"Tu as vraiment été incroyable, mais il est temps de discuter," dit le capitaine en s'approchant de moi, son regard chaleureux mais sérieux. "Ne t'inquiète pas, je n'ai pas oublié notre accord."
En me rejoignant, il sort une sorte de talisman, son expression devenant plus pensive. "En voyant tes compétences, ce n'est pas étonnant que tu aies atterri ici," ajoute-t-il, ses yeux examinant le talisman avant de se poser sur moi. "Je m'appelle Steeve, et je suis responsable de la sécurité ici. Comme tu peux le voir, nous sommes tous des non-humains."
Il me fait signe de regarder autour de moi, et soudain, je réalise quelque chose que j'avais manqué plus tôt. Les archers qui se tenaient à mes côtés sur le mur ne sont pas humains non plus. Certaines femmes, avec des ailes repliées sur leurs dos, ont des allures de rapaces, des plumes sombres et des yeux perçants. À côté d'elles, des elfes – hommes et femmes – s'ajustent leurs arcs, leurs oreilles pointues et leur grâce naturelle les distinguant immédiatement.
En jetant un coup d'œil plus loin, mon regard tombe sur un nain, robuste et barbu, tenant un énorme marteau de guerre. Il éclate de rire, son visage rougi par l'effort, tandis qu'à ses côtés, un orc à l'air taciturne le regarde avec une lueur d'envie dans les yeux, probablement déçu de ne pas avoir participé au combat.
Je secoue la tête pour reprendre mes esprits. "Excusez-moi," dis-je en tournant de nouveau mon attention vers Steeve. "Je m'appelle Jordna, et c'est un plaisir de vous rencontrer." J'étends ma main, comme le père Joseph nous l'a appris, en signe de respect et de camaraderie.
La situation semble se figer, chaque mouvement suspendu alors que tous remarquent mon geste. Le capitaine Steeve me fixe un instant, ses yeux scrutant mon expression avec une intensité silencieuse. Puis, soudainement, il éclate de rire, un son riche et chaleureux qui brise la tension. En me serrant la main, il déclare : "Pas de doute, tu n'es vraiment pas comme les autres Terriens que j'ai rencontrés."
Sans perdre un instant, il applique le talisman sur mon dos. Je ressens une étrange sensation, comme si l'objet se fondait en moi, s'intégrant à mon corps. Le sérieux revient rapidement sur son visage, sa voix prenant une gravité nouvelle.
"Tu vois, les dirigeants de ce monde vous ont caché une vérité fondamentale, à vous, les Terriens. Vos niveaux maximums et vos évolutions de profession ne dépendent pas uniquement de votre potentiel. Il y a un détail crucial que personne ne vous a dit. Pour progresser au-delà du niveau 10, tu dois d'abord améliorer ta première compétence au niveau 10. Si tu ne le fais pas, tu seras bloqué à jamais à ce niveau."
Je le regarde, abasourdi, mon esprit tourmenté par cette révélation inattendue. La gravité de ses paroles me frappe de plein fouet, et mon expression doit refléter ce tumulte intérieur. Steeve le remarque et, avec une compassion inattendue, il me tapote l'épaule avant de reprendre son discours, cette fois avec un ton plus rassurant.
"Je t'ai lié à un parchemin de blocage d'expérience. Chaque village en possède un, et il ne peut être utilisé que par le chef du village. Ce talisman t'empêchera de révéler cette vérité, même dans ton propre monde. En contrepartie, tu fais désormais partie de ce village, et nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour t'aider à grandir et à atteindre ton plein potentiel."
Il me fixe droit dans les yeux, l'intensité de son regard soulignant l'importance de ce qu'il dit. "Et surtout, ne meurs pas. Ce talisman t'a vraiment transféré ici, dans ton vrai corps. Si tu perds la vie ici, ce sera définitif."
Ces informations me terrifient profondément. Une angoisse glacée s'installe en moi tandis que je deviens soudainement plus conscient de mon environnement, chaque détail vibrant de manière presque oppressante. Subtilement, je sens les restes de mes nuées d'araignées revenir vers moi, leurs petites pattes créant une sensation de fourmillement sous mes vêtements en rejoignant Léa. Ce contact me donne un étrange réconfort, atténuant légèrement la tension qui m'étreint. Finalement, elles se calment, se dissimulant sous ma veste, tandis que je tente d'assimiler ce que je viens d'apprendre.
"Steeve, je suis heureux que tu m'ai choisit mais tu es sûr de toi, on vient littéralement de se rencontrer il y a une heure ?" demandais je perplexe alors que je glisse ma main sous mes vêtement pour caresser Léa.
"Tu es le seul Terrien à être apparu ici depuis la fusion, et ceux qui apparaissent ailleurs sont empêchés d'approcher à cause de barrières," commence Steeve, son regard sombre et rempli de fatigue. "Nous sommes à la jonction entre l'Empire Pharm et la Terre des Monstres. Les seuls qui arrivent ici sont des demi-humains qui ont eu le malheur de traverser Pharm. Nous sommes cloîtrés ici, destinés à servir de brise-lame contre les vagues de monstres, épargnant ainsi des pertes aux humains."
"Mon Dieu, c'est horrible," murmuré-je, horrifié par le destin tragique de ces gens. Leur situation me serre le cœur, mais je ne peux pas perdre de vue ma propre mission. L'orphelinat dépend de moi.
Rassemblant mon courage, je regarde Steeve droit dans les yeux, mon cœur battant à tout rompre. "Steeve, je suis venu dans ce monde pour une raison bien précise. Je viens d'un endroit éloigné de toutes les grandes villes, des bidonvilles où la pauvreté règne. Je suis l'un des nombreux orphelins recueillis par un homme au grand cœur, mais il se fait vieux. Je dois ramener des cristaux magiques pour acheter de la nourriture et des nécessités pour mes frères et sœurs adoptifs."
Je ne peux m'empêcher de laisser transparaître ma peur et mon appréhension. Et si Steeve changeait d'avis sur moi en apprenant cela ? Je redoute qu'il me rejette ou me voie comme un fardeau. Mon cœur se serre alors que j'attends sa réaction.
Steeve me regarde en silence, ses yeux sondant les miens. Puis, lentement, il acquiesce, une lueur de compréhension et de compassion traversant son regard. "Viens avec moi," dit-il finalement, sa voix plus douce, presque paternelle.
Il m'emmène à l'extérieur, où nous nous arrêtons devant le cadavre d'un lapin cornu. Le silence qui nous entoure est lourd de sens. Il se penche pour ramasser la carcasse et me regarde avec sérieux. "Dis 'Inventaire'," me commande-t-il d'une voix ferme, mais sans la froideur précédente.
"Inventaire," répété-je, hésitant, et aussitôt, une interface s'ouvre devant moi, révélant des cases contenant divers objets. Mes yeux se posent immédiatement sur les cristaux magiques, une cinquantaine d'entre eux déjà présents dans mon inventaire, accompagnés de quelques armes et vêtements divers. Je cligne des yeux, surpris et confus par cette découverte.
Steeve, cependant, ne semble pas aussi surpris. Il essaie de placer la carcasse du lapin dans mon inventaire, mais à l'instant où il le fait, une force invisible le repousse violemment en arrière. Il fait une pirouette pour se rattraper, lâchant la carcasse dans le mouvement.
"Qu'est-ce qui vient de se passer ?" demande-t-il en revenant vers moi, ses yeux écarquillés par la surprise et l'incompréhension.
Je sens mon cœur s'accélérer, réalisant ce qui vient de se produire. "Ça doit être à cause de ma compétence passive," dis-je, ma voix un peu tremblante. "Je n'ai pratiquement aucune statistique en chance, mais j'obtiens du butin dès que je tue un ennemi."
Steeve me fixe comme s'il avait du mal à croire ce qu'il entend. C'est comme s'il voyait en moi quelque chose d'étrange, presque surnaturel. "Donc, tu n'obtiendras du butin que grâce à ta compétence, puisque nous dépendons de l'inventaire pour décomposer les ressources," dit-il lentement, réfléchissant à haute voix. Il me montre son propre inventaire, et sous nos yeux, le lapin se transforme en trois éléments distincts : une corne, de la viande, et de la fourrure.
Un silence tombe entre nous alors que nous réalisons tous les deux ce que cela signifie. Pour Steeve, c'est un mélange de curiosité et de crainte ; pour moi, c'est une révélation qui pourrait changer tout ce que je pensais savoir sur ce monde.
"Pour ton information, je n'ai pas moins d'estime pour toi parce que tu souhaites de l'argent, comme les autres Terriens. Je sais que la raison que tu m'as donnée est vraie, puisque tu ne peux pas mentir au chef de ton village," dit Steeve avec un sourire bienveillant. Il me regarde un instant avant de faire signe à un groupe sur le côté.
"Apportez les carcasses à Fabrice," ordonne-t-il, et les autres s'activent immédiatement. Se tournant de nouveau vers moi, il m'explique patiemment : "Fabrice a la meilleure statistique en chance, donc on lui confie cette tâche. Quant aux cristaux magiques, si nous en avons, tu pourras les prendre. Ici, on n'en fait pas grand usage, on fonctionne principalement sur la base du troc dans le village."
Nous marchons un moment avant d'atteindre une petite maison modeste. Steeve me désigne l'entrée d'un geste. "C'est ici que tu séjourneras, Jordna. Prends le temps de digérer toutes ces informations. Dès que tu t'endormiras ici, tu retourneras dans ton monde sans être fatigué, puisque le Golem prendra ta place là-bas. Tes proches ne pourront pas faire la différence." Il me lance un sourire taquin, visiblement amusé par la situation.
"Merci pour tout, Steeve," dis-je avec sincérité avant d'entrer dans ma nouvelle maison. Je me dirige immédiatement vers le lit, épuisé par cette journée incroyable, et m'effondre sur le matelas. La sensation est étrange, comme si je m'enfonçais dans un rêve, et au moment où ma tête touche l'oreiller, je me réveille brusquement dans mon lit à l'orphelinat.
Je cligne des yeux, un peu désorienté, avant de sentir un léger mouvement sous ma chemise. Léa, ma Reine Araignée d'Eau, en sort en s'étirant comme si elle venait de faire une sieste, suivie par une vingtaine de petites araignées issues de mes précédentes nuées. Leur arrivée soudaine me prend par surprise, et je ne peux m'empêcher de sourire en voyant Léa se secouer un peu, ses petites pattes agitant ses poils bleus avec un air presque royal, comme si elle remettait son "couronnement" en ordre après un long voyage.
Léa me fixe avec ses yeux bleus-gris, une expression curieuse sur son petit visage arachnéen, comme si elle essayait de comprendre pourquoi elle se trouve ici. Je la fixe en retour, complètement figé par la réalisation que mon familier m'a suivi dans mon monde. C'est à la fois fascinant et un peu inquiétant.
Pour tester une théorie, je regarde ma main et murmure : "Nuée d'Araignées." Aussitôt, les araignées apparaissent, s'éparpillant un peu partout, explorant le sol de la chambre avec une énergie débordante. Elles se dirigent dans tous les coins, comme des explorateurs intrépides en mission, avant de s'arrêter subitement et de tourner leurs petits yeux vers moi. Leur regard collectif est presque comique, une sorte de "Alors, patron, qu'est-ce qu'on fait maintenant ?" qui me fait éclater de rire.
Léa, pour sa part, les observe de haut, les pattes croisées comme si elle était légèrement agacée par toute cette agitation. Elle semble rouler des yeux (si tant est qu'une araignée puisse le faire), avant de se tourner vers moi avec une attitude de "Eh bien, tu as voulu des araignées, maintenant gère-les !"
Je ne peux m'empêcher de sourire en regardant cette scène surréaliste. Qui aurait cru que ma vie prendrait un tel tournant ? Me voilà, entouré de petites créatures qui semblent déjà faire partie de mon quotidien, apportant un mélange étrange de chaos et de camaraderie dans cette nouvelle réalité où la magie et le quotidien s'entremêlent de manière inattendue.