme des fruits pourris et du métal chaud.
Mais quelque chose était étrange.
Le crapaud devant lui, celui qui l'avait paralysé, inclina la tête.
Ses trois yeux clignèrent dans une séquence erratique, brisant le motif hypnotique. Le coassement mélodieux se transforma en des notes discordantes, confuses.
Les champignons dans les cheveux de Ren pulsèrent avec une bioluminescence semblable à celle des crapauds, créant des motifs qui imitaient la lueur de leurs organes internes. C'était comme si sa tête était devenue une version déformée de ses prédateurs.
Le crapaud leader bondit vers l'avant, ses trois yeux fixés maintenant sur les champignons lumineux. La confusion brisa sa concentration et avec elle, le sortilège paralysant.
Ren sentit le contrôle de son corps revenir juste au moment où le sol sous le crapaud commença à s'affaisser.
Tout se produisit en un instant.
Le crapaud, désorienté par les champignons luminescents, n'avait pas remarqué qu'il avait atterri sur le bord d'un tunnel de l'Excavateur. La terre s'effondra sous son poids avec un craquement sinistre. Ses yeux lumineux s'écarquillèrent de surprise alors qu'il tombait, son coassement mélodieux se transformant en un cri de panique.
Un rugissement profond s'éleva de l'obscurité du tunnel, suivi par le son incontestable de mâchoires se refermant d'un coup.
Les autres Crapauds Lune se figèrent, leurs motifs bioluminescents devenant erratiques par la peur. L'odeur d'acide s'intensifia, une réaction défensive involontaire.
Ren ne s'arrêta pas pour réfléchir.
Ses jambes, nouvellement libérées de la paralysie, bougèrent par instinct.
Un saut sur la droite, loin du bord de tunnel jusque-là invisible qu'il pouvait maintenant voir grâce à la terre fraîchement effondrée.
"Les tunnels !" haleta-t-il en courant. "Ils forment un motif !"
Les Excavateurs Nocturnes étaient méthodiques, territoriaux. Leurs tunnels suivaient toujours le même dessin, une entrée principale avec des pièges en demi-cercle autour. Si le crapaud était tombé dans l'un d'entre eux...
Un autre craquement sur sa gauche confirma sa théorie. Deux des crapauds restants, dans leur précipitation à le poursuivre, avaient sauté directement sur une autre section fragile.
La terre s'ouvrit sous eux comme une bouche affamée.
Plus de rugissements provenant des profondeurs. Plus de cris brusquement interrompus.
Le dernier Crapaud Lune, peut-être plus sage que ses compagnons, disparut dans la nuit avec un croassement terrifié.
♢♢♢♢
Ren s'arrêta, haletant, son cœur menaçant d'éclater.
Les champignons dans ses cheveux pulsaient encore faiblement, mais maintenant ils semblaient plus comme un rappel de sa chance qu'une malédiction.
"Toi," murmura-t-il à sa spore, toujours fusionnée avec elle, "es toujours la bête la plus faible qui existe. Mais... merci. Je suppose."
Un craquement lointain lui rappela que ce n'était pas le moment de célébrer. Quelque part sous ses pieds, un Excavateur Nocturne venait de profiter d'un dîner inattendu de Crapauds Lune.
Et il ne voulait pas être le dessert.
L'arbre mort. Il devait trouver l'arbre mort avant…
Un rugissement profond fit trembler la terre sous ses pieds.
C'était juste un excavateur, se rassura-t-il, ils ne sortiraient pas...
Mais le bruit attira quelque chose d'autre.
Un nouveau son glaça le sang de Ren, un sifflement métallique, comme des lames traînées contre la pierre.
Les rugissements souterrains se calmèrent, comme pour passer inaperçus.
Le nouveau son venait de la forêt profonde, vers l'anneau de bronze, où l'obscurité était la plus dense.
Ren se cacha derrière un arbre.
Une Mante Miroir émergea entre les arbres, son corps couvert de plaques réfléchissantes qui fragmentaient le clair de lune.
Elle était énorme, de la taille d'un cheval, mais quelque chose n'allait pas chez elle.
Ses plaques, qui devraient former un motif parfait, étaient fissurées et mal alignées. De profondes cicatrices sillonnaient son exosquelette, et l'une de ses principales faux était brisée près de la pointe.
Le cœur de Ren s'arrêta.
Il ne devrait pas y avoir une créature comme celle-ci à moins de 20 kilomètres.
Les Mantès Miroir étaient des créatures de la forêt profonde, des bêtes de rang de Bronze qui s'approcheraient normalement jamais d'une zone aussi pauvre en mana.
Leurs corps étaient conçus pour absorber et réfléchir l'énergie magique dense de leur territoire, utilisant leurs plaques réfléchissantes pour désorienter leurs proies avec des illusions de lumière et de mana.
Celle-ci avait été expulsée de son territoire, probablement après avoir perdu une bataille territoriale. Les blessures l'avaient tellement affaiblie qu'elle ne pouvait même pas maintenir son habitat naturel.
Et une bête blessée, affamée, forcée de chasser dans des terres pauvres...
Était mille fois plus dangereuse que tout prédateur local.
La Mante tourna sa tête triangulaire vers lui. Ses facettes oculaires, normalement un kaléidoscope de couleurs irisées, étaient ternes de faim.
Les plaques sur son corps tentaient de réfléchir le clair de lune, mais le motif était erratique, maladif. Au lieu des illusions hypnotiques habituelles, elle ne produisait que des éclairs désespérés.
"Ne me regarde pas, ne me regarde pas," supplia silencieusement Ren, se souvenant des leçons de base sur les bêtes que chaque enfant apprenait.
Les Mantès Miroir chassaient habituellement en créant des doublons illusoires de leur proie, les confondant jusqu'à ce qu'ils trébuchent sur leurs propres reflets. Mais celle-ci, dans son état affamé...
Un éclair fugace créa un petit reflet à côté de l'arbre et illumina Ren.
La créature bougea.
Malgré ses blessures, sa vitesse était terrifiante. Les faux, même la brisée, coupèrent l'air avec un sifflement mortel. Pas de jeux, pas d'illusions. Juste une faim pure et désespérée.
Ren courut.
L'arbre mort devait être proche.
Son père avait mentionné que les racines torsadées pointaient vers le nord, que l'écorce marquée par l'ancienne foudre formait un motif en forme de flèche...
Derrière lui, le sifflement métallique se rapprochait.
La Mante ne pouvait maintenir cette vitesse longtemps dans une zone si pauvre en mana, mais elle n'en avait pas besoin.
Elle avait juste besoin de l'attraper une fois.
Une faux s'enfonça dans le sol à côté de lui, si proche qu'il sentit l'air déplacé couper sa joue. Les plaques brisées de la Mante tintèrent comme des cloches cassées, sa respiration un sifflement torturé de faim et de désespoir.
Et puis Ren le vit, l'arbre mort, sa silhouette tordue découpée contre le ciel nocturne.
Mais la Mante Miroir se rapprochait, et le son de ses plaques brisées était comme une promesse de mort.