Alors que Dimitri rangeait son carnet dans sa poche, Elena sentit une vague d'angoisse monter en elle. Les mots du ministre résonnaient dans son esprit, mais ils semblaient distants, comme s'ils provenaient d'un rêve. Une avalanche de pensées contradictoires la submergeait, si vite qu'elle peinait à en saisir le fil. Chaque instant, une nouvelle question surgissait, un doute de plus s'ajoutait, et elle sentait son esprit s'enliser dans le vertige de toutes ces décisions à prendre. Demain matin ? Ce monde magique, cet institut, tous ces êtres qu'elle ne connaissait pas... Comment pouvait-elle quitter sa vie si rapidement ? Sa vie humaine.Sa famille. Sa mère, son père... Que diraient-ils en apprenant qu'elle partait loin, sans préavis, pour une école dont ils n'avaient jamais entendu parler ? Elle pouvait presque entendre leur inquiétude se glisser dans leurs voix, sentir la chaleur de leurs étreintes et la tendresse dans leurs yeux lorsqu'ils lui avaient dit, tant de fois, qu'ils seraient toujours là pour elle. Ils avaient tout donné, malgré leurs moyens modestes, pour qu'elle puisse être libre, pour qu'elle construise son avenir. Et maintenant... elle allait les abandonner, sans explication, sans un véritable adieu.Et puis, il y avait ses amis. Ceux qui illuminaient ses journées à l'université, ceux avec qui elle partageait rires et confidences dans les coins tranquilles du café où elle travaillait. Sa vie, elle l'avait bâtie avec eux, autour de leurs moments de simplicité, de ces éclats de rire, de ces petits instants où elle se sentait pleinement elle-même. Comment pouvait-elle tout quitter si vite ? Les laisser sans même un mot ? Elle imaginait déjà leurs regards perplexes, les questions silencieuses qu'ils ne pourraient jamais poser. Et l'idée de tout abandonner la frappait, la laissait démunie, comme si une part d'elle-même allait rester là, dans ces souvenirs. Pourtant, elle savait qu'il n'y avait pas de retour en arrière possible.Une pensée effrayante s'insinua dans son esprit : et si elle ne revenait jamais ? Ce monde magique... tout cela semblait trop vaste, trop inconnu. Et s'il la gardait prisonnière ? Serait-elle obligée de rester à Aldaria pour toujours, loin des siens, sans jamais pouvoir revenir chez elle ?Son cœur s'emballa. Elle jeta un coup d'œil rapide vers Dimitri et Seraphina, qui semblaient discuter entre eux, trop absorbés pour remarquer le tourbillon d'émotions qui se déroulait en elle. Une idée folle commença à germer dans son esprit : et si elle ne partait pas ?Elle revoyait les visages souriants de ses amis, les rires partagés, les longs silences confortables. Et ses parents, leur tendresse si discrète mais constante. La sensation d'abandonner ces moments précieux, comme des pages arrachées d'un livre, lui laissait un vide qu'aucune promesse de magie ne semblait capable de combler.Elle avait dit oui, presque mécaniquement, comme si elle n'avait pas eu le choix. Pourtant, elle ignorait tout de ces gens. Dimitri, avec son assurance imposante et ses promesses d'un « avenir sûr », lui inspirait une méfiance croissante. Comment pouvait-elle lui faire confiance ? Chaque regard, chaque geste semblait orchestré, calculé. Elena se sentait prise au piège, comme si elle n'était qu'un pion dans un plan dont elle ignorait tout. Il en savait plus sur elle qu'elle-même, des choses qu'elle n'avait jamais envisagées. Et il s'apprêtait à la plonger dans un monde qu'elle ne maîtrisait pas, un monde peuplé de créatures inconnues et de pouvoirs insondables. Un frisson la parcourut. Et si elle s'engageait sur une voie dangereuse ? Était-ce ce dont le Dr Ravencroft avait parlé, il l'avait mise en garde, lui avait recommandé de ne pas continuer ses recherches sur les fées. Était-elle réellement en danger ?Peut-être qu'elle s'était trop précipitée en acceptant. Peut-être qu'elle aurait dû demander plus de temps, ou refuser. Maintenant, elle se sentait piégée, coincée entre ce monde magique dont elle ignorait tout et son ancienne vie, qui lui échappait déjà.Fuir. Ce mot s'imposa à elle. Ce mot résonnait comme une porte de sortie, une lumière au bout du tunnel. Si elle partait, elle pourrait éviter ce saut dans l'inconnu, échapper à l'oppressante étrangeté de ce monde magique. Elle pourrait partir, trouver un moyen de s'échapper avant que tout ne devienne irréversible. Si elle disparaissait maintenant, retournerait-elle à sa vie d'avant ? Il y avait peut-être encore un moyen de tout arrêter avant qu'elle ne se retrouve entraînée dans ce monde étrange. Elle pouvait quitter la ville, prendre le premier train ou bus, aller quelque part où ils ne la retrouveraient jamais. Quel train ? Quel bus ? Elle n'avait plus l'impression qu'elle se trouvait dans son monde, ici, il n'y avait certainement pas de moyen de transports habituels, peut-être que rien ne reliait les deux mondes.Mais fuir signifiait aussi abandonner toute chance de comprendre ce qu'elle était vraiment. Et cette curiosité la rongeait depuis le jour où elle avait vu Seraphina pour la première fois. Une part d'elle voulait désespérément des réponses, mais l'autre avait peur du prix à payer.Seraphina tourna les yeux vers elle à ce moment précis, un sourire réconfortant aux lèvres. Cela ne fit qu'accentuer son malaise. Elena tenta de dissimuler son trouble, feignant un sourire en retour, mais au fond d'elle, une décision commençait à prendre forme : elle ne pouvait pas simplement se laisser entraîner dans cette nouvelle réalité sans se battre. Elle devait trouver un moyen de rester libre, ou au moins de prendre du recul avant de s'engager totalement.« Peut-être que je trouverai une autre solution» pensa-t-elle. Elle avait jusqu'à demain matin pour réfléchir à une échappatoire. Peut-être qu'une fois seule, dans la nuit, elle pourrait planifier quelque chose. Parce que pour l'instant, elle ne savait pas si elle était prête à tout quitter.Les paroles de Dimitri revenaient en boucle dans son esprit : "Tu ne peux pas retourner chez toi pour l'instant." Cela sonnait presque comme une menace. Elle ne se sentait pas libre, elle se sentait dirigée, enfermée dans un destin qu'elle n'avait pas choisi.Peut-être que demain, elle ne serait tout simplement pas là.Elle aurait une chance, une petite fenêtre avant que Seraphina ne vienne la chercher. Peut-être que ce monde magique ne s'inquiéterait pas trop pour une simple étudiante humaine. Après tout, ils avaient l'air d'avoir bien plus important à gérer.Son cœur battait à tout rompre, et chaque seconde qui passait ne faisait qu'accentuer cette idée dans son esprit. Ce soir, elle serait docile, souriante, lisse. Mais demain matin ? Peut-être qu'elle n'aurait plus rien de la jeune fille sage et compréhensive qu'ils pensaient connaître. Demain, elle pourrait déjà être loin. Une nouvelle détermination se formait en elle, un ultime espoir de déjouer leurs plans, de reprendre en main son destin, même si cela signifiait tout risquer.Alors qu'elle se perdait dans ce flot de pensées, la voix de Dimitri la tira soudain de sa contemplation intérieure.— Elle passera la nuit ici, déclara-t-il d'un ton ferme, comme s'il concluait une discussion. C'est trop risqué de la renvoyer chez elle maintenant.Seraphina hocha la tête, les traits tirés par une gravité inhabituelle. Elena reprenait peu à peu conscience de la discussion qui continuait sans elle, devant elle.— Il vaut mieux éviter qu'elle retourne chez elle, ajouta-t-elle. Même une courte visite pourrait attirer l'attention de ceux qui la cherchent peut-être déjà. Demain matin, dès les premières lueurs, nous partirons pour Aldaria. Là-bas, elle sera en sécurité.Le cœur d'Elena se serra à leurs mots. Cette fois, l'évidence de la situation lui parut plus claire, plus menaçante encore. Elle n'allait même pas avoir l'occasion de faire ses adieux. Loin de ses proches, confinée dans ce ministère qui lui paraissait maintenant étranger, elle ressentait un vertige grandissant. Le doute, lui, revenait en force : et si elle n'était qu'un pion dans une histoire qui la dépassait ?Elle chercha à croiser le regard de Seraphina, espérant y trouver une lueur de réconfort. La fée lui adressa un sourire rassurant en retour, mais dans ce sourire, Elena crut percevoir la confirmation de ce qu'elle craignait : elle avait déjà un pied dans ce monde, et tout retour en arrière semblait se refermer comme une porte fermée à clé.Demain matin, tout serait différent, d'une manière qu'elle ne maîtrisait plus.