Il m'a fallu un moment pour apaiser tout le monde. Heureusement, Terry a pris les rênes, aidé par José et Bob, pour diriger les discussions et organiser l'orphelinat. Après de nombreux échanges et débats, tous mes frères et sœurs non mariés ont accepté de déménager dans le nouveau complexe une fois qu'il sera prêt. Les autres, quant à eux, construiront de petites maisons individuelles sur le terrain. Les appartements actuels devront être démolis pour laisser place à ce projet, mais cela représente un nouveau départ pour nous tous.
Cependant, la vraie difficulté est venue lorsque mes aînés ont décidé de retourner dans Pandemonium. Ils veulent tous essayer à nouveau, en espérant trouver des opportunités pour améliorer notre situation. Pourtant, une vague de tristesse m'envahit à cette nouvelle. La plupart d'entre eux sont bloqués au niveau 10, incapables de progresser à cause de ce plafond invisible dont ils ignorent l'existence. Le plus dur à accepter, c'est pour Nia, ma grande sœur, qui possède la classe de Mage de Feu. Son potentiel est immense, mais elle est condamnée à ne jamais évoluer au-delà de ce qu'elle est aujourd'hui.
J'ai voulu leur dire de se renforcer, de continuer à essayer d'améliorer leurs compétences, de ne pas abandonner. Mais les mots restaient coincés dans ma gorge, comme si une force invisible me les interdisait. Le talisman que Steeve m'a attaché me bloque, m'empêchant de révéler la vérité. Chaque fois que je tente d'expliquer pourquoi ils sont coincés, pourquoi ils ne peuvent plus progresser, les mots me manquent. C'est frustrant, presque désespérant, mais je ne peux rien y faire.
Alors, en silence, je réalise que cette responsabilité m'incombe désormais. Je suis le seul qui peut encore évoluer, le seul capable de continuer à croître dans Pandemonium. Je n'ai pas le choix : je dois devenir plus fort pour eux. Pour Nia, pour Terry, pour tous ceux qui comptent sur moi. Ils m'ont toujours protégé, et maintenant c'est à mon tour de veiller sur eux, même si je ne peux rien leur dire.
Je me couche dans ma chambre ce soir, avec un garde robotique à la porte et un autre à la fenêtre, comme le veut le protocole lorsque quelqu'un sous protection plonge dans Pandemonium. Le silence de la nuit me pèse, mais ce n'est rien comparé au poids qui repose sur mes épaules.
Même si je ne peux pas leur expliquer, même si je ne peux pas leur dire de continuer à lutter, je sais ce que je dois faire. Je vais grandir, je vais devenir plus fort, pour nous tous.
Je m'allonge sur le lit, et presque instantanément, je me réveille, frais et reposé. En jetant un coup d'œil autour de moi, je reconnais la cabane que Steeve m'a offerte dans le village. Léa est là, fidèle à mes côtés, mais je remarque l'absence de ses ouvrières et des araignées de Nuée, ce qui me confirme qu'ils ne peuvent me suivre que lorsqu'ils sont physiquement avec moi.
En sortant de la cabane, le village est déjà animé. Les habitants sont affairés à leurs tâches quotidiennes, et à mesure que je me dirige vers la place centrale, je suis accueilli par de chaleureux "bonjour". Je réponds poliment, appréciant l'atmosphère conviviale. Alors que je m'avance, perdu dans mes pensées, je suis soudain pris dans une étreinte simultanée. Deux femmes m'attrapent, m'entourant de leurs bras avec affection. Je les reconnais immédiatement : la première est une femme mi-aigle, avec ses ailes repliées derrière elle, et l'autre, une elfe élégante à la longue chevelure argentée. Ce sont celles qui étaient sur le rempart avec moi le jour de la bataille.
Leur geste me prend par surprise, et je sens instantanément la chaleur envahir mon visage. Je rougis profondément, essayant de cacher ma gêne. "Eh bien, Jordna, tu es toujours aussi mignon quand tu rougis," plaisante l'elfe en riant doucement.
"On dirait que notre petit héros n'est pas encore habitué aux câlins," ajoute la femme mi-aigle en souriant d'un air taquin, son regard perçant scintillant d'amusement.
Je tente de reprendre contenance, mais leur complicité et leurs rires ne m'aident pas. "Je... je vous reconnais," dis-je, essayant de changer de sujet. "Vous étiez sur le rempart avec moi, le jour de l'attaque."
"Ah, tu te souviens de nous, alors !" répond l'elfe, son sourire s'élargissant. "Je suis Nira, et voici Arlya," dit-elle en désignant la femme mi-aigle. "On a bien combattu ensemble ce jour-là."
"Et visiblement, tu fais toujours autant d'effet," ajoute Arlya en relâchant son étreinte avec un clin d'œil amusé. "Tu es définitivement plus courageux sur le champ de bataille que face à deux câlins !"
Je ris nerveusement, les joues encore rouges. "Merci… pour le câlin et... le soutien sur le rempart," dis-je, un peu maladroitement, en me libérant doucement de leurs bras.
Je continue mon chemin, essayant de me remettre de cette soudaine attention, jusqu'à ce que je trouve enfin Steeve, en plein milieu de l'entraînement de ses recrues. Il observe chacun de leurs mouvements avec attention, corrigeant des postures et prodiguant des conseils d'une voix ferme mais bienveillante.
"Bonjour, capitaine," dis-je en m'approchant de lui, retrouvant un peu de sérieux.
Steeve se tourne vers moi, un sourire amusé aux lèvres. "Jordna, je t'ai déjà dit de m'appeler Steeve. Ceux qui m'appellent 'capitaine' sont mes soldats, et encore, uniquement en plein combat."
Je hoche la tête, mais son regard se durcit légèrement, remarquant quelque chose. "Il s'est passé quelque chose dans ton monde, n'est-ce pas ?"
Je soupire, incapable de dissimuler mes émotions devant son regard perçant. "Oui, Steeve... Quand je suis parti, des idiots ont attaqué l'orphelinat. On a réussi à s'en sortir, mais... le Père Joseph n'a pas supporté le choc. Il est parti."
Je sens ma gorge se nouer à ces mots, et malgré mes efforts pour rester fort, je sens l'émotion monter en moi, mes yeux s'humidifiant. Avant que je ne puisse me contrôler, Steeve me tire doucement dans une étreinte réconfortante, sa grande main rassurante sur mon dos.
"Je comprends ce que tu ressens," dit-il d'une voix douce, presque paternelle. "Perdre quelqu'un d'aussi important laisse un vide qu'on croit impossible à combler. Mais crois-moi, avec le temps, tu trouveras de nouveaux liens. Ils n'effaceront jamais cette perte, mais ils t'aideront à guérir. Et tu n'oublieras jamais Joseph, parce qu'il est toujours là." Il pointe son doigt vers mon cœur.
Je laisse échapper un léger rire, malgré la tristesse qui m'étreint. "Ça me rappelle quelque chose," dis-je en souriant faiblement. "Mes sœurs m'ont dit presque la même chose après la mort de la petite Léa."
Steeve desserre son étreinte, me donnant une tape sur l'épaule. "Elles avaient raison. Rappelle-toi toujours de ce qu'il t'a enseigné, mais continue à avancer. Il aurait voulu te voir grandir et devenir plus fort."
Je hoche la tête, me sentant un peu plus léger grâce à ses paroles. La douleur est encore là, mais je sens aussi la force d'aller de l'avant, avec la mémoire de Joseph ancrée
"Steeve, j'ai une petite question," dis-je en sortant un emblème de voleur de mon inventaire. "Tu sais ce que c'est, par hasard ?"
Je n'ai pas le temps de finir ma phrase que Steeve, en voyant l'emblème, écarquille les yeux de manière exagérée, son expression oscillant entre la panique et l'incrédulité. "Mon Dieu, tu es complètement fou !" s'exclame-t-il, sa voix montant d'un ton, attirant l'attention de ses recrues qui commencent à se tourner vers nous, curieux. "Tu sors ça comme si c'était une simple babiole ?!" Il se passe une main sur le front en soupirant bruyamment. "Heureusement pour toi, ici, tu n'as rien à craindre. Mais ne sors JAMAIS un objet potentiellement rare comme ça en public ! Seulement dans des salles fermées et uniquement avec des gens en qui tu as confiance !"
Avant que je ne puisse répondre, il me prend l'emblème des mains d'un geste brusque. "Regarde, c'est comme ça qu'on fait !" Et sans autre explication, il claque l'emblème contre ma tête avec une énergie inattendue.
Je cligne des yeux, un peu abasourdi, mais aucune douleur ne vient. Au lieu de ça, un message apparaît soudainement devant mes yeux.
Vous avez consommé l'Emblème de voleur.
Compétence active : Discrétion (niveau 2) (bloqué) Coût : 10 PM
Description : Permet de devenir invisible (temps = 1 minute * niveau compétence)
Je suis encore en train de lire l'information quand un éclat de rire retentit autour de moi. Je lève les yeux pour voir les subordonnés de Steeve se tordre de rire. Certains se tiennent les côtes, d'autres essaient de reprendre leur souffle, mais tous semblent trouver la scène hilarante.
"Tu aurais dû voir ta tête !" s'exclame l'un des recrues, son visage rouge de rire. "Il t'a claqué ça sur le crâne comme si c'était un sort de guérison !"
Un autre renchérit, essuyant des larmes de rire. "Et Steeve… sérieux, c'est comme ça qu'on apprend aux nouveaux ? Avec une méthode aussi subtile que de frapper quelqu'un avec une compétence ?"
Steeve, essayant de retrouver son calme, jette un regard noir à ses soldats, mais son propre sourire trahit qu'il trouve la situation drôle. "Hé, ça marche, non ? Parfois, il faut être direct."
Je me frotte la tête, plus par réflexe que par douleur, et je finis par sourire moi aussi. "Tu pourrais au moins prévenir avant de me transformer en cobaye."
Steeve rit, me donnant une tape amicale sur l'épaule.
"Considère ça comme une leçon pratique," dit Steeve avec un sourire en coin, encore amusé par la scène. "Pour en revenir à ta question, les emblèmes peuvent parfois tomber des Terriens. Quand ça arrive, c'est un coup dur pour le Terrien en question, car il perd sa compétence innée. Mais ne t'inquiète pas, c'est un cas sur un million, et il faut que la chance de son adversaire soit hors norme pour que ça se produise."
Il me sourit, visiblement plus détendu maintenant, avant de reprendre. "Les compétences que tu obtiens grâce aux emblèmes ne peuvent pas être améliorées. Mais la bonne nouvelle, c'est que tu peux fusionner autant d'emblèmes que tu en trouves, sans limite. Cependant, comme je te l'ai dit, c'est extrêmement rare."
Je hoche la tête, réfléchissant à cette information. "D'accord, merci pour l'info. Est-ce que tu sais où je pourrais échanger ça ?" Je sors de mon inventaire les armes et vêtements récupérés lors de la dernière bataille, les montrant à Steeve.
Il jette un coup d'œil à mes gains avant de soupirer profondément. "Nira!" crie-t-il soudain. Je me retourne, et je vois la femme elfe, Nira, arriver aux côtés d'Arlya, la femme mi-aigle.
"Qu'est-ce qu'il y a, Steeve ?" demandent-elles d'une voix légère, me lançant des petits regards taquins. Nira, avec sa silhouette élancée et ses longs cheveux argentés, ne semble pas avoir plus de la vingtaine. Mais je me souviens des mots de Joseph : les femmes de certaines races ne vieillissent pas comme nous, humains. Arlya, avec ses traits félins et ses plumes brillantes, dégage une même aura de jeunesse et de grâce intemporelle.
Mes joues commencent à chauffer légèrement sous leurs regards. Un bref instant, un sentiment plus... troublant traverse mon esprit. Leurs sourires malicieux et la manière dont elles s'accrochent à mes bras éveillent des pensées que je sais ne pas être des plus innocentes. Mon cœur bat un peu plus vite, et je me surprends à imaginer...
Non ! Je secoue la tête pour chasser immédiatement ces pensées, refusant de m'y attarder. Je suis un bon garçon ! me dis-je en silence, essayant de me convaincre. Je suis ici pour m'améliorer, pour l'orphelinat, pour ma famille. Ce n'est pas le moment de... penser à ça !
Steeve, bien sûr, ne remarque rien de mes tourments intérieurs. Il se contente de me regarder avec un air mi-amusé, mi-exaspéré. "Emmenez Jordna voir le Trio d'or," dit-il en me poussant gentiment dans les bras des deux femmes.
Avant que je puisse protester, Nira et Arlya prennent chacune un de mes bras avec un sourire espiègle. "Allez, petit héros, on t'emmène rencontrer les bonnes personnes," dit Arlya, ses yeux brillants de malice.
Je me laisse entraîner par elles, essayant de garder mon calme et de rester concentré. Mais la chaleur de leurs mains sur mes bras ne fait rien pour apaiser le tourbillon de pensées que j'essaie désespérément d'ignorer. Je suis un bon garçon… vraiment…