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L'observateur

Jordan_Del
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Synopsis

Chapter 1 - Hypervigilance

Thomas Meyer se tenait immobile dans l'amphithéâtre bondé de l'université St Vincent, son regard vert balayant méthodiquement la salle. Trois cent quarante-deux étudiants. Huit nouveaux depuis la semaine dernière. La routine matinale de son cerveau cataloguait déjà les changements : Emily Chen, trois rangs plus bas, portait la même tenue que jeudi dernier, inhabituel pour une étudiante si méticuleuse. Mike Donovan, son meilleur ami, était arrivé sept minutes en retard, les cheveux humides et le col froissé – une première depuis le début du semestre.

L'amphithéâtre Hawthorne, avec ses rangées de sièges en arc de cercle descendant vers l'estrade, ressemblait à une arène antique où les théories criminologiques remplaçaient les combats de gladiateurs. La lumière matinale filtrait à travers les hautes fenêtres, projetant des ombres géométriques sur les murs lambrissés. Thomas connaissait chaque détail de cette salle, depuis les égratignures sur le bureau du professeur jusqu'aux initiales gravées sur le rebord de la table devant lui – J.M. + L.R., 2019, une histoire d'amour dont il ne saurait jamais la fin.

Ces détails s'imposaient à lui comme autant de points lumineux sur une carte mentale. Impossible de les ignorer, même après toutes ces années. Le diagnostic de son thérapeute – hypervigilance post-traumatique – ne suffisait pas à expliquer cette capacité à absorber chaque infime variation de son environnement. C'était devenu sa seconde nature, aussi naturel que respirer.

Son esprit dériva vers cette nuit d'il y a quinze ans, comme souvent quand il réfléchissait à l'origine de ses capacités. Le craquement du parquet dans le couloir. Le changement subtil dans la respiration de ses parents dans la chambre voisine. Les ombres inhabituelles sous la porte. À sept ans, il avait déjà développé cette conscience aiguë de son environnement qui lui avait permis de donner l'alerte. Depuis, chaque détail, chaque anomalie dans son champ de vision déclenchait une réaction instantanée dans son cerveau.

Le professeur Richardson entama son cours sur les profils psychologiques des tueurs en série, sa voix grave résonnant dans l'amphithéâtre. "Le comportement ritualisé", expliquait-il, "est souvent le reflet d'un besoin compulsif de contrôle." Thomas n'écoutait que d'une oreille, son attention captée par le comportement de Mike. Son ami tapotait nerveusement son stylo contre son carnet – *tap-tap-tap* – un rythme ternaire inhabituel pour lui qui préférait généralement les patterns binaires. Ses épaules étaient légèrement voûtées, position défensive classique. Son pied droit tressautait sous la table, un mouvement à peine perceptible mais révélateur pour quelqu'un d'habituellement si posé.

Sarah Martinez, assise deux rangs devant Mike, se retournait régulièrement dans sa direction – cinq fois en douze minutes, nota Thomas machinalement. Elle aussi avait remarqué quelque chose. Leurs regards se croisèrent brièvement, et Thomas y lut la même inquiétude qui commençait à grandir en lui.

"Meyer ?" La voix de Richardson le ramena brutalement au présent. "Puisque le comportement de vos camarades semble plus fascinant que mon cours, peut-être pourriez-vous nous éclairer sur les indicateurs précoces du syndrome de l'imposteur chez les criminels organisés ?"

Un silence expectatif s'abattit sur l'amphithéâtre. Thomas sentit les regards converger vers lui – cent vingt-sept têtes tournées dans sa direction, estima-t-il automatiquement. Il se redressa, son cerveau réorganisant instantanément les informations stockées depuis ses dernières lectures. "Les criminels organisés présentant le syndrome de l'imposteur manifestent souvent une sur-compensation dans leurs rituels", commença-t-il, sa voix posée masquant son irritation d'avoir été pris en défaut. "Leur besoin pathologique de contrôle découle moins d'une volonté de domination que d'une peur constante d'être démasqués. Leurs scènes de crime sont excessivement méticuleuses, presque théâtrales..."

Il développa sa réponse, citant des cas d'étude récents et des statistiques du FBI, tout en observant les réactions de Richardson : la légère tension au coin des lèvres, le hochement de tête presque imperceptible, la façon dont ses doigts tapotaient le bord du pupitre – un, deux, pause, un, deux, pause. Le professeur n'avait pas vraiment attendu une réponse aussi détaillée. Thomas se força à conclure, conscient d'en avoir trop dit, comme souvent.

"Une analyse pertinente, M. Meyer," commenta Richardson, "bien que légèrement hors sujet par rapport au programme d'aujourd'hui." Quelques rires étouffés résonnèrent dans l'amphithéâtre. Thomas remarqua le sourire en coin de Jessica Wells, la façon dont elle se pencha vers sa voisine pour chuchoter quelque chose. Il connaissait ce type de réaction – le mélange de respect et d'agacement qu'inspiraient ses interventions trop détaillées.

La sonnerie retentit, libérant un flot d'étudiants vers la sortie. Le bruit des conversations et des sacs qu'on rangeait créait une cacophonie familière. Thomas resta en retrait, observant Mike rassembler ses affaires avec des gestes inhabituellement lents. Trois semaines avant les examens finals, à quelques mois de sa candidature au FBI, il ne pouvait pas se permettre de laisser ses instincts d'observation prendre le dessus. Le dossier de candidature, soigneusement préparé depuis des mois, reposait dans le tiroir de son bureau : recommandations, tests psychologiques, évaluations physiques – tout était parfait. Trop parfait, peut-être.

Un mouvement à la périphérie de son champ de vision attira son attention. Le professeur Richardson rangeait ses notes dans sa sacoche en cuir usé – celle qu'il n'utilisait que les jours d'évaluation surprise. Thomas nota mentalement cette information tout en continuant d'observer Mike, qui évitait maintenant délibérément son regard.

Le souvenir de leur dernière conversation significative lui revint en mémoire. C'était il y a trois jours, à la bibliothèque. Mike lui avait parlé d'un nouveau projet de recherche auquel il participait, mais ses explications étaient restées étrangement vagues. "C'est juste une étude sur le stress et la prise de décision", avait-il dit en haussant les épaules. Mais Thomas avait noté les signes : la façon dont Mike tripotait sa montre, son regard qui déviait vers la gauche – des indicateurs classiques de dissimulation qu'ils avaient étudiés ensemble en cours de profilage.

En descendant les marches de l'amphithéâtre, son regard fut attiré par une silhouette inconnue dans l'encadrement de la porte : une femme aux cheveux auburn, la trentaine, dont le maintien trahissait une assurance naturelle. Elle consultait son téléphone tout en parcourant la salle du regard. Nouvelle professeure, probablement. Thomas nota automatiquement les détails : tailleur gris anthracite de coupe italienne, bracelet en argent au poignet gauche, léger accent du Nord-Est dans sa voix lorsqu'elle répondit à un appel.

Son cerveau enregistra d'autres détails sans qu'il puisse s'en empêcher : la façon dont elle scannait la pièce – un comportement appris, pas naturel – et la tension subtile dans sa posture quand son regard croisa celui de Richardson. Il y avait une histoire là, enterrée sous les apparences professionnelles.

Ce n'est qu'en passant près d'elle qu'il aperçut le badge d'identification : "Dr Claire Bennett, Département de Neurosciences Comportementales." La photo ne datait pas de plus d'une semaine, le plastique était encore brillant. Son cerveau catalogua l'information comme une nouvelle pièce s'ajoutant au puzzle complexe qu'était devenue l'université St Vincent ces derniers temps.

Mike avait disparu dans la foule, mais Thomas savait qu'il le retrouverait à leur table habituelle de la bibliothèque. Pour l'instant, il devait gérer cette sensation familière qui montait en lui, celle qui précédait toujours les ennuis : son don d'observation venait de repérer les premiers fils d'une toile dont il ne distinguait pas encore le motif.

En sortant de l'amphithéâtre, il sentit le poids de son téléphone dans sa poche – trois vibrations courtes, le code qu'il avait établi pour les messages de sa mère. Depuis l'incident, elle gardait l'habitude de vérifier qu'il allait bien. Un rituel rassurant dans un monde où son esprit ne cessait de repérer des anomalies. Mais aujourd'hui, pour la première fois depuis longtemps, les anomalies semblaient converger vers quelque chose de plus grand, de plus inquiétant.

L'air frais du campus le frappa alors qu'il poussait les lourdes portes du bâtiment. Le ciel d'octobre était d'un bleu acier, strié de nuages filiformes. Une journée ordinaire à St Vincent, en apparence. Mais Thomas savait mieux que quiconque que les apparences étaient souvent trompeuses. Et son instinct, celui-là même qui l'avait maintenu en vie cette nuit-là il y a quinze ans, lui soufflait que quelque chose de grave se préparait.