Elle se redressa sur ses coudes et comprit qu'il était déjà trop tard pour elle. Le bruit des sabots résonnant dans les rues d'Auroria se rapprochait, signe que la garde n'était plus qu'à quelques mètres. En jetant un regard par-dessus son épaule, elle constata que leurs chevaux leur avaient permis de la rattraper bien plus vite qu'elle ne l'avait prévu.
Elle se releva péniblement et scruta les environs à la recherche d'un endroit où se cacher. Soudain, son regard se posa sur une ruelle d'où émanait une fumée étrange. Elle s'y précipita, mais le garde en tête de la troupe la repéra et lui ordonna de s'arrêter. L'ignorant, elle s'engouffra dans la ruelle enfumée aussi vite que possible.
Le garde perdit du temps en descendant de son cheval, trop large pour passer dans la ruelle étroite. Lorsqu'il pénétra enfin dans la ruelle, Carolina s'était volatilisée et la fumée commençait déjà à se dissiper. Il ressortit, retrouvant le reste de la troupe qui l'attendait près de son cheval.
"Quadrillez la zone ! Elle ne doit pas être très loin. Cherchez aussi d'autres prisonniers, certains doivent encore se cacher en ville," ordonna-t-il avant de jeter un dernier coup d'œil à la ruelle et de reprendre la traque des évadés.
Une douce brise chatouillait les narines de Carolina. Elle était allongée sur de l'herbe, alors que quelques instants plus tôt, elle croyait s'être adossée à un mur avant de basculer en arrière dans une brèche étroite.
Encore un peu sonnée par la chute, elle se redressa et observa les alentours. Partout autour d'elle, de l'herbe et des champs de tournesols s'étendaient à perte de vue. Elle aperçut devant elle une autre petite brèche, semblant mener à une colline recouverte de tournesols qui était derrière celle-ci. Elle n'avait pas encore réalisé qu'elle était enfin dehors.
Se pensant toujours poursuivie, elle continua d'avancer et traversa la brèche juste avant que celle-ci ne se referme. Elle arriva alors sur cette fameuse colline. Le sol n'étant plus aussi plat, elle s'accrocha à un tournesol qui s'avère assez robuste pour la retenir.
Elle scruta les environs en traversant le champ, mais ne distingua plus aucune brèche indigo, c'était terminé. Pourtant, elle était inquiète, aucun autre prisonnier ne semblait être là alors qu'elle croyait que la majorité avait pris ce chemin.
En continuant son ascension, elle finit par remarquer une silhouette au sommet scrutant l'horizon. L'individu était assis, de dos, mais cela suffisait pour qu'elle reconnaisse sa silhouette. C'était Armand.
Elle n'y avait pas pensé jusque-là mais maintenant tout prenait sens : il avait ouvert des brèches pour lui-même en plus de celles qu'il avait laissées pour les autres, elle venait donc de traverser l'une des siennes. Elle ne pouvait toujours pas voir son visage mais, elle se doutait qu'il devait être exténué après tout ça. Elle hésite avant d'avancer lentement vers lui, sans savoir comment l'aborder ni même si sa présence risquerait de le déranger.
C'est alors qu'elle marcha sur quelque chose qui craqua sous son pied, provoquant un petit cri de surprise. Ce n'était qu'une fiole vide. Armand se retourna brusquement, se mettant sur ses gardes par réflexe mais il la reconnut aussitôt.
"Ca... Carolina ? C'est bien toi ? Que fais-tu ici ?" demanda-t-il étonné.
Elle se redressa et agita les mains, parlant très rapidement pour lui expliquer tout ce qui l'avait amenée jusqu'ici. Il relâcha un soupir avant de lui sourire..
"Ah… je vois. Finalement, j'ai bien fait de ne pas refermer toutes les brèches manuellement… mais la prochaine fois, je ferai plus attention, ça aurait pu être n'importe qui."
En la voyant dans cet état, blessée et salie par toutes ces péripéties, il ne put s'empêcher de penser à Bojan. Il savait combien cet homme comptait pour elle et se sentait cruellement responsable.
Il baissa la tête, incapable de dissimuler sa culpabilité, ses poings tremblant tandis qu'il fuyait son regard.
"Je… Je suis vraiment désolé. Si je ne m'étais pas mêlé de tout ça, il serait encore…"
"Enfermé," l'interrompit-elle en tenant son propre bras droit avec sa main tremblotante.
Il releva la tête, surpris et il remarqua alors qu'elle se força à sourire malgré de légères larmes coulant sur ses joues.
"Je ne peux nier cette douleur. Je le considérais comme mon père. Sans lui… j'aurais sûrement cherché à mettre fin à mes jours depuis longtemps,." Sa voix se brisait à mesure qu'elle se livrait à lui, serrant son bras avec plus de force. "Mais malgré tout… je suis heureuse qu'il ait pu finir sa vie libre. Il n'a pas eu la vie qu'il méritait, mais… son sourire… il semblait apaisé."
Il lui adressa un sourire tendre tandis qu'elle essuyait ses larmes du revers de la main. Levant les yeux au ciel, il inspira profondément avant de laisser échapper un long soupir.
"C'était un homme bon, prêt à tout pour te protéger. Sache que je ne l'oublierai jamais, ni sa force ni son altruisme… J'aimerais devenir quelqu'un comme lui," dit-il d'une voix calme en pointant son poing vers le ciel.
Carolina hocha la tête et alors qu'elle cherchait ses mots, un motif attira son regard sur le dos de la main d'Armand. Elle croyait le reconnaître sans parvenir à s'en souvenir précisément, jusqu'à ce que les paroles de Bojan lui reviennent en mémoire. Elle réalisa alors qu'elle ignorait encore qui il était vraiment. Elle fit quelques pas vers lui avant de s'arrêter.
"Bojan… m'a dit quelque chose tout à l'heure. Je n'ai pas tout compris, mais j'ai besoin de savoir." Elle marqua une pause, rassemblant son courage pour lui poser la question. "Qui… qui es-tu vraiment ?"
"Ah, c'est vrai que je ne te l'avais pas dit. La situation était déjà tendue quand on s'est rencontrés dans le sous-sol, alors je n'ai pas voulu en rajouter." Il tendit son poing vers elle en mettant en évidence le dos de sa main, dévoilant la marque des légendes. "Je suis ce que vous appelez… une légende. Je suis arrivé précisément sur cette colline il y a quelques semaines, et nous sommes quatre à porter ce symbole."
Elle resta bouche bée, peinant à croire ce qu'elle venait d'entendre. Pourtant, tout s'emboîtait dans son esprit. Elle comprenait maintenant que seul quelqu'un comme le Petit Héros aurait pu venir à bout d'Herman, qu'elle croyait invincible dans sa cage. En repensant à sa force, à sa magie si unique et aux paroles de Bojan à son sujet, il n'y avait plus aucun doute pour elle.
"Tu… tu es vraiment une…" Elle en perdait ses mots, posant sa main devant sa bouche.
Armand se gratta la tête en souriant bêtement, ne sachant pas comment réagir. Il la vit alors changer d'expression alors qu'elle s'avança d'un pas et posa sa main doucement au centre de sa poitrine.
"Puis-je… t'accompagner ?" demanda-t-elle en baissant la tête, les yeux fermés de honte.
"Hein ? M'accompagner ?" Il ne comprit pas l'origine de cette demande si soudaine.
Elle, qui depuis l'enfance avait rêvé de l'histoire que Bojan lui racontait, qu'elle l'avait même illustrée d'elle-même. Cette histoire d'un petit héros légendaire sauvant le Primis d'antan au péril de sa vie. Elle voyait en Armand la même chose. Elle voulait à tout prix le suivre dans ses aventures à venir, apprendre à le connaître, et aider à libérer ceux qui, comme elle jusqu'à aujourd'hui, ne sont pas maîtres de leur propre destin.
Elle savait qu'en l'état, elle ne lui serait sans doute pas d'une grande utilité. Elle n'avait aucun ressenti ou contrôle sur la magie et sa mèche blanche, méprisée de tous, l'empêcherait de sortir librement. Mais Armand, lui, ne l'avait jamais jugé à cause de cela, la traitant comme tous les autres prisonniers. Était-ce parce qu'il venait d'ailleurs ? Elle l'ignorait
Elle releva la tête, presque certaine qu'il allait refuser. Et, en ouvrant les yeux, elle vit une main tendue vers elle. Armand s'était approché sans qu'elle ne le remarque.
"J'accepte !" lui dit-il avec un sourire tendre alors qu'il dissimulait le soleil derrière lui, qui dessinait un halo lumineux autour de sa silhouette.
Carolina cligna des yeux, ne réalisant pas tout de suite ce qu'elle venait d'entendre. Elle redressa la tête, fixant sa main avant de croiser de nouveau son regard.
"Tu… tu es certain ?"
"Bien sûr ! Tu es très courageuse et sans toi, je n'aurais certainement jamais pu vaincre Herman. Sans toi, ses chaînes seraient restées intactes !"
"C'est… c'était grâce à ton épée, " lui répondit-elle la voix légèrement hésitante. "Je n'ai fait que de tomber… et je ne peux même pas utiliser la magie par moi-même…"
"Ça n'a pas d'importance !" répondit-il avec assurance. "Je crois comprendre pourquoi tu étais enfermée et nulle doute que toute la cité sera à ta recherche. Avec ta mèche blanche, tu es trop distinguable. Je suis également certain que tu n'as nulle part où aller, alors te savoir en sécurité avec nous me rassurera !"
Il tendit davantage sa main vers elle, toujours avec ce sourire réconfortant.
"Alors, je te le répète : j'accepte que tu me suives !"
Les yeux de la jeune femme étaient embuées par ses larmes prêtes à couler à nouveau. Elle acquiesça d'un signe de la tête avant de finalement saisir sa main dans la sienne, ressentant sa chaleur apaisante.
"J'espère juste que le vieux ne me fera pas trop de reproches, mais ne t'inquiète pas, il a bon cœur, je suis sûr qu'il acceptera !" dit-il en se grattant la tête de sa main libre.
"Le 'vieux' ?"
"Ah oui, désolé ! J'ai un maître. On vit près de la frontière est d'Auroria, dans une petite maison avec un grand arbre en son centre. C'est un peu étrange au début, mais on s'y fait. Je suis certain qu'il pourra t'apprendre quelques trucs, même sans magie !"
"Si… si tu le dis"
Leurs mains restaient étroitement liées tandis qu'ils continuaient à parler et cela devenait de plus en plus embarrassant pour Carolina. Elle tenta de retirer sa main délicatement mais n'y parvint pas. Pensant qu'il la tenait trop fermement, elle réalisa qu'il semblait lui aussi incapable de desserrer leur poignée.
"Que… qu'est-ce qui se passe ?" demanda-t-elle en panique.
"Je… je n'en ai aucune idée. C'est bizarre… Argh !"
Il fut soudain pris d'un violent mal de tête et d'un coup, son aura s'activa d'elle-même, devenant tellement instable qu'elle changea de couleur en permanence. Carolina était terrifiée, elle voulut reculer mais quelque chose l'empêchait toujours de se détacher de lui.
Armand souffrait de plus en plus à mesure que cette étrange réaction s'intensifiait.
"A… Armand !" Elle ne pouvait pas ressentir ce qui se passait mais elle voyait la magie autour d'eux devenir de plus en plus éblouissante.
Soudain, une couche de magie se manifesta autour d'elle mais cela ne ressemblait en rien à une simple aura. C'était une magie ancienne, comme si elle avait toujours fait partie d'elle. Cette carapace était le sceau magique qui entravait tous les membres de son peuple, la magie d'Armand semblait vouloir l'affronter de l'intérieur d'elle-même.
Leurs yeux étant fermés à cause d'autant de lumière et ils ne purent rien voir de ce qui se déroulait. La magie multicolore se concentra subitement autour de la main d'Armand, la surcharge de magie sembla finalement faire craquer la carapace magique qui entourait la Mèche Blanche.
La magie d'Armand força sur cette couche magique avec force et après un instant, elle finit enfin par céder. Partant en éclat et en se dissipant dans l'air.
Leurs mains se détachèrent brusquement et il tomba en arrière tandis qu'elle parvenait tout juste à rester debout. Carolina ouvrit les yeux, mais tout lui paraissait étrangement différent. Elle se sentait enveloppée dans une douce chaleur. L'espace d'un instant, elle perçut une faible lueur blanche prenant la forme d'un oiseau auquel il manquait une aile, avant que cette vision ne s'évanouisse dans la douce lumière du soleil. Tout redevint alors normal, du moins… presque.
Armand se releva en se tenant la tête, les yeux fermés. Il ne comprenait pas ce qui venait de se produire, une fois de plus, sa magie avait agi contre son gré.
"Armand… je me sens… bizarre," murmura-t-elle.
Il s'essuya les yeux avant de les ouvrir, la regardant enfin. Sa vision devenait de plus en plus claire et son regard s'écarquilla lorsqu'il la vit.
Elle se tenait face à lui, enveloppée d'une aura brillante de toutes les couleurs et l'un de ses yeux scintillait lui aussi de cette même lueur.
"Hein ? Mais, on dirait mon…" Il s'interrompit en remarquant qu'une étrange marque, qui ne lui était pas inconnue, ornait désormais le dos de la main de Carolina.
Il baissa les yeux vers sa propre main et vit que la marque des légendes avait changé : la branche supérieure de l'étoile s'était illuminée.
Un souvenir lui revint alors en voyant celà : Gaspard leur avait parlé d'une sorte de lien qu'ils pourraient avoir avec des personnes qu'ils jugeraient dignes de les accompagner et qu'ils receveraient alors l'un des quatre fragments de l'étoile.
Le motif sur la main de Carolina était donc le premier fragment de son étoile. Devenant alors, la première partie de son étoile.
Cela n'expliquait toutefois pas pourquoi sa magie s'était activée d'elle-même et avait marqué Carolina, ce phénomène restait un mystère pour lui.
Carolina tremblait. Elle ignorait si c'était de la peur, de la joie ou un mélange des deux, mais pour la première fois, elle ressentait enfin la magie autour d'elle. La puissance combinée de la magie d'Armand et du fragment avait exercé sur elle une telle force que son sceau, hérité depuis des siècles dans ses gènes de Mèche Blanche, s'était finalement brisé.
L'aura qui l'entourait s'estompa finalement, et son œil retrouva sa teinte noisette. Seule la marque sur sa main subsistait définitivement.
"Je ne saurais expliquer ce qui vient de se passer, mais…" Il tendit le poing marqué du symbole des légendes, vers elle. "Il semblerait que tu sois devenue officiellement mon étoile !"
Ces paroles résonnaient dans son esprit avec celles de Bojan. Elle sourit en essuyant les larmes sur ses joues. Se remettant peu à peu de ces événements, elle leva alors son poing et le posa contre le sien.
"Oui !"
Ainsi, elle devint donc son premier compagnon dans ce nouveau monde.
Fin du chapitre 24.