Le Département de Neurosciences Comportementales occupait l'aile est du bâtiment Hawthorne, un dédale de couloirs aseptisés où l'écho des pas résonnait comme un métronome. Thomas n'était jamais venu dans cette partie du campus auparavant, mais ses yeux cataloguaient déjà chaque détail : caméras de surveillance aux angles morts inhabituels, badges électroniques de nouvelle génération sur les portes des laboratoires, fenêtres teintées récemment installées.
Il était 18h47, l'heure où la plupart des étudiants désertaient les lieux. Le formulaire du Dr Bennett pesait dans la poche intérieure de sa veste, comme une accusation silencieuse. Après le départ précipité de Mike de la bibliothèque, Thomas avait passé l'après-midi à analyser le document, cherchant le moindre indice dans ses plis et ses annotations.
"Vous cherchez quelqu'un ?"
La voix le fit pivoter. Une femme en blouse blanche, badge épinglé de travers – Dr. Helen Crawford, Recherche Comportementale – le regardait avec une curiosité polie. Sous la lumière fluorescente, ses pupilles semblaient anormalement dilatées.
"Le bureau du Dr Bennett," répondit Thomas, notant la légère crispation des doigts de Crawford à la mention de ce nom. "Je dois lui rendre un document."
"Troisième porte à gauche," indiqua-t-elle, son regard s'attardant une fraction de seconde de trop sur sa veste. "Mais elle est probablement déjà partie."
Thomas la remercia d'un hochement de tête, attendant qu'elle disparaisse au détour du couloir. Son parfum – le même mélange de jasmin et de vanille que Claire Bennett – flottait encore dans l'air. Pas une coïncidence.
Le bureau de Claire était verrouillé, mais la lumière filtrait sous la porte. À travers la vitre dépolie, il distinguait une silhouette immobile. Il frappa trois coups mesurés.
"Entrez." La voix de Claire était tendue, différente de ce matin.
La pièce était spartiate : un bureau en métal, des étagères cliniques, un tableau blanc couvert d'équations. Seule note personnelle, une photo aux coins cornés : Claire plus jeune, en toge universitaire, aux côtés d'un homme que Thomas reconnut immédiatement – le professeur Richardson, l'air plus détendu qu'il ne l'avait jamais vu.
"Thomas." Claire se leva, ses mains trouvant instinctivement les bords du bureau. "Je suppose que ce n'est pas une visite de courtoisie."
"Le Protocole 23-B," dit-il simplement, sortant le formulaire. "Vous l'avez laissé intentionnellement."
Elle contourna le bureau, ses talons claquant sur le linoléum. La cicatrice près de sa tempe semblait plus visible dans la lumière du soir. "Les murs ont des oreilles ici," murmura-t-elle, baissant les stores. "Et pas seulement des oreilles."
Thomas scanna rapidement la pièce : pas de caméras visibles, mais un petit boîtier noir près du plafond attirait son attention. Un capteur de mouvement qui n'en était probablement pas un.
"Mike n'est pas le seul," continua Claire, sa voix à peine audible. "Il y en a d'autres. Des étudiants brillants, avec des capacités particulières. Comme vous, Thomas."
Son cœur manqua un battement. Dans sa poche, son téléphone vibra – probablement sa mère, encore. "Le projet de recherche..."
"N'est pas ce qu'il prétend être." Claire s'approcha, son parfum maintenant familier envahissant l'espace entre eux. "Ils cherchent des sujets spéciaux. Des gens qui voient ce que les autres ne voient pas. Des gens comme vous."
Une série d'images défila dans l'esprit de Thomas : le pansement au bras de Mike, les pupilles dilatées de Crawford, les nouvelles caméras, le parfum identique. "Ils testent un produit," réalisa-t-il. "Quelque chose qui altère la perception."
Claire hocha imperceptiblement la tête. "Je ne devrais pas être en train de..."
La porte s'ouvrit brusquement. Le professeur Richardson se tenait dans l'encadrement, son expression indéchiffrable. "Claire, le comité attend." Son regard passa de l'un à l'autre, s'arrêtant sur le formulaire que Thomas tenait encore. "M. Meyer. Je ne m'attendais pas à vous voir ici."
"Je rendais juste un document au Dr Bennett," répondit Thomas, glissant le papier dans sa poche. Mais le mal était fait – il avait vu la lueur de reconnaissance dans les yeux de Richardson.
"Bien sûr," dit Richardson avec un sourire qui n'atteignait pas ses yeux. "Claire, le comité."
Elle rassembla ses affaires, ses gestes trahissant une urgence contenue. "Nous reprendrons cette discussion plus tard, Thomas."
Il quitta le bureau, conscient du regard de Richardson qui le suivait. Dans le couloir, les lumières automatiques s'allumaient une à une sur son passage, créant un chemin lumineux dans l'obscurité grandissante. Son téléphone vibra à nouveau – mais cette fois, ce n'était pas sa mère.
"Besoin de parler," disait le message de Mike. "Pas ici. Pas maintenant. Parking de Morton Hall, 23h."
Thomas fixa l'écran, son cerveau analysant déjà les implications. Mike n'utilisait jamais d'abréviations dans ses messages, et il détestait Morton Hall depuis qu'ils avaient commencé leurs études. Ce n'était pas lui qui avait écrit ce message.
En sortant du bâtiment, il aperçut Claire et Richardson qui se dirigeaient vers la salle du comité, leurs silhouettes projetant des ombres démesurées sur les murs. La main de Richardson était posée sur le coude de Claire, dans un geste qui ressemblait plus à du contrôle qu'à de la courtoisie.
Thomas sortit son carnet et nota l'heure : 19h23. Dans moins de quatre heures, quelqu'un utilisant le téléphone de Mike attendrait à Morton Hall. Il ne savait pas encore s'il s'agissait d'un piège ou d'un appel à l'aide, mais une chose était certaine : le projet de recherche n'était que la partie émergée d'un iceberg bien plus sombre.
La nuit tombait sur St Vincent, transformant les fenêtres teintées du département en miroirs noirs. Quelque part derrière ces vitres, des gens observaient. Et pour la première fois depuis longtemps, Thomas se demanda si sa capacité à tout voir n'était pas aussi une malédiction.