L'air se faisait plus chaud à mesure que le soleil perçait l'obscurité pesante du ciel. Bojan se tenait là, face à son bourreau, prêt à sauver celui qui avait tenté de le libérer. Herman éclata de rire, trouvant la scène absurde : un homme brisé, à l'agonie, qui osait encore le défier, et pire encore, pour sauver un pauvre imbécile dont le destin semblait déjà scellé.
"Bojan, c'est bien ça ? Un prisonnier arubéen…" marmonna-t-il en cherchant dans ses souvenirs. "Ah ! Oui, je me souviens de toi maintenant. Tu es l'un des détenus de la tour, avec cette gamine à la mèche blanche. Ton dossier m'avait intrigué à l'époque. Tu étais déjà là bien avant mon arrivée. Accusé d'avoir coulé un navire de la garde impériale en route pour Aruba… Et puis, il y a eu toutes ces tentatives d'évasion, sans compter le meurtre d'un de tes maîtres. Un sacré parcours… Il y avait aussi quelque chose de particulier dans ton dossier, je crois…"
"La ferme !" rugit Bojan en se ruant sur lui à une vitesse fulgurante. Leurs mains s'entrechoquèrent violemment, chacun cherchant à repousser l'autre. Herman ne perdit pas son sourire ; il savait qu'il avait touché un point sensible.
"Oh, vraiment ? On perd son calme si facilement ? Que dirait-il, ton fils, s'il te voyait dans cet état ?"
Le visage de Bojan se crispa sous l'effet de la colère, ses dents grinçant de rage. Sans prévenir, il envoya un coup de pied fulgurant dans le ventre d'Herman, une décharge d'électricité parcourant son corps. Le directeur, pris de court, fut projeté en arrière, ses pieds raclant le sol pour stopper sa chute.
Armand, qui observait la scène depuis le début, remarqua le poids des paroles d'Herman sur son ami. Il regarda Bojan, haletant, ses mains tremblantes de rage, mais cette colère ne semblait pas totalement dirigée vers Herman mais également contre lui-même.
"Bojan…" murmura-t-il.
Le directeur, essuyant une tache de sang sur ses lèvres, ricana de plus belle. "Si je ne me trompe pas, il avait été libéré il y a longtemps sur demande d'un maître d'une école du Sud. Apparemment, il avait du potentiel. J'imagine que tu espérais le retrouver une fois libre ? Ne t'inquiète pas, je lui enverrai ton cadavre comme message !"
À cet instant, deux chaînes noires surgirent du dos d'Herman, s'enroulant autour des bras de Bojan, le tirant violemment vers lui. Propulsé en avant, il reçut un coup de tête brutal en plein front. Il vacilla à peine, se ressaisissant aussitôt. Il agrippa les chaînes qui lui dévoraient peu à peu son énergie, mais malgré la douleur, il tenait bon. Serrant les dents, il canalisa de nouveau l'électricité dans ses mains, envoyant une nouvelle décharge le long des chaînes, qui alla frapper le corps de son adversaire.
"Je t'interdis de parler encore de lui !" hurla-t-il.
Herman gronda de douleur, son corps immense brûlant sous l'assaut électrique. Même un homme de sa stature ne pouvait rester insensible à une telle attaque. Mais peu à peu, Bojan faiblissait, les chaînes aspirant chaque once de sa force. La magie environnante se faisait rare, et son pouvoir s'amenuisait. Herman, malgré la douleur, reprenait lentement ses esprits, un sourire cruel étirant ses lèvres.
Il l'agrippa par les bras, renforçant la prise de ses chaînes, puis lui asséna un coup de genou brutal dans l'estomac. Le choc fut tel que Bojan lâcha prise, crachant du sang mêlé à des glaires. Les chaînes se resserrèrent encore, et Herman, les tenant fermement, commença à tourner sur lui-même. Il mit toute sa force dans ce mouvement, faisant virevolter Bojan comme un simple marteau avant de le projeter violemment contre un mur.
"À la revoyure !"
Les chaînes se détachèrent juste à temps pour éviter qu'il ne soit emporté avec lui. Mais à cet instant, une brèche apparut dans les airs, et Bojan s'y engouffra. À l'intérieur, il fut mystérieusement ralenti, avant de réapparaître sur le sol, encore sonné par le choc.
"Cette brèche… Ça ne peut être que le gamin," marmonna Herman en tournant son regard vers l'endroit où se trouvait Armand, mais celui-ci avait disparu.
"Herman !" La voix d'Armand résonna derrière lui.
Le jeune homme se tenait là, entouré d'une faible aura orange. Ses mains étaient jointes, puis il les écarta lentement, faisant apparaître une fine épée magique orangeâtre. À peine Herman l'eut-il repéré qu'il envoya ses chaînes en direction du jeune homme, cherchant à l'atteindre à distance.
Armand, poussé par l'adrénaline, tranchait les chaînes tout en courant vers lui, sa douleur momentanément oubliée.
"Elles ne sont pas si différentes des racines du vieux…," murmura-t-il, se frayant un chemin à travers les assauts répétés des chaînes.
"Je t'ai déjà dit de ne pas être trop confiant face à l'insurmontable, gamin !" cria Herman en fonçant droit sur lui. D'un geste brusque, il desserra une chaîne autour de son avant-bras gauche, qui se mit à flotter. Il esquiva habilement un coup d'épée et frappa son bras avec le dos de sa main droite, le forçant à lâcher son arme.
"Merde !" jura-t-il, voyant qu'il n'avait plus d'issue et sentant le contrecoup de l'épuisement gagner son corps.
C'est alors qu'une petite voix désespérée brisa le silence.
"Arrête !" cria-t-elle.
Au moment où Herman s'apprêtait à porter un coup fatal, un petit caillou vint frapper son crâne. Surpris, il se retourna, cherchant du regard celui ou celle qui avait osé une attaque aussi dérisoire.
Carolina se tenait là, tremblante mais déterminée. Elle avait gravi l'étage après que Bojan l'ait laissée en arrière. Terrifiée, elle avait pourtant trouvé le courage de revenir, refusant de partir sans lui.
"Encore une idiote… Que crois-tu faire, la Mèche Blanche ?"
Il laissa Armand à genoux, une main posée sur son bras tremblotant. Le jeune homme, incrédule, ne comprenait pas pourquoi Carolina avait fait demi-tour. Cette fille si frêle, incapable de ressentir la magie, venait de se mettre en danger sans réfléchir.
"Je ne te laisserai pas la toucher, sale monstre !" dit Bojan en se relevant péniblement pour se placer devant Carolina. Essoufflé, ses faibles étincelles électriques trahissaient l'épuisement de son corps. "Tu n'aurais pas dû me suivre, Carolina… C'était ta seule chance de retrouver ta liberté," lui dit-il péniblement.
"Les fous se rassemblent les uns après les autres, ma parole," grogna Herman avant de se jeter sur Bojan, balançant la chaîne enroulée autour de son avant-bras pour frapper. Il encaissa les coups, mais au lieu de reculer, il se précipita vers lui et l'enlaça, emprisonnant le directeur dans son étreinte. Une décharge électrique parcourut tout son corps, électrocutant à nouveau Herman. Même si son attaque manquait de puissance comparé à tout à l'heure, Il refusait de lâcher prise, malgré la chaîne qui le frappait implacablement dans le dos.
"Armand ! Maintenant !"
Armand, derrière lui, se redressa, son épée à la main. Bien que blessé et forcé d'utiliser son bras gauche, il se mit à courir de nouveau vers Herman. Ils n'avaient pas besoin de se concerter sur leur stratégie : il fallait couper les chaînes qui recouvraient le corps du directeur, car elles étaient la source de sa puissance. C'était leur seule chance d'en finir.
Mais ils avaient gravement sous-estimé la rage et la force d'endurance de ce titan.
"Vous commencez sérieusement à me taper sur le système, bande de vermines !"
Fou de rage, Herman ne se retenait plus. Il attrapa les poignets de Bojan, les broyant dans ses mains comme s'ils n'étaient rien, forçant Bojan à le lâcher. Sans perdre une seconde, il le saisit par le bras et le lança violemment sur Armand. Ce dernier, incapable d'esquiver, amortit la chute de son ami, s'effondrant avec lui. Sous le choc, il perdit son épée, qui glissa jusqu'aux pieds de la jeune femme.
D'un coup de pied brutal, Herman dégagea Bojan de son chemin, puis, avec sa chaîne libre, il attrapa le jeune homme par le cou et le souleva, si haut que ses pieds ne touchaient plus le sol.
"J'en ai assez. Vous ne m'amusez plus. Il est temps d'en finir."
Il approcha le visage d'Armand du sien pour être sûr qu'il l'écouta. "Tu veux savoir quelque chose ? Des types comme toi, j'en ai vu des dizaines. Ce genre d'inconscients qui se croient tout permis grâce à la magie sans voir la réalité en face ! Je suis prêt à parier que tu viens à peine de développer ta spécialisation, que je dois admettre, est étonnement complète mais ton manque d'expérience est évident ! Tu as dû te sentir invincible, t'imaginant pouvoir me vaincre et libérer tous ces criminels ?"
Armand ne pouvait plus répondre, la chaîne serrant davantage autour de sa gorge, l'étouffant. Il sentait que c'était la fin. Des larmes coulèrent sur ses joues alors que le désespoir envahissait son regard. Herman, lui, jubilait, savourant l'instant.
"Ce regard, voilà qui est mieux. Toute cette fausse confiance, créée par ce pouvoir que tu crois maîtriser… Mais en réalité, tu n'es qu'un faible !"
Il resserra encore son emprise, le soulevant plus haut avant de soudainement lâcher son cou. Le jeune homme chuta, mais avant même de toucher le sol, Herman lui asséna un coup si violent dans l'abdomen qu'il fut projeté au loin. Son corps voltigea, traversant l'étage avant de disparaître à l'extérieur, s'écrasant parmi les débris sous le regard de quelques prisonniers toujours curieux du dénouement.
Herman était maintenant certain que s'en était fini de lui. Se retournant vers Carolina, il la vit, tremblante mais déterminée, l'épée magique d'Armand en main. La peur la paralysait presque, mais elle restait debout face à ce monstre.
"C'est toi que Baring veut pour une somme ahurissante, si ce que Saukel m'a dit est vrai. Que ce banquier de pacotille aille au diable ! Aucune fortune ne pourra compenser ce que j'ai perdu ce soir. Tu vas finir comme eux. Tu regretteras d'être revenue !"
Il lui lança sa chaîne avec une violence inouïe. Carolina, tremblant toujours, leva l'épée et parvint à fendre le bout de la chaîne. Mais ce n'était pas suffisant. La chaîne la frappa violemment au visage, la projetant au sol.
"Sale monstre…" souffla-t-elle, se relevant difficilement, l'épée toujours en main.
"C'est qu'on est résistante dit moi. Peut-être que ce qu'on raconte sur ton espèce est vrai après tout."
Il enchaîna les coups à distance, savourant le fait de n'avoir même pas besoin de se fatiguer pour la malmener. Cependant, à chaque assaut, Carolina devenait plus habile. Petit à petit, elle coupait la chaîne, fragment par fragment. Voyant cela, Herman ne perdit pas de temps et libéra la chaîne de son bras droit, l'envoyant s'enrouler autour d'elle pour la surprendre et la lier fermement.
"Où as-tu appris à manier une épée aussi bien ?" demanda-t-il en s'approchant, curieux. "Est-ce que c'est un don de ta race ?" Il la souleva dans les airs, exactement comme il l'avait fait avec Armand plus tôt.
"Je... je suis une primissienne, comme n'importe qui ici," parvint-elle à articuler, le souffle court. "Je n'ai ni race ni espèce différente…" Elle lui cracha au visage, le regard fixé sur lui.
Il lui infligea alors une gifle si violente que du sang coula de sa bouche.
"Je t'interdis de dire de telles inepties, Mèche Blanche. Ta vie ne vaut plus rien à mes yeux, mais tu fais partie de ceux qui mon humilié et tâcher mon nom ce soir. Et tu vas en payer le prix."
Malgré la douleur, elle ne détourna pas les yeux. Il y avait dans son regard une détermination qu'Herman n'avait pas anticipée. Elle posa un pied sur lui et le bloqua sous ses chaînes qui entouraient son torse et, elle utilisa alors la fente qu'elle venait de créer pour y insérer l'épée orange. Elle continua alors de forcer sur les chaînes de toute ses forces pour espérer les briser mais sa position était trop inconfortable et peu pratique. De plus, celle-ci commençait doucement à s'estomper vu qu'Armand n'était plus là.
"Qu'est-ce que tu espères accomplir, petite ?" se moqua-t-il, un sourire cruel déformant son visage. "Avec la force ridicule qu'il te reste, tu crois pouvoir briser mes chaînes ?"
"C'est étrange d'ailleurs… pourquoi ta force n'est-elle pas absorbée ? Serait-ce le manque de magie… ou le sceau de ta race ?"
Alors qu'il s'interrogeait, un bruit de pas lent et lourd retentit derrière lui. Il tourna la tête par-dessus son épaule et eut un rire nerveux en voyant Bojan, titubant, à peine capable de se tenir debout.
"Lâche-la, enfoiré."
"Cette volonté... c'est fascinant. Pourquoi ne pas crever une bonne fois pour toutes ?" rétorqua-t-il. "Je ne pensais pas que les guerriers de l'île d'Aruba étaient aussi endurants."
Dans son dos, une nouvelle chaîne se matérialisa, plus petite, affaiblie par le manque de magie, mais dont le bout était une pointe acérée. Bojan resta immobile, incapable de se défendre. Il n'avait plus de force, juste la volonté de protéger celle qu'il considérait comme sa fille.
Sans attendre, la chaîne s'élança et, en une fraction de seconde, elle l'empala, traversant son torse. Les yeux de Carolina s'écarquillèrent d'horreur alors qu'elle assistait à la scène, impuissante.
"Bojan !" cria-t-elle de toutes ses forces, sa voix brisée par le désespoir.
Fin du chapitre 21.